L’échec du système d'aide alimentaire pour le traitement des enfants malnutris
© Yann Libessart / MSF
6 min
Genève, le 13 octobre 2011 — Malgré des progrès récents dans la lutte contre la malnutrition infantile, le système international de l’aide alimentaire continue de distribuer des aliments d’une qualité nutritionnelle insuffisante à des millions d'enfants malnutris, a annoncé aujourd’hui l’organisation médicale humanitaire internationale Médecins Sans Frontières (MSF), en prévision de la Journée mondiale de l'alimentation du 16 octobre.
La malnutrition – une maladie qui peut être prévenue et soignée - touche 195 millions d'enfants dans le monde entier. On estime qu’elle intervient dans au moins un tiers des huit millions de décès d’enfants de moins de cinq ans chaque année, pour la plupart dans les pays en voie de développement. Les enfants de moins de deux ans sont les plus vulnérables, et, sans accès à des aliments nutritifs nécessaires à leur croissance et leur développement, ils risquent des séquelles à vie.
« Il est désormais prouvé, et sans l’ombre d’un doute, que donner aux jeunes enfants vulnérables une nourriture adaptée leur sauve la vie. Pourtant le système alimentaire mondial n'a pas totalement fait siennes les conquêtes révolutionnaires accomplies par la science en matière de nutrition», a déclaré le Dr Unni Karunakara, président du Conseil international de MSF.
L’aide alimentaire internationale envoyée dans les principaux foyers de malnutrition, comme par exemple certains pays d’Afrique sub-saharienne, est composée d’un mélange de farines de maïs et de soja enrichies (Corn-Soy Blend, ou CSB), qui ne contiennent pas les micronutriments et les protéines dont un enfant en pleine croissance a besoin. Les Etats-Unis à eux seuls envoient chaque année dans les pays en voie de développement environ 130 000 tonnes de ces farines de moindre qualité, produites et traitées sur le sol américain.
Des initiatives comme la campagne « 1000 jours » ou SUN (Scaling up nutrition - Renforcer la nutrition), qui rassemble des pays où la malnutrition est un fléau majeur et les principaux bailleurs de fonds internationaux, montrent qu’il existe un consensus scientifique et politique global sur la nécessité de se concentrer sur les enfants moins de deux ans. Pourtant, la plupart de l'aide alimentaire fournie aujourd'hui ne contient pas les aliments permettant une nutrition adéquate pour les jeunes enfants.
«L’éventail des produits disponibles pour l'aide alimentaire néglige nettement les besoins des plus vulnérables. Il n'y a pourtant aucune excuse pour attendre plus longtemps. Les pays donateurs qui contribuent à l’aide alimentaire internationale doivent enfin se mobiliser. »
Le 13 octobre, au nom des plus de 125 000 personnes dans plus de 180 pays qui ont signé une pétition, MSF a adressé des lettres aux représentants des pays donateurs de l'aide alimentaire, y compris les Etats-Unis, les Etats membres de l’Union européenne, le Canada, le Brésil et le Japon, exigeant de « cesser de fournir des aliments de qualité nutritionnelle insuffisante aux enfants malnutris et aux enfants à risque de malnutrition dans les pays en développement. »
« De nombreux pays, y compris en Europe, ont réussi à résoudre les problèmes de malnutrition touchant leur population en s'appuyant sur des stratégies qui garantissent un accès à des aliments nutritifs pour les plus vulnérables. Mais nous attendons toujours qu’ils appliquent ces mêmes stratégies à la nourriture envoyée dans le cadre de l’aide alimentaire internationale » déclare le Dr Karunakara.
Les principaux acteurs de l'aide alimentaire ont commencé à revoir leurs pratiques. C’est le cas notamment du Programme alimentaire mondial (PAM), qui utilise désormais comme élément essentiel de ses interventions d’urgence des aliments complémentaires répondant aux besoins nutritionnels des enfants de moins de deux ans. Ces produits ont joué un rôle clé en 2010 dans les réponses à la crise alimentaire au Niger, pour les populations victimes des inondations au Pakistan, et du tremblement de terre en Haïti. Pourtant, les enfants souffrant de malnutrition mais qui ne vivent pas dans un contexte d’urgence majeure continuent à recevoir une aide alimentaire internationale qui ne répond pas à leurs besoins nutritionnels spécifiques.
« Les urgences très médiatisées, comme par exemple celles en Somalie et au Kenya aujourd'hui, ne représentent que la pointe de l'iceberg en matière de malnutrition » note le Dr Karunakara. « La plupart des enfants malnutris sont invisibles. Ils devraient pouvoir avoir accès aux aliments dont ils ont besoin même s’ils ne sont pas des victimes de guerre ou de catastrophes naturelles. »
Les pays européens sont parmi les principaux donateurs d'aide alimentaire dans le monde. Alors que certains d’entre eux ont commencé à inclure des produits appropriés dans leur aide alimentaire, la Commission européenne (CE) traîne à suivre leur exemple. Malgré les promesses répétées de répondre aux besoins nutritionnels des enfants de moins de deux ans dans les pays bénéficiaires de l'aide alimentaire, la Commission européenne doit encore publier des directives claires sur la façon dont elle entend mettre en œuvre ces réformes nécessaires. Par ailleurs, la politique communautaire d'aide alimentaire reste incohérente. Elle impose des obstacles à l’obtention de financements pour les produits à même de prévenir la malnutrition, alors que de telles exigences ne sont pas requises pour les programmes qui prévoient des produits de moindre qualité nutritionnelle.
« La Communauté européenne doit cesser d’exprimer seulement des intentions, et montrer qu'elle prend au sérieux l'amélioration de la qualité de son aide alimentaire», a déclaré le Dr Karunakara. «Il a été démontré qu’assurer une bonne nutrition aux enfants malnutris, et à ceux qui risquent de le devenir, permet de sauver des vies. »
Fin 2008, une réunion d'experts convoquée par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), a pris en compte le nombre croissant de preuves scientifiques et a conclu que les normes nutritionnelles de l'aide alimentaire devaient être améliorées. Mais trois ans plus tard, alors que la plupart des ministères de la Santé dans les pays en développement s’appuient sur les recommandations de l’OMS pour décider de leurs orientations en matière de politique de santé, l’OMS n'a pas encore émis des directives formelles pour assurer l'amélioration de la nourriture pour les enfants malnutris ou les jeunes enfants.
« Les directives de l'OMS sont fondamentales à plusieurs égards : d’un côté, pour encourager les pays donateurs à adopter de meilleures normes pour l'aide alimentaire ; de l’autre, pour promouvoir l’adoption de la part des pays bénéficiaires de meilleures mesures d’accès à une nutrition de qualité pour leurs enfants», a déclaré le Dr Karunakara. « Les enfants ne peuvent pas se permettre d’attendre les retards occasionnés par la nécessité de démontrer, d'une crise à l'autre, et pour chaque pays, l'innocuité et l'efficacité de ces nouveaux aliments spécialisés. Cela ne sert qu'à reporter le lancement de programmes qui peuvent sauver des vies. »
En juin 2010, MSF et l'agence photo VII ont lancé « Starved for attention », une campagne multimédia exposant la crise négligée et largement invisible de la malnutrition infantile. Des photojournalistes de l’agence VII se sont rendus dans des principaux foyers de la malnutrition dans le monde – des zones de guerre aux pays émergents – pour faire la lumière sur les causes profondes de la malnutrition et sur les approches innovantes existant pour lutter contre cette maladie. 8 documentaires ont été produits, qui peuvent être visionnés sur www.starvedforattention.org.
En 2010, MSF a admis plus de 300.000 patients malnutris dans ses centres nutritionnels, dans 139 projets et 28 pays.
© Yann Libessart / MSF