Hôpital Bon Marché de Bunia : Difficile de passer la main
© Bruno Neveur
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Entre 2003 et 2005, Bunia, capitale du district d’Ituri, située au nord-est de la République Démocratique du Congo (RDC), a été le théâtre de violences extrêmes dirigées en particulier contre les populations civiles. MSF y avait alors développé des services médicaux et chirurgicaux d’urgence dans un site provisoire qui, au fil du temps, est devenu l’hôpital ‘Bon Marché’. Aujourd’hui, alors que la situation s’est normalisée malgré quelques flambées de violence qui persistent, il est temps pour l’organisation de transférer la prise en charge des patients aux acteurs de santé locaux. Un exercice difficile pour MSF dans un pays où les priorités des autorités ne coïncident pas toujours avec les besoins des populations.
Un hôpital créé de toutes pièces
En 2003, alors que des combats violents éclataient entre différentes milices et provoquaient des déplacements massifs de populations, de nombreux blessés civils restaient sans soins. Difficile alors pour beaucoup de ces blessés, parfois gravement atteints, de se rendre à l’hôpital général de Bunia. Celui-ci se trouvait situé en plein cœur d’une zone contrôlée par l’une des milices. MSF mit donc en place, en urgence, un service hospitalier en périphérie de la ville et créa de toutes pièces un hôpital de campagne sous tente, l’hôpital ‘Bon Marché’. « La mise en place du service de chirurgie a vite été suivie par celle du service de santé maternelle et infantile, puis de médecine interne », remarque le docteur Dédé Sapo Mudinga, actuellement médecin responsable du service pédiatrie. « La création de l’unité de prise en charge des victimes de violences sexuelles a aussi été décidée rapidement tant ce problème est vite apparu comme crucial dans le conflit », explique-t-il.
Aujourd’hui, en dépit d’une situation qui reste fragile, Bunia a retrouvé le calme. Les chantiers de construction fleurissent sous des affiches de publicité pour les innombrables opérateurs de téléphonie mobiles. Il y a même des encombrements de motos chinoises sur la route du centre-ville et une rumeur tourne : les premiers feux de circulation vont être bientôt installés. Il est donc temps pour MSF d’effectuer la remise de ses activités médicales aux services de santé locaux. « Malheureusement, il s’est révélé impossible, pour des raisons administratives, de conserver les services à Bon Marché, précise le jeune médecin. Nous avons donc commencé à tout transférer progressivement à l’Hôpital Général de Référence de Bunia mais aussi aux centres de santé de la ville ». Ce sont d’ailleurs ces centres, ou plus exactement les maternités, qui ont été visées pour les premières « passations » qui ont été faites en 2008. Les futures mamans ont été invitées à accoucher dans ces maternités de quartier, après que le personnel MSF a assuré une reprise en formation des sages-femmes et un équipement des structures. « Cela n’a pas été si facile », commente Olivier Bonnet, le responsable du projet. « Il a fallu être ferme et bien expliquer que toutes les femmes présentant des accouchements normaux devaient accoucher en maternité. Néanmoins, beaucoup de mamans ont malgré tout continué à arriver en urgence. Impossible de les refuser… Maintenant, le message est bien passé. »
La spécialisation de pédiatrie n’existe pas vraiment en RDC
Après avoir également transféré la chirurgie et la médecine interne, il reste encore du travail pour l’équipe MSF, en particulier la remise des activités de pédiatrie et de celles de l’unité de prise en charge des femmes victimes de violences sexuelles. Pour cette dernière, dont l’activité ne décroit pas malgré la « normalisation », ce qui est très alarmant, l’équipe se donne encore un peu de temps. La priorité est aujourd’hui à la remise de l’unité pédiatrique, service dont la spécialité n’existe pas vraiment en RDC. Il n’y a pas en effet de curriculum de formation en pédiatrie, ce qui rend encore plus difficile, pour l’équipe, la passation de ces activités qui ont atteint un niveau important de technicité. A vrai dire, dans la région de Bunia, l’hôpital Bon Marché est de fait le seul établissement qui dispense des soins spécialisés dans ce domaine. « Nous avons ici une capacité de 108 lits et le taux d’occupation est toujours supérieur à 100% », précise le docteur Dédé. « Nous continuons à recevoir une centaine de patients par jour, parce que la qualité des soins dispensés ici est bien reconnue par les populations. Près de la moitié de nos patients viennent de l’extérieur de la ville, même parfois de très loin », ajoute-t-il.
Dans l’Hôpital Bon Marché, le service pédiatrique comprend la néonatologie, les soins intensifs et la pédiatrie générale. Les pathologies les plus fréquentes sont la malaria, les infections respiratoires aiguës, la méningite ou encore la malnutrition avec de graves pathologies associées. « Ce sont des maladies qu’on peut traiter », dit le Dr. Mudinga, lors de son tour des salles dans l’hôpital. « Mais ce qui complique le traitement, c’est souvent l’arrivée tardive des patients à l’hôpital. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des enfants qui arrivent avec des symptômes aggravés dus à une prise en charge déficiente dans un centre de santé ou même aux conséquences de certaines pratiques de la médecine traditionnelle. »
Il est certain que la faiblesse actuelle de la prise en charge pédiatrique dans les structures sanitaires est l’une des grandes inquiétudes de l’équipe pour la passation. Pour y remédier, MSF a décidé de mettre l’accent sur la formation et l’accompagnement des médecins en place. Cependant le Dr. Dédé pressent que les limites peuvent être vite atteintes. « En RDC, comme dans de nombreux autres pays du Sud, la répartition des médecins est très inégale entre les villes et le reste du pays. En RDC, il n’y a qu’un médecin pour 10.000 habitants, l’un des taux les plus bas du monde. C’est dire si le défi de MSF de réussir cette passation peut se heurter à un véritable mur si l’on veut vraiment maintenir la qualité des soins » conclut-il.
MSF est prête à consacrer le temps et les moyens nécessaires pour aboutir. Espérons que d’autres évènements violents ne viennent pas interrompre ce difficile mais nécessaire processus.
© Bruno Neveur