«J’ai eu du mal à croire qu’un tel niveau de violence est possible»
© Laurence Hoenig/MSF
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Ana Maria est psychologue et référente en santé mentale pour MSF. Malgré sa très grande expérience auprès des survivants de violences, elle revient de République démocratique du Congo (RDC) abasourdie par l’infamie des atrocités commises dans la région des mines d’or et de diamants de l’Ituri, dans l’est de la RDC.
«De violentes attaques ont eu lieu dans les environs de Nia Nia, à l’est de la Province orientale, depuis le mois de mars. Alors que différents groupes de braconniers se disputent les profits de cette économie illégale depuis des décennies, nous faisons face à un pic de violence tout à fait exceptionnel.
L’enfer sur terre
Je suis personnellement très surprise que les gens arrivent à exprimer l’enfer qu’ils ont vécu. Je pensais avoir tout entendu, mais cette fois, j’ai eu du mal à croire qu’un tel niveau d’horreur est possible. C’est comme si les pires vices humains avaient été mis en scène pour détruire, pour avilir, humilier et déshumaniser.
Les victimes n’ont pas seulement été violées, elles ont été retenues comme esclaves sexuelles, parfois pendant des mois, agressés sexuellement avec violence par plusieurs hommes, plusieurs fois par jour et souvent sous les yeux de leurs parents, maris ou proches. Les femmes ne sont pas les seules victimes: dans une proportion moins grande, j’ai aussi rencontré de jeunes enfants et des hommes victimes d’agressions.
Tous sont victimes de violences
Les violences auxquelles les populations doivent faire face ne sont pas seulement de caractère sexuel. Si les miniers n’ont pas tous vécu de sévices, rares sont ceux qui n’ont pas été exposés à une violence extrême, spectateurs parfois forcés d’actes de torture.
Les mineurs qui avaient construit des campements au cœur de la forêt du parc fuient par peur des attaques ou pour chercher de l’aide lorsqu’ils en sont victimes. Au prix de la perte de leur moyen de subsistance, ils tentent de trouver refuge et protection dans des villes comme Nia Nia. Dans cette ville, dont l’économie ne repose que sur le commerce de l’or et de diamant, tout est importé et cher, y compris l’eau et la nourriture.
Accueillis dans la communauté
Il est presque impossible de voir les déplacés, qui constituent désormais près d’un quart de la population. Ils n’ont pas construit d’habitats temporaires mais ont été accueillis par des proches, des connaissances, ou des personnes qui leur ont ouvert les portes de leurs concessions. Une semaine après l’autre, de nouvelles personnes fuyant leurs villages arrivent à Nia Nia, alors que d’autres retournent chez elles pour travailler dans les mines et gagner de quoi vivre.
Les victimes n’ont pas été stigmatisées, bien au contraire; elles ont été accueillies, soutenues et écoutées. La composante sociale a joué un rôle clé. Depuis que nous avons ouvert le service, de nombreuses personnes se présentent au centre, orientées par d’autres survivants de violences ou par des voisins. J’ai été très impressionnée par la résilience de la population, par les mécanismes que la communauté a mis en place.
Besoin de soutien psychologique
Quand MSF est arrivée à Nia Nia, l’équipe a commencé à dispenser des soins de santé primaire gratuits. Ils ont aussi immédiatement identifié des besoins en santé mentale et mis en place un soutien psychologique. Depuis, de nombreuses personnes sont venues au centre, souvent accompagnées par d’autres survivants de violence ou par des voisins.
Les personnes ayant survécu à des violences, et en particulier celles qui ont survécu à des violences sexuelles, ont accès à des consultations psychologiques et à un ensemble de soins spécifiques. Mais la nature des viols commis complique la prise en charge des survivants. La prophylaxie post exposition par exemple, qui protège contre le VIH, les infections sexuellement transmissibles et les grossesses non désirées, ne fonctionne pleinement que si elle est administrée dans les 72h après l’agression. Les esclaves sexuelles détenues pendant des mois sont donc privées de ces soins essentiels.
Des traumatismes sur le long terme
Des mois après leur agression, les traumatismes physiques et psychologiques sont toujours visibles chez les survivants. Beaucoup souffrent de douleurs, plaies infectées, stress, dépression et terreurs nocturnes.
L’insécurité dans laquelle vivent les survivants de violences participe également à leur stress. Ayant perdu leur moyen de subsistance, ils ne savent pas de quoi demain sera fait et craignent d’être forcés de retourner dans les mines sous le joug de leurs agresseurs.
Une violence exceptionnelle et indicible
Les violences, et en particulier les violences sexuelles, ne sont pas un phénomène nouveau en RDC ; mais qu’on se le dise, les atrocités commises ne sont ni quotidiennes, ni habituelles pour les populations qui en sont victimes… personne ne peut accepter un tel niveau de violence!
Nous sommes tous choqués et révoltés par les atrocités commises. Les équipes, en particulier les équipes locales, sont suivies très sérieusement: elles sont confrontées à un niveau de violence très inhabituel. Nous avons le devoir de dire les infamies qui se déroulent en ce moment dans les environs de Nia Nia, nous avons le devoir de briser le silence pour soutenir les populations.
© Laurence Hoenig/MSF