«Le Swaziland doit urgemment redoubler d’efforts contre la double épidémie»
© Jonathan Heyer /MSF
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Présent au Swaziland depuis 2008, MSF a contribué à la décentralisation des soins contre le VIH/sida et la tuberculose (TB). Mais la double épidémie est encore loin d’être enrayée. Le point avec Aymeric Péguillan, le chef de la mission MSF au Swaziland.
Le Swaziland occcupe une place très particulière sur la carte mondiale du VIH/sida. Ce petit Etat enclavé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique est le plus touché par la pandémie. 26% de la population adulte est contaminée par le virus, soit le taux d’infection le plus élevé au monde. Comme les autres pays d’Afrique australe, le Swaziland est également confronté à une épidémie de tuberculose (TB). Cette maladie est la première cause de la mortalité et, pour ne rien arranger, elle est de plus en plus résistante aux médicaments et donc de plus en plus difficile à soigner. On recense 1’198 malades de la TB pour 100’000 habitants et plus de 80% d’entre eux sont aussi porteurs du VIH/sida.
MSF a commencé son programme au Swaziland en janvier 2008. L’organisation médicale internationale soutient 21 structures de santé dans la région de Shiselweni, dans le sud du pays. Tous ces établissements dépendent du ministère de la Santé. Interview avec Aymeric Péguillan, chef de la mission MSF au Swaziland.
Quelle est l’approche de MSF dans un contexte aussi critique?
Aymeric Péguillan: En arrivant sur place, nous savions que nous ne pouvions espérer enrayer la double épidémie de VIH/sida et de TB sans décentraliser les soins. Le Swaziland est un petit pays mais il est majoritairement rural avec d’innombrables hameaux isolés. Le gouvernement a mis en place un programme contre la TB dès les années 1960 mais jusqu’à récemment il était complètement centralisé et non adapté au nombre croissant de patients ces dernières années. Les patients devaient faire de longs et couteux trajets pour être soignés. Nombre d’entre eux abandonnaient leur traitement. Les choses ont encore empiré avec l’apparition du VIH/sida qui a affaibli davantage les organismes des malades.
Où est la priorité? La lutte contre le VIH/sida ou contre la tuberculose?
Les deux en même temps. On ne peut pas traiter les malades co-infectés par le VIH/sida et la TB à deux endroits différents. Dans les cliniques et les centres de santé de la région de Shiselweni, les soins sont désormais intégrés et le personnel est formé dans ce sens. Mais, autre immense problème, le Swaziland manque cruellement de médecins et ne forme pas assez d’infirmières. Pour MSF, la solution à cette crise de ressources humaines est de confier davantage de tâches et de responsabilités au personnel moins qualifié. Les infirmières doivent pouvoir prescrire des médicaments ou initier des traitements dans des cas de TB sans complication ou résistance.
Dans la même idée d’un transfert de tâches, MSF s’appuie sur des «patients experts». Ces personnes, vivant elles-mêmes positivement avec le virus du sida, font du dépistage, conseillent et informent les nouveaux patients sur les spécificités des traitements, sensibilisent leur communauté aux risques de transmission, à l’accès aux traitements et aux moyens de prévention. Environ 80 «patients experts» travaillent pour MSF. A terme, nous aimerions qu’ils soient reconnus et rémunérés par le gouvernement swazi.
Deux ans et demi après ses débuts, le programme de MSF porte-t-il ses fruits?
Même si nous n’avons pas encore atteint tous nos objectifs, nous avons montré grâce à nos activités à Shiselweni que la décentralisation des soins fonctionnait. Les patients peuvent suivre leur traitement plus près de chez eux. Chaque communauté est davantage impliquée. Cela permet une prise de conscience. Le transfert de tâches soulage aussi le personnel infirmier, qui peut davantage se concentrer sur le travail clinique. Loin d’appauvrir la qualité des soins, ces mesures augmentent l’offre et dynamisent les structures de santé locales. Mais toute cette stratégie, reprise par les autorités, ne doit pas dispenser le gouvernement de former des cadres. Il n’y a actuellement pas d’école de médecine au Swaziland. De même, les laborantins et les pharmaciens suivent tout leur cursus en Afrique du Sud voisine.
Le Swaziland parvient-il à freiner la double épidémie?
Les infections n’ont malheureusement pas diminué de manière significative mais davantage de personnes sont aujourd’hui prises en charge. Le dépistage est plus systématique et la mise sous traitement plus précoce. C’est important, car plus tôt on soigne les patients tuberculeux, moins ils seront contagieux. Et plus vite les personnes contaminées par le VIH/sida reçoivent des médicaments antirétroviraux, moins elles auront de risques de développer des maladies opportunistes et plus elles pourront vivre longtemps.
Il faut saluer le gouvernement swazi. Il a décrété l’état d’urgence contre l’épidémie du VIH/sida. Il faudrait maintenant la même volonté contre l’immense urgence que représente la TB. Chaque année, on estime qu’un millier de personnes décèdent avant d’avoir pu être traitées.
Malgré tous les efforts, à peine un tiers de la population swazie connaît son statut VIH/sida. De plus, de nombreuses personnes qui ont un besoin urgent de traitement n’y ont toujours pas accès. Le virus touche surtout les catégories de la population les plus actives. Ces gens doivent avoir accès aux traitements pour continuer de vivre normalement. C’est aussi l’avenir économique du pays qui en dépend.
Début octobre, le Fonds mondial contre le VIH/sida, la TB et la malaria n’a récolté que 11 milliards de dollars, alors qu’il en réclamait 20 milliards pour les trois prochaines années. Quelles seront les conséquences pour le Swaziland?
Le Swaziland a demandé cette année 137 millions de dollars au Fonds mondial, dont une grande partie contre le VIH/sida. Le gouvernement devra faire des choix dramatiques. Dans certains pays, on attend déjà qu’un malade meurt pour pouvoir en mettre un nouveau sous traitement. C’est comme si on punissait les pays les plus touchés par la pandémie malgré les énormes progrès accomplis ces dernières années.
Les pays comme le Swaziland ne doivent pas seulement compter sur l’argent des donateurs. Il faut qu’ils revoient leurs priorités. Les Etats africains ont promis de consacrer 15% de leur budget à la santé. Avec 13,7%, le Swaziland n’est pas loin de cet objectif mais un pays aussi décimé par la double épidémie doit urgemment redoubler d’efforts.
© Jonathan Heyer /MSF