Une fenêtre ouverte sur une crise de plus grande envergure

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Il y a un an, les projecteurs de l’actualité mondiale se sont braqués sur le Myanmar (Birmanie) après le passage du cyclone Nargis qui a fait 140 000 morts ou disparus et a laissé un nombre plus grand encore de personnes dénuées de tout. Les critiques ont condamné, à juste titre, une réaction tardive et inadéquate à la tragédie.

Pourtant, ils continuent à passer sous silence la terrible réalité de la crise sanitaire généralisée dans l’ensemble du pays. Chaque année, des dizaines de milliers de personnes au Myanmar meurent de maladies curables en raison d’un manque extrême de soins médicaux de base à cause de la passivité du gouvernement et de la réticence internationale à s’engager dans l’assistance humanitaire.
MSF a réagi immédiatement à Nargis, en apportant des soins médicaux, de la nourriture et d’autres biens de première nécessité aux survivants dans les 48 heures. Cependant, comme ceux des autres organisations humanitaires, nos efforts ont été entravés lors des premiers jours car les spécialistes étrangers de l’aide d’urgence se sont vu refuser l’accès à la zone touchée du delta. La communauté internationale a été outragée à juste titre et certains ont prédit de nombreux décès supplémentaires en l’absence d’une assistance immédiate à grande échelle.
Le décompte des décès dus à la catastrophe dans le delta n’a pas augmenté jusqu’au niveau prédit et un nombre sans précédent d’organisations sont devenues opérationnelles dans le delta pour répondre aux besoins immédiats et à long terme des personnes encore vulnérables. Dans un contraste saisissant, les crises sanitaires chroniques sont restées largement incontrôlées dans la majeure partie du reste du pays. Les maladies les plus répandues comme le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose tuent des dizaines de milliers de personnes chaque année et pourtant le Myanmar ne reçoit guère d’aide officielle – juste 3 $ par personne et par an – ce qui se traduit par un faible nombre d’associations humanitaires sur place. Ce manque d’assistance est inexcusable. Même si cela n’est pas facile, il est possible de fournir une assistance impartiale pertinente à la population du Myanmar tout en restant en mesure de rendre compte des ressources employées. Malheureusement la plupart des gouvernements donateurs semblent préférer une politique générale de désengagement du pays même lorsqu’il est question d’une aide qui sauve des vies. Sauf si cette situation change, le bilan en vies humaines continuera de s’alourdir.
Le manque d’aide internationale au Myanmar ne dédouane pas le gouvernement de sa responsabilité de répondre à la crise sanitaire. D’après les constatations de MSF, la réponse du gouvernement à Nargis a été lente et inadaptée. Pourtant, dans le reste du pays, sa réponse est encore pire. Il dépense juste 0,3 % du PIB pour la santé, le plus faible pourcentage du monde, et dans le même temps crée un environnement difficile pour les ONG internationales. Le résultat combiné est la plus faible espérance de vie et le plus fort taux de mortalité pour les enfants de moins de cinq ans dans la région (d’après l’OMS) et un pays ravagé par les maladies les plus répandues comme le paludisme, le VIH/sida et la tuberculose.
Le paludisme, une maladie qui est relativement facile à traiter, est l’une des premières causes de mortalité au Myanmar en raison du manque de diagnostics et de médicaments efficaces et abordables. De même, le VIH/sida tue des milliers de personnes chaque année en raison d’une grave pénurie de traitement antirétroviral. Environ 76 000 personnes ont un besoin urgent d’un tel traitement mais seules 14 000 d’entre elles l’ont reçu, pour l’essentiel fourni par MSF. Nous avons fait pression pour une montée en puissance rapide de la mise à disposition du traitement mais le programme gouvernemental demeure modeste et les organisations non gouvernementales ont fui leur engagement de fournir un traitement antirétroviral. En outre, le Myanmar affiche aussi l’un des taux de tuberculose les plus élevés du monde, avec environ 134 000 cas connus rapportés par le gouvernement en 2007. Le programme national de lutte contre la tuberculose est insuffisamment financé tandis que le secteur privé non réglementé est coûteux et fournit des soins d’une qualité très insuffisante. Le résultat est un taux élevé d’échec du traitement, ce qui entraîne une résistance accrue aux médicaments.
D’ici le 1er juin, le gouvernement devrait soumettre une proposition au Fonds mondial (FM) de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme. Si la proposition est acceptée, le Fonds offrira de nouvelles possibilités pour lutter contre ces maladies. Néanmoins, les besoins sont si vastes dans l’ensemble du pays que même avec le soutien du FM, on estime que 80 % des besoins resteront insatisfaits – ce qui équivaut à des dizaines de milliers de décès qui pourraient être évités. Il est donc crucial que d’autres donateurs, notamment le Fonds des trois maladies (3DF) et le Global Disease Fund (tous deux soutenant la lutte contre le VIH/sida, le paludisme et la tuberculose), reconnaissent l’énorme déficit d’assistance et étendent ou renforcent leur soutien.
Bien qu’avec retard, les organisations internationales ont fini par affluer dans le delta après le cyclone Nargis, entraînant une concentration d’aide beaucoup plus élevée dans cette zone que partout ailleurs dans le pays. Cet engagement évident est crucial pour les survivants de Nargis ; beaucoup d’entre eux resteront vulnérables pendant les années à venir. Néanmoins, il existe des dizaines de milliers d’autres personnes dans tout le pays qui ne passeront pas l’année si elles n’ont pas accès au bon traitement pour la tuberculose, le paludisme ou le VIH/sida. Le gouvernement birman est, en tant que premier responsable, tenu de s’assurer qu’ils sont soignés et il n’est pas à la hauteur. Pourtant, un échec ne doit pas s’ajouter à un autre. Le peuple birman n’a pas les moyens d’attendre tandis que la communauté internationale retient une aide essentielle par respect d’une politique de non-engagement.
Jean-Sébastien Matte et Joe Belliveau, responsables des opérations, Médecins Sans Frontières