Lac Tchad: l’extrême précarité des déplacés de Boko Haram
© Abubakr Bakri/MSF
7 min
Les affrontements entre le groupe Boko Haram et l’armée nigériane ainsi que les attaques contre les civils dans l’Etat de Borno, dans le nord-est du Nigeria, poussent des milliers de personnes à fuir leur foyer en quête d’un lieu sûr.
Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), ils seraient plus d’1,5 million de personnes déplacées dans cette zone. La plupart sont déplacées dans leur pays, en particulier dans le nord-est du Nigeria, mais plus de 157 000 personnes ont passé les frontières du Niger, du Tchad et du Cameroun depuis janvier 2015.
Ces pays doivent également faire face aux attaques sporadiques et offensives militaires sur leur territoire, qui ont déjà causé la mort de dizaines de personnes et des déplacements internes de population. Cette semaine encore, la nuit de mercredi 17 juin, une attaque dans deux villages au sud du Niger a provoqué des dizaines de victimes ; deux jours avant, le lundi 15 juin, deux attentats à la bombe attribués à Boko Haram ont eu lieu dans la capitale tchadienne, N’djamena.
La crise nigériane exacerbe une situation précaire et affecte une population déjà extrêmement vulnérable. De plus, avec l’insécurité, les organisations humanitaires ont beaucoup de mal à évaluer les besoins dans la région. MSF est aujourd’hui une des rares organisations présente dans la région qui apporte un support aux autorités nationales pour venir en aide aux populations dans les quatre pays affectés autour du Lac Tchad.
Nigeria : plus d’un million de déplacés internes dans une région instable
La situation sécuritaire dans l’Etat de Borno est toujours extrêmement tendue et volatile. Il y a plus d’un million de déplacés internes dans le Borno et près de 400 000 vivent aujourd’hui à Maiduguri, la ville principale de la région. Une grande partie d’entre eux sont aidés par les communautés locales, alors que plus de 77 000 sont regroupés dans 13 camps de déplacés dans la ville.
MSF mène des activités médicales dans quatre de ces camps, offrant ainsi aux 34 000 personnes qui y vivent un accès aux soins. Chaque semaine, nos équipes dispensent des centaines de consultations, la plupart pour les enfants de moins de cinq ans, dans les cliniques de chacun de ces camps. MSF offre aussi plus de 2 millions de litres d’eau par mois aux déplacés et à mis en place un système de veille sanitaire dans cinq camps.
Alors que la situation est stabilisée dans ces camps, la priorité de MSF est d’apporter un support aux personnes qui vivent au sein des communautés d’accueil ainsi qu’à leurs hôtes. MSF a mis en place une clinique à Maimusari dans le district de Jere, un bidonville de Maiduguri, pour offrir des soins à 120 000 personnes. La structure comprend une maternité de 12 lits et 60 lits pour la pédiatrie, la nutrition et les soins intensifs.
Niger : des pics de malnutrition et de paludisme sont attendus
Selon l’Office de Coordination Humanitaire des Nations Unies, 175 000 personnes seraient déplacées dans la région de Diffa, dans le sud-est du Niger. La plupart d’entre eux sont arrivés récemment, après que les autorités nigériennes aient demandé aux populations installées sur les îles du Lac Tchad de quitter suite aux attaques meurtrières de Boko Haram. Près de 25 000 personnes sont désormais installées dans deux camps près des villes de Bosso et Nguigmi.
MSF a déployé des cliniques mobiles dans ces deux camps pour y apporter des soins de santé de base aux populations isolées. Les équipes réfèrent les cas graves à l’hôpital de Diffa et gèrent le centre de référence mère-enfant, qui inclue une maternité et une pédiatrie ainsi qu’un laboratoire dans la ville de Diffa. Trois centres de santé des alentours sont également soutenus par MSF, à Geskerou, Ngaroua et Nguigmi, ou près de 16 000 consultations ont été dispensées jusqu’aujourd’hui, dont 65% pour des enfants de moins de cinq ans.
Avec l’arrivée de la saison des pluies dans les semaines à venir, la situation pourrait se détériorer. Les conditions sanitaires pourraient encore s’empirer, faisant craindre une épidémie de choléra. D’autre part, des pics de malnutrition et de paludisme sont attendus pendant la période de soudure. «Les besoins principaux sont les abris, l’eau et l’assainissement ainsi que la santé et la protection. Cependant, il y a encore quelques organisations qui travaillent dans la région», explique le coordinateur du projet de Diffa, Aissami Abdou.
Cameroun : des craintes sur la sécurité alimentaire
A quelques kilomètres plus à l’est, au Cameroun, la situation sécuritaire près de la frontière nigériane est toujours volatile, avec des incursions fréquentes de Boko Haram. Les réfugiés continuent d’arriver chaque jour dans des camps mis en place par les autorités nationales dans la région de l’Extrême Nord.
«Je viens juste d’arriver de Gawar avec mon mari et quatre de mes enfants. Les combattants de Boko Haram ont kidnappé nos trois filles. Nous n’avons aucune nouvelle, nous ne pouvons faire que prier pour elles» raconte Emmanuelle, une des 40 000 personnes réfugiées installées dans les deux camps de Minawao et de Gawar, où MSF apporte des soins de santé primaires, de l’eau et assainissement en collaboration avec les autorités nationales et les autres agences humanitaires. 60% de l’eau des camps est apportée par MSF et plus de 500 consultations médicales sont dispensées chaque mois.
«L’augmentation de la population due aux déplacements pourrait avoir un réel impact sur la sécurité alimentaire dans la zone», explique Hassan Maiyaki, chef de mission de MSF au Cameroun. «Aujourd’hui nous renforçons notre soutien au centre de réhabilitation nutritionnelle intensif de l’hôpital de district de Mokolo, où nous offrons des soins pédiatriques et nutritionnels aux réfugiés, aux déplacés et à la population locale qui aurait besoin d’une hospitalisation». MSF est aussi présente à Koussieri, près de la frontière avec le Tchad, ou près de 30 000 déplacés sont regroupés autour de la ville. Trente-six patients nécessitant une intervention chirurgicale ont été pris en charge par nos équipes au cours du mois de mai.
Tchad : la sécurité continue de se détériorer
MSF a débuté fin février ses activités de réponse aux déplacements de populations liées à Boko Haram dans la région du Lac Tchad. Selon le HCR, il y a actuellement plus de 18 000 réfugiés ayant fui l’insécurité du Nigéria. Ils sont arrivés près du Lac Tchad, une des régions les plus pauvres du pays, dans lequel le taux de couverture vaccinale est faible et les risques épidémiques élevés.
Boko Haram est une menace pour le Tchad, car le groupe est actif autour du Lac. La situation sécuritaire continue de se détériorer dans le pays. En février, une attaque menée à Ngouboua a poussé des milliers de résidents et de réfugiés à fuir. Plus récemment, le 15 juin, deux attentats à la bombe attribués à Boko Haram ont été perpétrés à N’Djamena, la capitale, faisant 27 morts et 101 blessés. MSF a soutenu les principaux hôpitaux du ministère de la Santé en effectuant des donations de matériel chirurgical et médical pour répondre à l’afflux de patients. Récemment, MSF a également organisé une formation à l’Hôpital Général pour la gestion et la prise en charge des patients en cas d’afflux des blessés.
MSF mène actuellement des cliniques mobiles à Forkouloum, dispensant près de 850 consultations médicales par semaine, principalement pour des diarrhées et de infections respiratoires. Beaucoup de patients sont des tchadiens qui ont été déplacés par les violences. Le support psychologique est un axe essentiel de la réponse de MSF. Les équipes apportent un soutien mental individuel ou de groupe dans le camp de réfugiés de Dar es Salam. Des soins médicaux et un soutien psychologique sont aussi apportés aux victimes de violences sexuelles. A cette date, MSF a mené 223 consultations de santé mentale.
En collaboration avec les autorités locales, MSF a aussi distribué du matériel d’hygiène et des kits pour la construction d’abris à près de 6 000 personnes à Ngouboua, Bagasola et aux alentours de Forkouloum. Les kits comprenaient des couvertures, des bâches en plastique et des moustiquaires.
© Abubakr Bakri/MSF