Les soins de santé dans la ligne de mire
© Alexander Glyadyelov
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La violence contre le personnel soignant est un problème alarmant mais négligé, estiment Peter Maurer, le président du CICR, et Unni Karunakara, le président international de MSF.
«Des hommes armés dans des hôpitaux qui harcèlent des patients, des structures de santé utilisées pour identifier et capturer des ennemis, des cliniques abandonnées et des hôpitaux détruits, des services d'urgence débordés, où le personnel médical vit dans la terreur de représailles pour avoir fourni des soins, des ambulances qui ne peuvent accéder aux blessés ou bloquées aux check points pendant des heures, des groupes entiers de personnes qui sont privées d’assistance médicale à cause d’animosités et de divisions profondes… Ces problématiques sont malheureusement rencontrées dans de nombreux contextes d’intervention.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et Médecins Sans Frontières (MSF) condamnent fermement tout acte qui vise délibérément à entraver l'action médicale et à refuser l’accès aux soins de santé aux blessés et aux malades. Un patient ne peut être considéré comme un ennemi. Les malades et les blessés ne sont pas des combattants. L’éthique médicale oblige tous les professionnels de santé à soigner les patients sans discrimination et à préserver l'acte médical libre de toute ingérence. Le personnel médical doit agir de façon impartiale et ne privilégier un patient que pour des raisons médicales. À cette fin, les structures de soins ¬ les ambulances, les cliniques mobiles, les postes de santé et les hôpitaux – doivent rester des espaces sûrs et neutres.
Cependant, de la Syrie à la République démocratique du Congo, de Bahreïn en passant par le Mali et jusqu’au Soudan, il semble que cette impartialité ne soit pas respectée. Aussi, les civils paient le prix fort et des milliers de personnes sont aujourd’hui privées d’assistance médicale.
Depuis décembre 2012, 29 personnes ont été tuées alors qu’elles menaient des campagnes de vaccination contre la poliomyélite au Nigéria et au Pakistan, deux des trois pays où cette maladie est toujours endémique. Comme dans les nombreux autres cas de violence contre les établissements et les travailleurs de santé, la perte tragique des victimes et la douleur de leurs familles ne sont qu’une des conséquences directes de ces attaques. Des milliers d'enfants qui auraient pu être immunisés sont exposés aux risques de poliomyélite et de paralysie. Les organismes de santé sont alors dans l’obligation de revoir leurs activités et d’intégrer la sécurité aux difficultés associées à la fourniture de soins médicaux.
Un problème sous-estimé
L’ampleur du problème est alarmante. La plupart des incidents qui, d’une façon ou d’une autre, privent les blessés et les malades de leur accès aux soins de santé sont passés sous silence. Un nombre inconnu mais indiscutablement très important de personnes continue ainsi de souffrir de maladies ou de blessures sans pouvoir recourir aux soins nécessaires. Ils demeurent souvent invisibles aux professionnels de santé, aux gouvernements et aux organisations internationales.
MSF et le CICR souhaitent exposer l'ampleur et les conséquences de cette menace sur les soins de santé. L'objectif est d'apporter des changements concrets sur le terrain, de sorte que les populations puissent avoir accès sans crainte aux soins médicaux dont elles ont besoin, quels que soient leur identité et l’endroit où elles se trouvent.
La conduite et la rigueur des professionnels de santé eux-mêmes – notamment les personnel impliqué dans la gestion, l'administration et le transport, l’établissement de diagnostics, la prévention et le traitement – sont essentielles. Garantir l'acceptation de l’exercice médical par toutes les communautés et les groupes politiques et militaires demeure une condition primordiale pour opérer dans des contextes sensibles et volatiles. Cela requiert un respect sans équivoque de l’éthique médicale et de l’impartialité.
Néanmoins, dans certains projets en Afghanistan où nos organisations interviennent, la sécurité de nos structures médicales a été maintenue et les soins de santé assurés, en dépit d'un contexte violent. Afin que cette situation ne soit pas une exception, nous souhaitons encourager un effort concerté et global dans la protection des soins de santé.
Respect des symboles
Ainsi, les symboles identifiant clairement les services médicaux, comme la croix rouge, le croissant rouge, ou l’emblème de MSF, doivent induire le respect et la protection de l’action médicale. Quand ces symboles sont usurpés ou ignorés, la protection du patient et des professionnels de la santé devient vaine.
Le véritable défi reste cependant de trouver les moyens de prévenir de tels actes. Les Etats et toutes les parties au conflit ont la responsabilité première de faire en sorte que la fourniture de l’assistance médicale ne soit pas la cible d’attaques, qu’elle ne soit entravée ou exploitée de façon abusive d’aucune manière. Les professionnels de santé doivent être soutenus dans l'exercice de leurs fonctions. Les États doivent veiller à ce que toutes les mesures possibles soient prises pour protéger l'action médicale à travers une législation nationale adéquate, et à ce que ces mesures soient réellement effectives.
La protection des malades et des blessés est au cœur des Conventions de Genève. Cependant, la violence sous toutes ses formes envers le personnel soignant et les structures médicales représente l'une des questions humanitaires les plus graves, et pourtant les plus négligées aujourd'hui. L'acte médical profite à tous, combattants et non-combattants, et toute personne en souffrance doit pouvoir y accéder de manière inconditionnelle.»
© Alexander Glyadyelov