Ethiopie: lutter contre la stigmatisation et soigner les réfugiés érythréens
© Gabriele François Casini/MSF
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Ephraim est dans l’une des petites salles dédiée au soutien psychologique du centre de santé mentale MSF, situé dans le camp de réfugiés d’Hitsats, dans le nord de l’Ethiopie. Le temps sec et aride caractéristique de cette région semi-désertique a laissé place à la saison des pluies, plus fraîche. Un orage fait rage et le martellement des gouttes sur la toiture métallique est assourdissant.
Bien qu’il soit difficile d’entendre quoi que ce soit dans ce vacarme, sa voix est posée et ses yeux reflètent sa vivacité et sa détermination. Pouvoir raconter son histoire en détail tout en restant stable émotionnellement est une étape importante dans ce processus thérapeutique.
Un service militaire oppressif
« J’étais à l’école en neuvième année et je savais que, bientôt, je devrais faire mon service militaire. Pour certains, ce service ne termine jamais, et tant que l’on est dans l’armée, on est quasiment rien payé, explique-t-il. Pour moi, c’était clair qu’il n’y avait aucun avenir, pas de possibilité de choisir librement ce que je ferai et ce que je deviendrai, où je pourrais subvenir aux besoins de ma famille. J’ai donc décidé de partir, comme beaucoup d’autres Erythréens » ajoute-il. Ephraim a aujourd’hui 17 ans, mais il en avait 14 lorsqu’il a quitté l’Erythrée.
Chaque mois, environ 5 000 personnes fuient l’Erythrée et beaucoup d’entre eux sont, comme Ephraim, des adolescents. Pour chaque Erythréen, le service militaire obligatoire pour une durée indéterminée imposé par le régime oppressif les prive des droits humains les plus basiques. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles les gens fuient le pays. Ceux qui restent et ne se conforment pas au système subissent détention arbitraire, violence et intimidation.
Ephraim a connu sa part d’abus et d’emprisonnement, à la fois en Erythrée et pendant son trajet à la recherche d’une vie meilleure. A une étape de son voyage, il a été arrêté au Soudan, tandis qu’il tentait d’atteindre la Libye. Quasiment privé de nourriture et d’eau, il a frôlé la mort durant les 13 jours de traversée du désert. Il a alors été battu et jeté en prison où il est resté plusieurs semaines avant d’être renvoyé en Erythrée où il a été détenu de nouveau. « La prison en Erythrée était comme un trou dans le sol, sans fenêtre, sans lumière. On était plus de 80 personnes dans la pièce. Nous n’avions pas assez de place pour nous allonger, du coup, on passait la nuit assis et on faisait des roulements pour dormir » explique-t-il. Sa mère a réussi à le faire sortir, et il a tenté encore une fois de quitter le pays.
« Les soldats m’ont arrêté à la frontière, ils m’ont violemment frappé et m’ont renvoyé en prison. Les blessures causées par les coups se sont aggravées. J’ai commencé à tousser et je ne pouvais pas dormir à cause du sol et des douleurs. Je n’ai reçu aucune assistance médicale jusqu’à ce que les choses empirent. Seulement là, j’ai été envoyé à l’hôpital. J’ai été pris en charge puis renvoyé en prison » concède-t-il. Finalement, à sa troisième tentative, Ephraim a réussi à rejoindre le camp de réfugiés dans le nord de l’Ethiopie.
2 300 arrivées par mois dans les camps
Malgré la dureté de ce qu’il a traversé, son histoire n’est pas unique. Beaucoup d’autres Erythréens ont vécu des épreuves similaires. Bien que ces expériences puissent causer des traumatismes physiques, les conséquences sur la santé mentale sont beaucoup plus complexes à identifier et prendre en charge, et leurs impacts peuvent être destructeurs. Afin d’offrir des soins complets aux réfugiés érythréens, MSF a démarré un projet de santé mentale en 2015 à destination des populations des camps de réfugiés d’Hitsats et Shimelba. Avec une moyenne de 2 300 arrivées par mois, les camps de réfugiés dans le nord de l’Ethiopie sont l’une des premières destinations des Erythréens fuyant leur pays.
Robel Araya, responsable de la santé mentale pour MSF dans le camp d’Hitsats, a l’habitude des situations auxquels les réfugiés érythréens font face. « La majorité des gens que l’on reçoit ici dans le camp ont traversé des expériences traumatisantes. Quitter l’Erythrée est dangereux et plusieurs d’entre eux l’ont tenté à de multiples reprises avant de réussir. Beaucoup ont développé des dépressions, de la peur et des stress post-traumatiques causé par la torture, la violence et les abus. Ces conditions ont un effet très négatif sur leurs vies. Nos services de santé mentale peuvent les aider à se remettre sur d’aplomb » explique-t-il.
MSF apporte des conseils et offre des soins psychiatriques ou en ambulatoire, de même qu’un large éventail d’activités médicales, dont des discussions thérapeutiques et de la psychoéducation. Ainsi, les patients peuvent discuter de ce qu’il traverse et recevoir des renseignements détaillés concernant leur état et comment le surmonter. Réaliser que d’autres personnes éprouvent des difficultés similaires les aide à se sentir moins isolés.
Environ 40% de la population du camp a moins de 18 ans.
« Comme c’est le cas dans la majorité des contextes humanitaires, les enfants constituent l’un des groupes les plus vulnérables. La moitié d’entre eux se déplacent seuls ou ont été séparé de leur famille. La situation est très délicate. Ils ont tendance à souffrir d’anxiété due à la séparation, et dans certains cas, ils ont eu des expériences sexuelles précoces difficiles ou déroutantes. Ici, nous avons des activités spécifiquement conçues pour eux comme du sport, du dessin ou du théâtre, et ils bénéficient de conseils spécialisés » ajoute Robel Araya.
Ethiopie : un pays de passage pour les Erythréens
La population dans les camps est en majorité de passage. Selon des estimations, autour de 80% des réfugiés Erythréens continueront par le Soudan et la Libye puis par la Méditerranée dans les 12 mois qui suivront leur arrivée dans les camps éthiopiens. Les conditions des vies très difficiles dans les camps, l’absence de perspective, la moyenne d’âge, le désir de réunir les membres de leur famille dispersée dans d’autre pays semblent grandement contribuer à l’envie de partir.
« Nos activités de sensibilisation à destination des communautés doit être constantes car la population change en permanence. Les quelques personnes qui restent plus longtemps le font car elles manquent d’argent pour continuer leur route. Nous voyons aussi des gens qui ont essayé de partir, mais qui ont été arrêtés au Soudan ou en Libye où ils auront vu et vécu des choses terribles avant d’être renvoyés en Ethiopie, encore plus traumatisés qu’avant » détaille Robel Araya.
Des soins en santé mentale nécessaires
L’un des défis principaux est de convaincre les personnes de demander de l’aide. La crainte d’être étiqueté par la communauté comme « faible » ou « fou » les empêche de venir. « Au début, nous avons rencontré beaucoup de difficultés lorsque nous parlions de santé mentale avec les réfugiés. Nous avons donc décidé d’engager des travailleurs communautaires dédiés à la santé mentale, qui sont issus de la communauté réfugiée, afin qu’ils sensibilisent à la santé mentale, éduquent et dé-stigmatisent, par du porte à porte, et par des messages culturellement adaptés aux interlocuteurs » continue-t-il. Chaque jour ces travailleurs communautaires vont d’abris en abris et expliquent en détail comment les problématiques de santé mentale se manifestent, quels traitements sont disponibles et pourquoi il est important de demander de l’aide. Habituellement, ces sessions implique la famille entière et se déroulent dans leurs langues. « Maintenant, l’équipe est constituée de 26 travailleurs communautaires motivés. Cela aide que beaucoup d’entre eux soient nos précédents patients qui ont expérimenté directement les bénéfices des conseils et de la prise en charge. Erythréens eux-mêmes, ils savent comment aborder le sujet avec le reste de la population du camp. Leur implication vient de leur volonté d’aider leur communauté » conclut Roble Araya.
Simon est l’un des travailleurs communautaires MSF dédié à la santé mentale dans le camp d’Hitsats. Comme d’autres membres de l’équipe, il est réfugié érythréen et a rencontré MSF alors qu’il était un patient. « Quand je suis arrivé pour la première fois dans le camp, je n’allais pas bien. Je revivais en permanence toutes les choses que j’avais subies lors de ma première tentative de traverser la frontière et lors de mon séjour en prison… j’ai pris une balle, me suis fait torturé, abusé. Les conseillers m’ont vraiment aidé à reprendre ma vie en main. Je me suis rendu compte que je pouvais aider d’autres personnes qui avaient vécu la même expérience, explique-t-il. Etre un travailleur social dans le programme de santé mentale MSF est la seule chose qui me donne une certaine stabilité et une motivation. Le fait d'avoir un but m'a aidé à ne pas trop penser à l’éloignement de ma famille et de mes amis, et me permet de ne pas avoir trop envie de reprendre la route. Beaucoup de gens ici souffrent de traumatismes et de problèmes mentaux. Quand je vois qu'ils s'améliorent aussi grâce au soutien que j'apporte dans mon travail, j'ai l'impression que cela vaut la peine de rester ici. Même si je n'ai pas réussi à devenir infirmier comme j'en rêvais quand j'étais en Erythrée, je suis toujours capable d'aider les gens et cela me rend très heureux », déclare Simon avec fierté.
Les camps de réfugiés d’Hitsats et de Shimelba accueillent respectivement environ 10 000 et 6 000 personnes. Chaque année, MSF y offre environ 2 800 sessions individuelles de conseil et 3 600 consultations psychiatriques. En plus des activités de santé mentale, MSF dispense des soins de santé primaire et secondaire, dont des soins hospitaliers 24h/24 7j/7 dans le camp de réfugiés de Hitsats en partenariat avec l'Administration éthiopienne pour les réfugiés et les rapatriés (ARRA) et des services de transfert par ambulance vers l'hôpital Shire, situé à proximité, pour les patients en état critique. La sensibilisation à la santé reproductive et la prévention du VIH sont également assurées au niveau communautaire.
© Gabriele François Casini/MSF