Etre gynécologue en Syrie aujourd’hui

Je ne veux pas perdre espoir. J’espère que mes enfants connaîtront une meilleure patrie, une meilleure vie.

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Dr X est gynécologue pour MSF dans le nord-est de la Syrie. La guerre civile a poussé la plupart de ses collègues à fuir le pays, mais malgré la solitude, l’insécurité et les coupures d’électricité, il est résolu à poursuivre son travail. Il témoigne de son quotidien, en préférant ne pas donner son nom pour des raisons de sécurité.

« En Syrie, recourir aux services d’un gynécologue de sexe masculin n’est pas un souci mais, pour les réfugiées en provenance de Sinjar, en Irak, cela peut constituer un véritable problème. Les femmes refusent souvent d’être examinées – elles préfèreraient mourir plutôt que d’être auscultées par un homme.
Avant que MSF n’ait rénové le bloc opératoire de l’hôpital de Derik, les conditions de travail étaient loin d’être simples et nous ne disposions que de peu d’instruments chirurgicaux. Mais aujourd’hui, une nouvelle maternité s’est ouverte et je suis l’un des huit gynécologues de MSF à y travailler. Je suis également de garde pour les urgences dans les dispensaires de MSF situés à proximité.

Pour le moment, je reste

Avant la guerre, nous avions un grand nombre d’excellents médecins mais la plupart sont partis à l’étranger à cause de l’insécurité, le plus souvent en Allemagne ou dans le Kurdistan irakien. Je connaissais un chirurgien général à l’hôpital de Hassake, un médecin très compétent qui travaillait sans relâche. Un jour, les proches d’un patient lui ont mis un pistolet sur la tempe. Il a survécu à l’agression, mais bien qu’il ait alerté les autorités, aucune sanction n’a été prise contre ces gens. Un autre médecin a été kidnappé par un gang, qui l’a emmené de force à Deir ez-Zor pour pratiquer une opération. Heureusement, ils l’ont relâché ensuite.
Je me sens seul, professionnellement parlant, à la suite du départ de nombreux collègues chevronnés. Nous restons en contact via Internet et parfois je les appelle pour discuter de cas compliqués, mais ce n’est pas la même chose.
Je suis parfois en colère, à d’autres moments, je me demande si je ne suis pas stupide de rester. Mais la situation ici est vraiment difficile et le sentiment que l’on ressent quand on sauve une vie est incomparable. Je ne suis pas ici pour juger – je ne sais pas ce qui est bien et ce qui est mal – mais pour le moment, je reste.

Vivre dans la peur et la violence a un impact majeur sur la santé des femmes

Le conflit affecte les femmes de différentes manières. Avant de pratiquer une opération chirurgicale sur une femme, nous devons obtenir la signature de son mari ou d’un autre membre masculin de sa famille. Si une femme non accompagnée a urgemment besoin d’une césarienne, c’est un grand problème. Vivre dans la peur et la violence a un impact majeur sur la santé des femmes. Certaines d’entre elles développent des troubles nerveux. Beaucoup de femmes que j’examine ont une mauvaise alimentation car elles n’ont pas les moyens d’acheter de la nourriture de qualité.

Je ne veux pas perdre espoir

J’ai travaillé à Hassake pendant deux ans, mais le contexte sécuritaire était trop instable. J’ai rencontré une auxiliaire paramédical qui aidait les femmes violées par des hommes armés à avoir accès aux soins médicaux.
Travailler là-bas était aussi un véritable défi car l’équipement était médiocre et on ne savait jamais quand allait survenir une panne de courant. J’ai vécu une de mes pires expériences en tant que médecin lors d’un accouchement là-bas. Le cordon ombilical est sorti en premier, et il était évident que nous devions pratiquer une césarienne extrêmement rapidement si nous voulions sauver l’enfant. Mais nous avons alors découvert qu’il n’y avait plus du tout d’oxygène disponible dans l’hôpital. Alors que le personnel cherchait désespérément dans tout le bâtiment, je me trouvais là, impuissant, à écouter les battements de cœur du bébé ralentir peu à peu. Encore aujourd’hui, j’essaie d’oublier ce drame.
Je ne veux pas perdre espoir. J’espère que la situation s’améliorera dans mon pays. J’espère que mes enfants connaîtront une meilleure patrie, une meilleure vie. »