“Tout a disparu… y compris l’espoir pour le futur”

Destruction et ruines dans la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza. 22 avril 2024.

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Alors que l’horreur continue à Gaza, en Palestine, nos équipes à Rafah et dans la zone centrale observent la présence d'un large spectre de problèmes de santé mentale chez les enfants et adultes. Depuis le début de l’année, Médecins Sans Frontières (MSF) a conduit plus de 8 800 sessions de soutien psychosocial pour la population gazaouie. Davide Musardo, psychologue MSF, a récemment quitté la bande de Gaza. Il partage ici ses reflexions sur des souvenirs traumatisants de patient·e·s vivant dans une réalité insupportable.

Dans certaines séances, nous devions crier pour nous entendre par-dessus le bruit des drones et des bombes. Et lorsqu’il n’y avait pas de combats à proximité, on entendait les pleurs des enfants dans l’hôpital. Des enfants démembrés, brûlés ou orphelins. Des enfants victims de crises de panique, car la douleur physique ravive des blessures psychologiques lorsque la douleur vous rappelle la bombe qui a changé votre vie pour toujours. Les enfants plus calmes dessinent des drones et des avions de combats. La guerre est omniprésente dans l’hôpital ; l’odeur du sang est insupportable. C’est ça, l’image que je garde de Gaza.

Je n’ai pas bu un verre d’eau fraîche depuis des mois. Est-ce seulement une vie ?

Un patient

Je n’ai jamais rien vécu de comparable à ce que j’ai vu à Gaza. Il y a des similitudes entre tous·tes les patient·e·s que j’ai vu·e·s là-bas. Une peau foncée, presque brûlée, à cause de l’exposition permanente au soleil. Perte de poids causée par le manque de nourriture. Leurs cheveux sont blancs suite au stress que ces mois de guerre ont causé. Et ils ont tous des visages vidés de toute expression. Un visage qui incarne la perte, la tristesse et la dépression. Des gens qui ont absolument tout perdu.

Ce sont des petites choses qui me manquent. Les photos de ma mère décédée il y a plusieurs années, la tasse dans laquelle je buvais mon café. C’est mon quotidien qui me manque, davantage encore que ma maison détruite.

Un autre patient

En tant qu’êtres humains, nous avons tendance à raconter la peine et la souffrance que nous ressentons. Mais comment parler de votre deuil à quelqu’un qui traverse exactement la même chose que vous ? C’est pourquoi une de nos priorités est d’offrir un espace d’écoute sûr pour nos patient·e·s et le personnel médical palestinien qui travaille sans relâche depuis plus de 8 mois.

Chez nous, on supprime les photos floues ou inutiles de nos téléphones. À Gaza, les gens suppriment des photos de proches qui sont mort·e·s dans les bombardements, en pensant que ne plus les voir allégera leur peine.

J’ai vu des personnes s’effondrer en apprenant qu’un nouvel ordre d’évacuation avait été donné. Certain·e·s ont changé douze fois d’endroits en seulement 8 mois. J’ai entendu des personnes me dire : « je ne bougerai plus ma tente. Autant mourir ici. »

Dans la bande de Gaza, on peut survivre mais l’exposition au traumatisme est permanente. Tout a disparu… y compris l’espoir pour le futur. Pour les Palestinien·ne·s, la plus grande crainte ne concerne pas le présent – les bombes, les combats et le deuil – mais l’après. Il n’y a que peu d’espoir quant à la paix et la reconstruction, tandis que les enfants que j’ai vu à l’hôpital montraient des signes clairs de régression.

Même si je suis bel et bien parti de Gaza, c’est comme si j’y étais encore. J’entends toujours les cris des enfants brûlés. Nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat et durable. Sans cela, il sera impossible de traiter les profondes blessures psychologiques.