Ebola: « Les malades savent que j’ai survécu à la maladie »
© Alberto Rojas Blanco
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A Conakry, MSF emploie d’anciens patients ayant survécu à l’Ebola pour sensibiliser la population et offrir un soutien moral aux malades. Ils sont de précieux atouts car ils sont la preuve vivante que la guérison est possible.
La première fois que Safiatou* est entrée à l’intérieur du centre de traitement de l’Ebola à Conakry en mars 2014, elle était fébrile et souffrait d’un puissant mal de tête. Six membres de sa famille l’ont successivement rejointe, tous contaminés par cette maladie mystérieuse et foudroyante.
Les Keita sont sans doute les premiers à avoir contracté l’Ebola à Conakry, suite à la visite de leur oncle malade. Mohammed, le cousin de Safiatou qui travaille aujourd’hui avec elle, raconte: «le poste de radio que MSF m’avait fait passer à l’intérieur de l’isolation me permettait de suivre l’actualité. J’ai su quand la maladie est arrivée à Conakry et j’ai compris que nous souffrions de l’Ebola, mais je me suis refusé à le dire à Safiatou et à ma femme. J’ai pensé qu’elles ne tiendraient pas le coup».
« Je voulais sortir vivante »
Ainsi, pendant toute la durée de son traitement, Safiatou raconte qu’elle n’a pas su de quelle maladie elle souffrait. «La question ne me venait même pas à l’esprit, ce que je savais, c’est que je voulais sortir vivante,» explique-t-elle. «Si j’avais su que j’avais une maladie pour laquelle il n’existe pas de traitement ni de vaccin, et dont une majorité des malades décèdent, je ne sais pas si j’aurai survécu.»
Les diarrhées et les vomissements l’ont torturée pendant plus d’une semaine. «Je ne sais pas combien de litres d’eau les soignants ont mis dans mes veines pour tenter d’éviter que je ne me déshydrate,» continue Safiatou. Au total, elle restera 13 jours dans le centre de traitement. La première fois que la jeune femme a vu un malade rendre l’âme sous ses yeux, elle était terrifiée. «Mais après quelques jours, je m’y étais habituée. Je me raisonnais en me disant que seul Dieu pouvait décider que mon heure était venue». Mohammed finit sa phrase, «tant que nous ne serions pas sortis, je leur ai interdit de pleurer nos morts. Nous devions garder le moral pour espérer survivre.»
Mohammed sortira guéri en premier, suivi de Safiatou puis de sa femme quelques jours plus tard. Les trois autres malades de la famille n’ont pas survécu.
Insultes et ragots
Pourtant, et contre toute attente, la sortie de Safiatou a été très dure. « J’ai beaucoup souffert quand ma mère m’a dit que nous, «au moins», nous étions à l’intérieur; que nous n’avions pas été victimes des ragots, des insultes qui entourent les familles touchées par l’Ebola.» Un soir, Safiatou a fait des recherches sur la maladie. «Je me suis effondrée. J’ai pleuré toute la nuit et j’ai eu peur de moi-même. A deux heures du matin, j’ai appelé Lucie, une infirmière expatriée. Je l’ai supplié de me faire rentrer à nouveau dans l’isolation.» Lucie réussira à la calmer et à la rassurer: Safiatou n’est plus contagieuse pour personne et les personnes qui la rejettent se trompent.
Quand les équipes l’ont appelée pour lui proposer de travailler pour MSF au mois de mai, Safiatou a immédiatement accepté. Depuis, elle passe chaque jour de l’autre côté du sas de l’isolation pour se rendre au chevet des malades dans l’isolation. Même si les malades guéris sont supposés être immunisés contre la maladie, toutes les mesures de protection sont prises, notamment pour éviter qu’ils n’attrapent une autre maladie auprès des patients suspects. «Au début c’était très dur, je revoyais ce que nous avions vécu, je ressentais cette douleur », explique-t-elle en souriant légèrement. Mais Safiatou relève les yeux, «je me suis forcée à continuer, parce que c’est mon devoir civique de donner de l’espoir aux autres malades».
Les patients la regardent avec des yeux ébahis quand elle leur annonce qu’elle était à leur place il y a quelques mois, «parfois, ils mettent du temps à me croire, puis ils se confient à moi, ils savent que je les comprends donc j’arrive à mieux les encourager».
Son rôle en tant que sensibilisatrice est de soutenir moralement les malades, de rassurer les proches et d’expliquer les modes de prévention à la communauté. «Je me sens très bien dans ma peau aujourd’hui, j’aime ce que je fais, surtout quand j’arrive à convaincre un malade de se nourrir et de prendre ses médicaments». Hier, à la sortie de l’isolation, malgré l’épuisement et la sueur, elle était très heureuse: une jeune femme qui n’avait rien mangé depuis quelques jours venait de finir son assiette après que Safiatou lui ait demandé d’être témoin à son mariage si elle sortait guérie…
Malgré tout, Safiatou a demandé l’anonymat qui la protège de la stigmatisation. Ici à Conakry, les survivants existent mais sont invisibles.
*Les noms et prénoms ont été modifiés.
© Alberto Rojas Blanco