Convention des réfugiés: un anniversaire au goût amer
© Mattia Insolera
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Cette semaine, les dirigeants du monde entier se réuniront à Genève pour célébrer les 60 ans de la Convention relative au statut des réfugiés. Un anniversaire que les 15,1 millions de réfugiés à travers le monde n’ont pourtant guère de raisons de fêter. Aujourd’hui, bon nombre de pays referment leurs frontières et réduisent leur aide aux réfugiés et aux demandeurs d’asile.
On aurait pu s’attendre à ce que les ministres et chefs d’État respectent leur engagement indéfectible en faveur de la Convention. Or, ce n’est pas le cas. Trop souvent, les gouvernements contournent leurs responsabilités à l’égard des réfugiés ou les ignorent tout simplement. Cette attitude entraîne de graves conséquences médicales et humanitaires sur les personnes qu’ils ont promis de protéger.
L’idée d’asile est au cœur de la Convention sur les réfugiés. Les politiques de plus en plus restrictives des gouvernements – même si elles ne contreviennent pas forcément au droit international et aux législations nationales ou régionales – violent l'esprit de la Convention et le sens même du mot « asile ». En tournant le dos aux demandeurs d’asile et aux réfugiés, les États finissent par jouer un rôle répressif plutôt que protecteur.
En Afrique du Sud, Médecins Sans Frontières a pu constater que des Zimbabwéens sans passeport se voient refuser l'entrée au poste frontière principal, et sont ainsi dans l’impossibilité d’introduire une demande d’asile. Beaucoup tentent donc d’entrer illégalement en Afrique du Sud et s’exposent ainsi à de multiples dangers : noyade dans la rivière Limpopo, attaques de crocodiles ou embuscades par les violentes bandes criminelles qui écument les zones frontalières. Au cours des six premiers mois de l’année, nos équipes ont pris en charge 42 personnes qui avaient été violées alors qu’elles tentaient de franchir la frontière. Nous craignons que les victimes soient bien plus nombreuses encore, une partie d’entre elles ne se rendant pas dans les structures de santé.
L’Europe, qui fut l’objet de la création de cette Convention en 1951, ne traite guère mieux ses demandeurs d’asile. Cette année, les soulèvements populaires en Afrique du Nord ont poussé quelque 57.000 demandeurs d’asile et migrants à traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Italie et Malte. Non moins de 2.000 personnes auraient péri en mer. Ceux qui ont survécu à la traversée ont été détenus dans des centres d’accueil aux conditions de vie épouvantables. En mars de cette année, 3.000 nouveaux arrivants n’ont eu d’autre choix que de dormir, pendant plusieurs nuits, sur le port de l’île de Lampedusa. Ces demandeurs d’asile ont dû survivre avec 1,5 litre d’eau par jour et se partager 16 toilettes.
Désireux de freiner le débarquement de demandeurs d’asile et réfugiés sur ses côtes, le gouvernement italien s’est empressé de signer des accords bilatéraux avec le gouvernement intérimaire tunisien et le Conseil national de transition libyen, et ce malgré la guerre qui se poursuivait en Libye. Ces accords revenaient à refouler vers l’Afrique du Nord les demandeurs d’asile débarquant en Europe. L’Italie était directement impliquée, aux côtés d’autres pays européens, dans le conflit libyen. Elle était, de ce fait, particulièrement responsable d’offrir aux réfugiés fuyant la guerre des conditions d’accueil décentes et un accès à une procédure d’asile efficace et équitable.
Même pour ceux dont la demande d’asile a été acceptée, le statut de réfugié n’assure pas à lui seul la survie. Exclus et privés de toute assistance, de nombreux réfugiés sont condamnés à migrer encore plus loin dans l’espoir de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille. Ceci est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, les pays en développement accueillent la grande majorité des réfugiés du monde, ce qui n’était pas le cas il y a 60 ans.
Ainsi, près d’un demi-million de Somaliens vivent – ou plutôt survivent – à Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde. Les premiers abris ont été installés il y a plus de vingt ans sur ce site du nord du Kenya qui est aujourd’hui devenu la quatrième ville du pays. Des enquêtes médicales, menées par MSF en 2011 auprès des nouveaux réfugiés, ont révélé une détérioration des taux de malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans. En d’autres termes, l’état de santé des enfants qui avaient fui la faim et la violence en Somalie, puis survécu à l’éprouvant exode jusqu’au Kenya, s’était encore dégradé depuis leur arrivée dans le camp. Il n’y a, semble-t-il, aucune terre d’accueil pour les réfugiés somaliens.
Les activités médicales et humanitaires ont un impact tangible sur le bien-être des réfugiés, des demandeurs d’asile et de tous ceux qui fuient la violence ou l’effondrement économique dans leur pays d’origine. Mais cet impact est limité. Les populations sont aujourd’hui de plus en plus mobiles et les motivations pour franchir les frontières sont multiples. Les gouvernements ne peuvent continuer d’opposer le contrôle des flux migratoires à la protection des réfugiés. Ils doivent répondre d’urgence aux questions plus larges d’aide et de protection et apporter des solutions sur le long terme.
La Convention de 1951 reste un instrument incontournable pour offrir assistance et protection aux réfugiés. Gageons qu’un jour, tous les pays s’engageront enfin à leur venir en aide en mettant en place des politiques conformes à l’esprit de la Convention. Alors seulement, les dirigeants et les réfugiés du monde auront vraiment quelque chose à célébrer.
© Mattia Insolera