Ebola: Poussés au-delà de nos limites

Une réflexion est en cours pour tirer des leçons de l’épidémie actuelle afin de permettre une meilleure gestion des épidémies futures.

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Un an après l’apparition de l’épidémie la plus meurtrière de l'histoire, MSF publie une analyse critique de la riposte mondiale au virus Ebola.

L’organisation médicale internationale Médecins Sans Frontières (MSF) divulgue aujourd’hui une analyse critique portant sur la gestion de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest. Un an après que les premiers cas aient été détectés, l’organisation revient sur la faiblesse de la réponse apportée et met en garde sur le fait que, malgré une diminution importante du nombre de cas, l’épidémie n’est pas terminée.
Le rapport «Poussés au-delà de nos limites», repose sur des entretiens réalisés avec des dizaines de membres du personnel impliqués dans la gestion de l’épidémie sur le terrain. Il décrit les premières mises en garde de l’organisation, il y a précisément un an, quand l’épidémie se répandait en Guinée; le déni des gouvernements des pays touchés alors qu’elle s’étendait progressivement à la région; et la mise en place par MSF d’un projet médical d’une ampleur inédite en raison de l’inaction des autres acteurs. Au cours de cette période, plus de 1 300 membres du personnel international et 4 000 membres du personnel national ont été déployés en Afrique de l’Ouest, où ils ont pris en charge près de 5 000 personnes atteintes de l’Ebola.

Le temps de la réflexion

«Aujourd’hui, nous prenons le temps de la réflexion. Analysant non seulement la manière dont nous avons réagi à la plus grande épidémie d’Ebola jamais constatée, mais aussi la riposte des différents acteurs» explique Joanne Liu, Présidente internationale de MSF. «Cette épidémie, par son caractère exceptionnel, a mis en lumière l’inefficacité et la lenteur de la réponse apportée par les acteurs de l’aide humanitaire et médicale face à une telle situation d’urgence».
Le rapport revient sur les conséquences médicales de l’apathie de la «coalition de l’inaction» dénoncée par MSF durant plusieurs mois début 2014. Pendant cette période, alors que le virus avait le temps de se propager, nous avons été obligés de faire appel à des moyens de réponse spécifiques aux catastrophes biologiques et à la mobilisation de matériel médical, civil et militaire. Fin août 2014, notre centre de prise en charge de l’Ebola Elwa 3 à Monrovia était totalement submergé de patients. Notre personnel était alors contraint de renvoyer chez elles des personnes visiblement malades, tout en sachant qu’elles seraient de nouveaux vecteurs de propagation du virus en rentrant dans leurs communautés.
«On a souvent dit que cette épidémie était le fruit d’une accumulation de mauvaises circonstances. Une épidémie étendue sur plusieurs pays, dotés d’un système de santé faible et n’ayant jamais dû faire face au virus Ebola» dit Christopher Stokes, le Directeur général de MSF. «Cette explication est incomplète. L’ampleur atteinte par l’épidémie est aussi due à une réaction défaillante de plusieurs institutions. Leur inaction a eu des conséquences tragiques qui auraient pu être évitées.»

Un défi inédit pour MSF

Le rapport revient également sur le défi que la réponse à l’épidémie a représenté pour MSF et sur les choix difficiles que nous avons parfois été amenés à faire en l’absence de moyens suffisants et de traitements efficaces de la maladie. Alors que notre expérience de l’Ebola était cantonnée à un groupe d’experts relativement restreint, il nous était difficile de réagir plus adéquatement.
Devant l’ampleur de la catastrophe et la faiblesse de la réaction internationale, nous avons souvent dû nous cantonner à limiter les dégâts. Incapables de répondre à tous les défis à la fois -le traitement des patients, la surveillance des nouveaux cas, l’enterrement des morts, entre autres activités- nous avons dû nous résoudre à des compromis.
«Pendant la période la plus critique, les équipes de MSF étaient incapables d’admettre davantage de patients ou de donner les meilleurs soins possibles» se rappelle le Dr Liu. «Cette expérience était traumatisante pour une organisation de médecins volontaires comme la nôtre. De nombreuses discussions, et parfois même des tensions ont éclaté au sein de MSF.»

En finir avec cette épidémie et améliorer la réponse aux épidémies futures

Une réflexion est en cours pour tirer des leçons de l’épidémie actuelle afin de permettre une meilleure gestion des épidémies futures. Nous analysons notamment notre base de données de patients pour définir les facteurs influant sur le taux de mortalité. Plus important encore, nous soutenons la recherche et le développement de vaccins, de traitements et d’outils de diagnostic fiables et faciles à utiliser.
Mais le plus grand défi reste à venir. Pour que l’épidémie puisse être déclarée «sous contrôle», chaque personne qui a été en contact avec une personne infectée par le virus doit être identifiée. Nous n’avons pas droit à l’erreur et nous ne pouvons pas relâcher notre attention. Le nombre de nouveaux cas détectés chaque semaine demeure supérieur à celui constaté lors des épidémies d’Ebola précédentes. En outre, le nombre total de cas ne diminue plus significativement depuis fin janvier.
En Guinée, le nombre de patients atteints par Ebola augmente à nouveau. En Sierra Leone, de nombreux patients identifiés ne figurent pas sur les listes de personnes ayant été en contact avec des personnes contaminées. Au Libéria, deux semaines après que le dernier cas confirmé ait été libéré, un patient a été testé positif au virus Ebola le 20 mars 2015 à Monrovia.

Des systèmes de santé à reconstruire

«L’épidémie d’Ebola a aussi ébranlé la confiance que la population a envers le système de santé et démoralisé les travailleurs de ce secteur. Les gens sont endeuillés, appauvris et sont devenus suspicieux,» constate le rapport.
Dans les trois pays les plus touchés par l’épidémie, près de 500 travailleurs de santé ont péri pendant l’année. Ces pertes tragiques affaiblissent davantage des structures médicales déjà fragiles avant le début de l’épidémie. Rétablir un accès aux soins doit être la première étape de la reconstruction des systèmes de santé dans les pays touchés.
«Des milliers de personnes ont payé de leur vie l’échec de la réponse apportée à l’épidémie. Nous devons analyser toutes les raisons de cette catastrophe médicale sans précédent, de la faiblesse des systèmes de santé nationaux à la lenteur et à la paralysie de l’aide humanitaire internationale», conclut le rapport.