« Après avoir vu la psychologue, je me suis sentie comme une nouvelle personne » – santé mentale à Vinnystia, Ukraine
© Fanny Hostettler/MSF
Ukraine8 min
Natalia Kyshnir, 56 ans, a survécu au siège de Marioupol, mais a dû faire un choix terrible : rester pour s'occuper de sa mère ou partir avec son fils pour se mettre à l'abri. Elle a fui à Vinnytsia, mais a été traumatisée par son expérience. Après avoir reçu un soutien psychologique de la part des équipes MSF, elle se dit prête à faire face à l’avenir nouveau.
« Je suis née dans la ville de Marioupol et j'y ai vécu jusqu'à l'escalade de la guerre, qui a commencé le 24 février 2022. Cinq jours plus tard, elle a atteint Marioupol. En arrivant au travail ce jour-là, nous avons appris que la guerre était dans notre ville. Les gens ont fait de longues queues pour retirer de l'argent et tout le monde s'est rendu dans les magasins pour acheter de la nourriture. Mon fils cadet et moi-même avons fait de même. Nous avons attendu trois ou quatre heures pour retirer de l'argent, puis nous sommes allé·e·s au magasin avec tout cet argent et nous avons fait la queue dehors pendant encore trois heures. Après avoir fait le plein de nourriture, nous avons encore fait la queue pendant deux heures pour payer.
Tout d'abord, l'électricité a été coupée et il n'y a plus eu de lumière ni de réseau. Ensuite, l'eau a été coupée, puis le gaz. C'était la fin : pas d'eau, pas de gaz, pas de lumière. Nous pouvions entendre les troupes russes d'ici jusqu'à la frontière.
Cinq jours plus tard, mon voisin et moi avons décidé qu'il était temps de nous réfugier dans la cave. Nous avons eu de la chance car dans notre cave, il n'y avait ni rats, ni souris, ni humidité.
La vie dans la cave était très dure. Toutes les cinq minutes, il y avait des avions au-dessus de nos têtes, des tirs d'artillerie qui retentissaient comme des grêlons. Nous avions de très courts moments pour sortir et cuisiner. Nous mangions la même chose deux fois par jour. Lorsque nous n'avions plus d'eau et qu'il faisait -9 dehors, nous ramassions de la neige avec des pelles et nous la faisions fondre. Nous faisions du thé et nous nous lavions les mains et le visage avec.
Un jour, mon fils et moi sommes allé·e·s à la rivière [chercher de l'eau]. Plus de 500 personnes attendaient dans une longue file pour atteindre le puits. C'est alors que les bombardements ont éclaté. Nous avons commencé à crier et à hurler. Je ne sais pas combien de kilomètres nous avons couru, mais lorsque nous sommes rentré·e·s à la maison, je n'ai pas pu respirer pendant une heure. C'est peut-être pour cela que j'ai eu si peur.
Ma mère, âgée de 83 ans, vivait avec nous dans notre appartement. En raison de problèmes de jambes, elle ne pouvait pas descendre l'escalier raide menant au sous-sol. Nous lui avons donc aménagé un espace dans le couloir de l'appartement, en barricadant les fenêtres avec du contreplaqué pour la protéger des éclats d'obus.
Il y avait beaucoup de monde dans notre sous-sol, mais c'était un espace chaleureux : nous partagions les médicaments, nous partagions la nourriture. Mon fils cadet a fêté ses 18 ans dans la cave. Nous avons invité tout le monde pour partager du thé et des biscuits. Nous avons fêté et pleuré ensemble. Il m'a dit : "Je ne peux pas devenir un adulte dans une situation pareille".
Mon fils est épileptique. Une nuit, il tremblait. Je lui ai demandé : "Tu as froid ?" et il m'a répondu : "Maman, j'ai peur". Le médecin lui avait prescrit deux médicaments. J'avais une réserve pour l'un, mais pas pour l'autre. Cette situation a considérablement accru notre anxiété. Il était censé recevoir des médicaments après chaque crise d'épilepsie, mais nous n'en avions plus. Nous ne savions pas combien de temps cela allait durer.
Il y avait des bombardements et les gens gisaient là, sans bras ni jambes. Les gens criaient à l'aide, mais personne ne pouvait rien faire parce qu'il n'y avait pas d'hôpital, pas de médecin. Tout a été détruit, tous les guichets bancaires ont été pillés, les pharmacies ont été pillées, les magasins ont été pillés, il n'y avait plus rien. Ma mère était malade. Trois personnes ont été tuées alors qu'elles cuisinaient à proximité. La femme a été soufflée par l'onde de choc. Nous n'avons pas pu l'enterrer. Nous espérions que tout serait bientôt terminé. Mais rien ne s'est arrangé et nous avons fini par manquer de nourriture.
Nous avons vécu dans ce sous-sol pendant un mois. Le 23 mars, dans la soirée, nous nous sommes réuni·e·s dans la cave et avons décidé de quitter Marioupol. J'ai préparé ma mère pour qu'elle parte elle aussi. Nous n'avons rien pris avec nous, car il était très difficile de transporter autre chose qu'une paire de chaussettes et une grande bouteille d'eau. Nous avons marché, marché et marché. Ma mère n'en pouvait plus. A ce moment-là, j'ai dû choisir entre mon fils et ma mère : m'enfuir avec lui pour retrouver des médicaments, ou rester à Marioupol et m'occuper d'elle. Je me souviendrai toujours de cet instant. Ma mère m'a dit de partir. Elle m'a donné un peu d'argent pour acheter quelque chose en souvenir d'elle. Nous sommes parti·e·s et ma mère est rentrée chez nous.
Nous avons marché 16 km ce jour-là, les troupes russes contrôlant tout chaque 2 km : téléphones, ordinateurs portables, etc. Lorsque j'ai regardé en arrière, la fumée noire recouvrait tout. Les gens mouraient à Marioupol. Ils mouraient de faim. Combien de personnes sont mortes sous les décombres !
Alors que nous marchions, elle se tenait là : Anna, une infirmière. Je lui suis tellement reconnaissante qu’elle nous ait fait·e·s sortir, mon fils et moi. Je la remercierai toute ma vie. Anna a appelé un ami qui est venu nous chercher en voiture. Il nous a emmené·e·s à Urzuf [sur la côte au sud-ouest de Marioupol]. En tant que personnes déplacées de Marioupol, on nous a dit d'aller au sanatorium d'Urzuf. Nous avons été logé·e·s et nourri·e·s gratuitement. Nous avons pu nous changer et laver nos vêtements, car personne ne s'était lavé depuis un mois.
Le lendemain, nous avons quitté [Urzuf] pour nous rendre à Berdiansk [ville située à 80 km à l'ouest de Marioupol, sous le contrôle des troupes russes]. Au centre sportif, des files de personnes déplacées attendaient les bus humanitaires. Nous avons attendu plusieurs jours. Nous ne savions pas quand ils arriveraient. Dieu merci, ces bus sont arrivés.
Lorsque nous sommes arrivés à Zaporijia [la plus grande ville de la région, située près de la ligne de démarcation entre les forces russes et ukrainiennes], mon âme est devenue plus légère. Il nous a fallu quatre ou cinq heures pour y arriver et les bus étaient contrôlés tous les deux kilomètres par les militaires. Lorsque nous avons enfin franchi la ligne de démarcation, tous les gens du bus ont soufflé de soulagement. Des soldat·e·s ukrainien·ne·s nous ont accueilli·e·s et nous ont escorté·e·s jusqu'à Zaporijia. Nous avons été conduit·e·s dans une école maternelle, où nous avons été nourri·e·s et avons reçu de petits matelas pour dormir.
De là, nous avons pris le train pour Khmelnytskyi. A l'approche de Vinnytsia, je ne sais pas pourquoi, et même si ce n'était pas notre destination, j'ai décidé de descendre du train. Nous nous sommes installé·e·s dans un hôtel. Avec l'aide de mon fils aîné, qui nous envoyait de l'argent, nous avons trouvé un appartement et j'ai obtenu un emploi d'assistante pédagogique dans une crèche.
Pendant un an, j'étais stressée en permanence. Mes jambes ont commencé à me faire mal, mon corps s'est déchiré et s'est fissuré. Je me suis rendu compte que mon état s'aggravait de jour en jour et de mois en mois. Je ne savais pas quoi faire, si je devais ou non aller travailler. Je suis généralement positive, mais je ne savais pas comment aller de l'avant. Finalement, j'ai dû quitter mon emploi à la crèche. Je n'arrivais pas à comprendre ce qu'il m'arrivait, même si je suis quelqu'un de très logique. Je n'arrivais pas à trouver un moyen de retrouver la santé.
Plus vous repoussez le moment de consulter un·e psychologue, plus la situation s'aggrave. Un jour, j'étais au centre I'Mariupol et j'ai rencontré Mariana, l'une des promotrices de santé MSF. La veille, mon fils et moi avions parlé de comment trouver un·e bon·ne psychologue. Mais nous n'avions pas d'argent pour payer une psychothérapie. Mariana m'a donné le numéro de téléphone du centre MSF. J'ai appelé et j'y suis allée le lundi suivant à 9 heures. Par la suite, je suis venue une fois par semaine pour les consultations et à chaque fois, j'ai été accueillie avec des sourires. J'en suis très reconnaissante. Après tous les exercices et les discussions avec le psychologue, je me suis sentie comme une nouvelle personne. J'ai commencé à penser de manière beaucoup plus positive.
Je travaille à nouveau, cette fois en tant qu'assistante pharmacienne. Mes trois enfants, âgés de 35, 30 et 20 ans, vont bien. Ma mère a emménagé chez ma fille, qui habite à proximité. Elles s'occupent maintenant l'une de l'autre et nous avons régulièrement des appels vidéo. »
© Fanny Hostettler/MSF