Bunia: MSF dans la prison de la faim
© Claude Mahoudeau
7 min
En deux mois, dix-sept prisonniers, référés de la prison de Bunia vers l’hôpital de la ville, sont décédés, victimes de dénutrition sévère. L’équipe MSF travaillant dans cette ville du district oriental de l’Ituri en République Démocratique du Congo, vient d’intervenir dans la prison pour mettre fin à cette tragédie. Visite d’un lieu de désolation où s’entassent plus de 500 prisonniers dont à peine un tiers d’entre eux ont jusqu’alors été jugés.
Bunia – le 16 décembre 09
Deux grandes tentes MSF plantées devant un long bâtiment délabré, ceinturé d’un rouleau de fil de fer barbelé ; une petite cahute de garde où un gendarme est assis, tenant devant lui un grand registre ouvert alors que ses deux collègues discutent, debout sous le manguier : c’est l’entrée de la prison centrale de Bunia. Aucune agitation, aucune tension perceptible. Soudain, un groupe d’hommes émerge d’une ouverture. Ils se dirigent en une file ordonnée vers les tentes. Jeunes pour la plupart, rien ne les différencie des passants qui vaquent dans la rue toute proche. A la différence de ces derniers cependant, eux passent leurs journées et leurs nuits ici, dans un environnement terrible, celui de l’unique prison d’Ituri, prévue pour une centaine de détenus et qui en compte cinq fois plus. Non seulement la prison est dans un état de délabrement total mais, plus grave, jusqu’à ces derniers jours, la faim y tenaillait les entrailles de nombreux prisonniers, jusqu’à ce qu’ils en meurent.
« Il fallait parer au plus pressé »
Lorsque MSF a proposé aux autorités une action pour mettre un terme à cette situation, les autorités ont rapidement accepté. De fait, depuis les premiers jours de décembre, début de l’intervention, on ne déplore plus aucun décès. Il reste néanmoins encore beaucoup à faire au plan médical et sanitaire pour les 540 personnes actuellement incarcérées. « La venue de MSF nous sort de problèmes graves », admet Adrien Mamoudi, directeur adjoint de la prison. Il espère que cette intervention mettra en lumière, même au niveau de son administration, les grandes difficultés que connaissent les détenus de Bunia.
« C’est notre seconde semaine d’intervention », explique Manuel Ihanga, le responsable du projet à Bunia. « La semaine dernière, nous avons paré au plus pressé en apportant des aliments thérapeutiques, du « plumpy’ nut ®», à tous ceux qui étaient dénutris. De nouveaux décès ont ainsi pu être évités, c’est certain. » Le CICR a heureusement vite rejoint MSF dans son action et approvisionne désormais quotidiennement la prison en nourriture. « Depuis deux jours, poursuit Manuel, nous avons commencé les consultations médicales.»
La première tente abrite le « triage », c’est à dire l’enregistrement, la prise de poids et de température et les consultations simples faites par Claude Wakungo, infirmier. Les cas plus compliqués ou ceux nécessitant des analyses sont orientés vers la seconde tente. Là, Serge Matata, un second infirmier, consulte toute la matinée en compagnie du médecin MSF. Jean-Pierre Tika, est lui aussi infirmier, mais il n’est pas employé par MSF. Il exerce depuis une année comme infirmier attaché à la prison. « Un travail difficile, affirme t-il. Les malades sont nombreux. Ils souffrent de nombreuses infections de toutes sortes. Et les moyens manquent, nous avons très peu de médicaments. De plus, je n’arrive pas à référer ceux qui en ont un besoin urgent à l’hôpital général. Il y a trop d’évasions... »
A peine la porte franchie, c’est le choc !
J’emboîte le pas à Geoffrey Santini, le logisticien MSF qui rentre dans la prison pour installer deux points d’eau courante pour les détenus. A peine franchie l’ouverture, c’est le choc. Une foule d’hommes de tous âges s’agglutine dans un espace réduit. De là, on passe dans la cour centrale en contournant les bassines de riz cuit qui viennent d’arriver, attirant des regards de convoitise. Il faut se faufiler entre les groupes d’hommes immobiles pour trouver son chemin vers l’extrémité de la cour. Là se trouvent les latrines et les douches, le but de la visite de Geoffrey.
Coincés dans un espace réduit, il y a là quatre latrines éventrées et un bloc de douches aux murs branlants, sans portes. L’odeur est repoussante. « Nous avons donné des gants et du matériel de protection aux prisonniers pour qu’ils puissent vider les fosses, explique Geoffrey. Avant, ils devaient le faire à mains nues. Heureusement, le CICR va bientôt réhabiliter ce bloc sanitaire. De notre côté, nous installons en urgence l’eau potable. »
L’intervention rapide de MSF a incité d’autres organisations à proposer leur support, ce qui encourage Manuel. Il entre avec moi dans l’une des cellules : une pièce sombre, sans ouverture, dont il est même impossible d’estimer la profondeur. 108 détenus s’entassent là, couchés sur des nattes élimées, à même le sol. Pas de lit. Des dizaines de sacs en plastique sont accrochés aux murs couverts d’inscriptions griffonnées, apportant quelques touches de couleur. Ce sont les seuls biens des détenus. Et, surmontant le tout, une très forte odeur, celle des corps et des matières mélangées, indescriptible. Manuel se rend auprès d’un homme couché un peu à l’écart. Il grelotte de fièvre. Un autre, très jeune, s’approche, le teint cireux. Il se plaint d’avoir une diarrhée aiguë. « Nous avons demandé à la direction que l’infirmier fasse désormais faire le tour chaque matin dans la prison pour voir si certains n’ont pas été oubliés pour la consultation, explique Manuel. Mais c’est difficile de savoir vraiment ce qui se passe dans un tel monde si l’on n’y pénètre pas en personne. »
« Dans deux semaines, Noël. Et nous sommes là ! »
Une porte donne accès à une autre partie de la prison et l’on gagne le quartier des femmes et des adolescents. Elles sont une trentaine, de tous âges, à être incarcérées là en compagnie d’une vingtaine d’adolescents. « Cette promiscuité ne va pas sans causer des problèmes de violence, confie Manuel. Nous allons essayer de les résoudre partiellement dans le cadre de ce projet, en proposant un réaménagement des lieux. » L’un des jeunes garçons semble encore un enfant. Il doit avoir à peine quinze ans. Face à un tableau noir, à l’entrée de la cellule, il déchiffre difficilement une simple phrase, écrite à la craie: « Dans deux semaines, Noël. Et nous sommes là ! »« Ces enfants ont aussi besoin d’être scolarisés », dit Manuel en prenant tout le monde à témoin. L’un des jeunes, celui qui a écrit le message sur le tableau, approuve alors silencieusementGeoffrey nous rejoint. Il vient de finir de prendre des mesures et nous assure que l’eau pourra être installée rapidement. Nous quittons les enfants et gagnons la sortie entre des foyers installés entre quelques grosses pierres au-dessus desquels bouillonnent de grandes marmites de riz. Un gendarme, le fusil réglementaire à l’épaule, cadenasse la porte en fer derrière nous. «Au moins aujourd’hui les prisonniers n’ont pas faim et demain, ils pourront se laver» conclut Manuel.
La nuit tombe lentement sur la prison de Bunia.
La première phase de l’intervention MSF est prévue pour une durée initiale de trois semaines. Environ 50 personnes détenues ont reçu dès le premier jour des aliments thérapeutiques. Tous les détenus ont été vus par du personnel médical et reçoivent désormais les soins nécessaires. Des mesures urgentes d’approvisionnement en eau et d’assainissement sont prises.
Pendant la seconde phase, qui devrait durer trois mois, d’autres actions vont être menées, tant médicales que nutritionnelles et logistiques en complémentarité avec d’autres organisations dont le CICR. L’objectif est d’avoir, à la fin de cette période, la certitude qu’au minimum les approvisionnements en nourriture et le suivi médical de l’ensemble des détenus soient assurés.
© Claude Mahoudeau