Comment mieux prévenir la malnutrition pour moins avoir à la soigner
© Simon Petite/MSF
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Dans l’ouest du Tchad, MSF mène une étude pour déterminer la meilleure façon d’organiser des distributions pour atténuer le pic de malnutrition.
C’est un travail de fourmis. Depuis février, une équipe d’une cinquantaine personnes fait le tour des villages dans une zone semi-désertique aux alentours de Massakory, le chef lieu de la région d’Hadjer Lamis, au Tchad. Les enquêteurs font du porte à porte pour trouver les plus jeunes enfants. MSF estime leur nombre à environ 5000. Ils recevront dans les prochains mois des suppléments nutritionnels. Si leurs parents le veulent bien, ils sont mesurés et pesés. Les habitants répondent à un questionnaire détaillé sur leur situation matérielle, leur alimentation ou leur santé. Ces enfants seront suivis tous les mois. Responsable de cette étude, dont les résultats sont attendus pour mi-2013, France Broillet en explique les objectifs.
En quoi consiste cette étude opérationnelle?
Nous voulons évaluer l’impact de compléments nutritionnels sur l’état de santé des enfants âgés de 6 mois à 2 ans. Cette tranche d’âge est la plus vulnérable et la plus affectée par la malnutrition aigue sévère. Ce sont ces enfants qu’on retrouve le plus dans les hôpitaux MSF.
Dans tout le Sahel, MSF est confrontée chaque année à un afflux d’enfants gravement malnutris. Ce pic de malnutrition correspond à la période de soudure, quand les réserves des dernières récoltes sont épuisées et que les adultes travaillent déjà aux champs pour la prochaine récolte. Les organismes sont déjà affaiblis. Comme chaque année, cette période coïncide avec la saison des pluies et la recrudescence du paludisme, des infections respiratoires ou de diarrhées.
Dans un tel contexte, quel est l’intérêt des suppléments nutritionnels?
Ces produits très riches en sels minéraux, vitamines et oligo-éléments sont conçus pour les enfants qui ont fini l’allaitement maternel exclusif. Tous ces ingrédients sont essentiels à leur croissance.
L’alimentation des populations sahéliennes ne contient malheureusement pas assez de micro-nutriments. Ce déséquilibre s’aggrave pendant la période critique de la soudure. A ce moment là, l’assiette perd à la fois en quantité et en qualité. La plupart des ménages sont contraints de réduire leur consommation de produits laitiers et de légumes.
MSF a déjà montré l’efficacité des distributions préventives au Niger. Pourquoi faire la même démonstration pour le Tchad?
Au Niger, les enfants qui ont reçu des compléments nutritionnels ont effectivement vu leur mortalité réduite de 50%. L’étude au Tchad porte sur la durée des distributions. La zone de Tourba bénéficiera des compléments pendant la soudure de juin à septembre, ce que MSF fait habituellement. En revanche, les enfants des zones de Kamerom et Karal en recevront toute l’année dès le mois de mars 2012. Nous voulons vérifier si cela vaut la peine d’agir davantage en amont. Et aussi s’il est avantageux de prolonger de telles distributions sur toute l’année afin de réduire l’incidence de la malnutrition aigue sévère pendant la période de soudure.
Vos équipes sont entrain de terminer l’enregistrement des enfants sur ces trois zones. Avez-vous l’impression que la région d’Hadjer Lamis est à la veille d’une grave crise nutritionnelle comme en 2010?
Tout le monde est inquiet pour les prochains mois. Les dernières récoltes ont été mauvaises et certains ménages n’ont déjà plus de stocks. Mais les habitants que nous avons interrogés mangent encore à leur faim. Nous n’avons trouvé qu’une minorité d’enfants souffrant de malnutrition et qui ont été référés dans les centres de santé ambulatoires et l’hôpital MSF de Massakory.
La population s’adapte pour surmonter la soudure. De nombreux hommes sont, par exemple, partis cultiver les champs près du lac Tchad. Ces déplacements ne sont pas inhabituels mais ces mécanismes d’adaptation ont tendance à être enclenchés chaque année plutôt que de façon exceptionnelle.
A quoi va servir cette étude pour MSF et plus largement?
Nous aurons une idée plus précise sur la meilleure façon d’organiser les distributions de suppléments. C’est important pour MSF, car ces stratégies préventives permettent de réduire les nouveaux cas de malnutrition aigue sévère et de limiter l’ouverture de centres nutritionnels avec des centaines d’enfants, des structures qui demandent beaucoup d’espace et de personnel qualifié. Tout l’enjeu sera de savoir si les distributions préventives prolongées ou non permettent de limiter les cas de malnutrition sévère aigue qui arrivent dans les hôpitaux MSF pendant la période de soudure.
Les résultats de l’étude seront partagés et discutés avec le ministère de la Santé tchadien. S’il apparaît qu’il est plus efficace de distribuer des compléments pendant toute l’année plutôt que de limiter la casse pendant la période de soudure, les implications en termes de coûts seront importantes. Il faudra convaincre le Tchad et ses bailleurs de fonds de généraliser de telles distributions.
© Simon Petite/MSF