Réparer des vies brisées: MSF soigne des manifestants blessés à Bagdad

Bagdad, 26.11.2019

Irak8 min

En complément de la rééducation physique, le personnel médical du BMRC considère le soutien mental comme un élément clé de la convalescence. Au cours des consultations en santé mentale, les psychologues et conseillers cherchent à identifier la dépression et l'anxiété des patients, à les aider à gérer leurs souvenirs souvent traumatisants et à les aider à s'adapter à leur nouvelle réalité.

En 2017, alors que la guerre pour reconquérir les villes irakiennes aux mains de l'Etat islamique (IS) faisait des quantités de morts, de blessés ou de mutilés, Médecins Sans Frontières (MSF) a ouvert le centre de réhabilitation médicale de Bagdad (BMRC) dans la capitale irakienne. Depuis, le BMRC assure une réhabilitation médicale et physique rapide aux hommes, femmes et enfants blessés pendant les combats.

Lorsque la guerre a cessé de faire la une des journaux, le BMRC a élargi ses critères d'admission et a commencé à recevoir les victimes de traumatismes non violents, comme ceux qui ont été impliqués dans des accidents de la route et des accidents industriels, tout en continuant à prendre en charge les blessés dus aux violences qui se poursuivent à Bagdad. 

Le 1er octobre dernier, des protestations de masse ont éclaté à Bagdad en raison de la détérioration des conditions de vie, de la hausse du taux de chômage et du manque de services de base. Des violences ont accompagné les manifestations et les structures de santé de la capitale ont été inondées de blessés. 

Dès le début, MSF a suivi de près la situation dans la capitale et a contacté plusieurs centres de santé pour identifier leurs besoins, leur apporter un soutien et faire des donations de matériel médical d'urgence.

Dans le même temps, le BMRC, initialement conçu pour 20 lits, a été agrandi pour pouvoir prendre en charge, d'octobre à décembre, jusqu'à 30 patients. Le centre traite ceux qui ont besoin de physiothérapie et offre des soins postopératoires, y compris un soutien en santé mentale pour traiter les traumatismes qui accompagnent souvent les chocs subies.

Des blessures de guerre, en temps de paix

Le 27 octobre aux alentours de 9h30 du matin, la femme de Yasser Falah* lui annonce qu’elle est enceinte. Deux heures plus tard, il est touché par une bombe lacrymogène et transporté d'urgence en tuk-tuk vers un hôpital voisin. Référé dans une autre structure, il y subit deux interventions chirurgicales avant d'être transféré au BMRC pour commencer sa rééducation.

La nuit, Yasser a du mal à s’endormir. Son esprit voyage dans le nord du pays, là où, pendant la guerre, il a dû déterrer le corps de sa mère dans les ruines de leur maison à la suite d’une attaque aérienne sur les villes irakiennes occupées par l'Etat islamique. Malgré les somnifères, il n’arrive pas à dormir plus de deux heures par nuit. Yasser a aussi perdu l’appétit et, ne prend que, de temps en temps, qu’une bouchée de la nourriture empilée à côté de son lit.

Je suis diplômé de l'Institut des Beaux-Arts, mais après avoir été blessé, j'ai perdu l’envie de dessiner.

Yasser

« Je pense tout le temps à ma famille et à mon travail, je suis leur seule source de revenu, mais à cause de ma blessure, je n'ai pas travaillé depuis trois semaines. »

A cause des broches métalliques du fixateur externe sur sa jambe gauche, Yasser utilise des béquilles pour se déplacer et aller à la rencontre des autres pensionnaires du BMRC. Il traîne sur un toit pour profiter de quelques heures de soleil et fumer plusieurs cigarettes en compagnie d'autres patients. Ils y tissent des liens, partagent leurs espoirs, leurs inquiétudes et leurs émotions et rêvent d'un rétablissement rapide pour reprendre leur vie en main.

Les préoccupations de Yasser sont partagées par d'autres patients du BMRC, également blessés lors des manifestations. Bien que leurs blessures ne soient pas si surprenantes/impressionnantes pour le personnel médical irakien expérimenté employé par MSF, les blessures de nombreux patients sont comparables, en termes de gravité, à celles des blessés de guerre reçus en 2017.

Des membres amputés, des vies perdues 

Des heures auront été nécessaires pour éteindre et retirer la bombe lacrymogène logée dans la jambe droite de Saif Salman. Après plusieurs interventions chirurgicales dans différents établissements de santé de Bagdad, la décision a finalement été prise de l'amputer. Toute autre intervention semblait inutile et l’amputation inéluctable.

J'étais sur le pont al-Jumhouriyah quand une bombe lacrymogène m'a touché à la jambe.

Saif Salman

« Elle s'est enfoncée dedans tout en continuant à émettre du gaz fumigène. J'ai ouvert les yeux sur les conducteurs de tuk-tuk et sur les autres personnes qui se pressaient autour de moi. Ils m'ont transporté à l'hôpital », raconte-t-il.

« C'est vrai, ils m'ont amputé d’une jambe mais il m’en reste une autre ainsi que mes deux mains. J'ai trois autres membres avec lesquels je peux travailler. Je n'ai rien perdu. En fait, je me sens plus léger maintenant », plaisante Salman du haut de ses 24 ans.

Son sens de l'humour accélèrera son processus de guérison et celui de ses paires, mais le traumatisme et l’angoisse restent néanmoins perceptibles. Salman se souvient, en larmes, de son camarade de classe et ami ayant trouvé la mort au cours des manifestations.
« Je ne supporte pas de voir sa photo et je suis triste quand je pense à lui. Il ne méritait pas de mourir… J’aurais préféré que ce soit moi, pas lui », sanglote Salman.

Une réeducation précoce pour un meilleur rétablissement

Au sein du BMRC, une équipe multidisciplinaire composée de médecins spécialisés, d'infirmiers, de physiothérapeutes, de psychologues et de personnel paramédical assiste la trentaine de patients hospitalisés et propose des sessions en journée à ceux en condition suffisante pour rentrer chez eux chaque soir.

Le travail commence une fois que l’opération du patient est terminée et que celui-ci est transféré au BMRC. Ces cas sont identifiés au préalable par un réseau de médecins dans les hôpitaux de Bagdad et par l'équipe MSF qui fait la tournée des structures de santé de la capitale à la recherche de patients nécessitant des soins postopératoires intensifs et une rééducation.

« Le fait de commencer la rééducation rapidement joue un rôle dans la réduction des conséquences médicales à court terme et des conséquences physiques et psychologiques à long terme des blessures », explique le Dr Aws Khalaf, responsable des activités médicales au BMRC.

Bagdad, 26.11.2019

Le patient Saif Salman parle avec une équipe médicale du centre de réadaptation médicale de MSF à Bagdad. Il a été blessé lorsqu'il a été touché par une bombe lacrymogène lors des récentes manifestations à Bagdad. Ses blessures étaient si graves que sa jambe a été amputée.

© Nabil Salih/MSF

Selon le Dr Khalaf, le fait de ne pas recevoir de soins postopératoires précoces peut entraîner la formation de caillots sanguins et d’infections. En réduisant l'impact des blessures et en accélérant le processus de rétablissement des patients, le personnel médical du BMRC leur permet réintégrer leur communauté en tant personnes actives, et non comme un fardeau pour les autres. 

À ce jour, 75 % des patients traités par MSF au BMRC ont quitté le centre après que leur état psychologique se soit amélioré.

L'impact social durable de la violence 

Comme beaucoup de ceux qui ont été blessés au cours des heurts ayant secoué l’Irak récemment, Kadhim Dhaygham, chauffeur de tuk-tuk de 16 ans, et son frère étaient les seules sources de revenus pour leur famille. Comme beaucoup, ils ont commencé à travailler très jeune à cause de la situation économique désastreuse qui les a poussés à manifester. 

Dans l’après-midi du dimanche 27 octobre, après avoir parqué son tuk-tuk près du pont Al-Jumhuriyah, une bombe lacrymogène s’est enfoncée dans la jambe de Kadhim.

C’était tellement puissant qu’après avoir percuté la personne en face de moi, la bombe a touché ma jambe et celle de l’homme derrière moi.

Kadhim

 « J’ai tenté de me relever et j’ai commencé à ramper, puis quelqu’un m’a porté jusqu’à un tuk-tuk. Le chauffeur m'a conduit à l'hôpital universitaire de neurochirurgie d’ où ils m'ont référé à al-Kindy » rappelle Kadhim. 

Après avoir subi une première intervention chirurgicale en urgence et s'être fait installer un fixateur externe pour soutenir ses os brisés, dans un autre hôpital, le chirurgien de Kadhim l'a dirigé vers le BMRC, où le personnel médical a « ramené sa jambe à la vie » grâce à une physiothérapie immédiate.

Malgré l’amélioration de son état, Khadim à se sentir « privé de tout ». Il se sent triste, loin de ses proches, incapable de quitter sa maison. Il aspire à une vie normale, à dîner dehors avec ses amis et des promenades en tuk-tuk dans la ville. Originaire d'un quartier pauvre de l’est de la capitale, Kadhim est impatient de retourner au travail et d'aider son frère aîné à subvenir aux besoins de sa famille.

* le nom a été modifié