Les jeunes mères du Zimbabwe font entendre leur voix au sein du « Teen Mums’ Club »
© Dorothy Meck/Afro Vision Trust
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Pour nous la journée internationale des droits des femmes s’étend au-delà du 8 mars et nous souhaitons valoriser nos projets en collaboration avec les femmes et les filles toute l’année. Le Teen Mums’ Club est un regroupement de mères adolescentes développé par Médecins Sans Frontières (MSF), puis repris par la communauté à Mbare et à Epworth, au Zimbabwe. Le club regroupe des mères adolescentes pour leur offrir du soutien et pour les aider à se sentir autonomes en matière de santé sexuelle et reproductive (SSR). Pour plusieurs jeunes filles et leurs proches, le club a été un premier pas qui leur a permis de retrouver leur bien-être et leur dignité.
Témoignage de Marvellous, mère adolescente membre de la communauté et de sa mère Jacqueline.
« On n’en parle pas ouvertement »
Mbare et Epworth sont deux communes densément peuplées du Zimbabwe. Ces dernières années, pendant la pandémie de COVID-19, les deux communautés ont été confrontées à un changement d’ailleurs observé dans tout le Zimbabwe : une augmentation du nombre de grossesses chez les jeunes filles.
Le Zimbabwe s’est confiné en mars 2020, fermant presque complètement les écoles pendant six mois. La pandémie a également entraîné une augmentation des niveaux de pauvreté. Coupées de l’apprentissage quotidien et subissant la pression de familles peinant à joindre les deux bouts, de nombreuses adolescentes sont devenues de plus en plus vulnérabilisées face aux violences sexuelles et sexistes, aux mariages précoces et à un accès réduit aux soins de santé.
Ces défis liés à la pandémie se sont ajoutés aux tabous, aux croyances culturelles et aux mythes relatifs à la santé sexuelle auxquels étaient déjà confrontées les jeunes filles de Mbare, mais également de nombreux autres endroits du monde.
« On ne parle pas ouvertement des questions liées à la santé sexuelle et reproductive ou à la sexualité dans l’espace communautaire, surtout dans le contexte des relations entre les parents et leurs enfants », explique Relative Chitungo, travailleuse sociale de MSF à Mbare. « Dès qu’un jeune essaie d’approcher un parent et de poser des questions [sur ces sujets], il est montré du doigt ou accusé d’être, disons, canaille. »
« La peur d’être jugé limite également la plupart des adolescents et des adolescentes à rechercher ou à accéder à des informations appropriées qui sont essentielles pour leur permettre de faire des choix de santé. »
Étant donné que ces jeunes comptent généralement sur leurs parents pour obtenir un soutien financier et que la plupart des services de SSR sont relativement chers, il peut être incroyablement difficile pour eux de faire un voyage dans une clinique de SSR en toute discrétion.
Entrer dans le Teen Mums’ Club
Pour Marvellous, le premier contact avec un service de SSR s’est concrétisé à travers un dépliant de la clinique de MSF de Mbare.
Le projet de MSF à Mbare a démarré en 2015 à titre de projet de santé sexuelle et reproductive pour les adolescentes et les adolescents. Au fil des années, et alors que le projet se développait, des lacunes ont été identifiées dans le soutien aux jeunes mères enceintes, que ce soit pendant la grossesse, lors des soins d’accouchement sans risque ou encore après la naissance.
Développé par une équipe de sages-femmes, de conseillers, conseillères, travailleuses et travailleurs sociaux et de personnel de promotion de la santé, le Teen Mums' Club a été mis en place en 2020.
Ses objectifs ? Aider les adolescentes enceintes à atténuer les risques liés à une grossesse précoce, et fournir aux jeunes mères des informations sur la contraception et les rapports sexuels protégés, la grossesse, l’accouchement sans risque, la parentalité, la santé mentale et les perspectives scolaires et professionnelles.
Le projet vise également à faire tomber les barrières sociales et culturelles, notamment les attitudes et les tabous, et à pallier les services de santé coûteux qui rendent l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive difficile pour les jeunes mères.
Miriam, une autre participante, était enceinte de quatre mois lorsqu’elle s’est rendue à une consultation de soins prénataux à la clinique Edith et qu’elle a été orientée vers le club. « Ils nous ont informées sur la façon de nous protéger des grossesses non désirées… Ils ont dit aussi que tomber enceinte ne signifie pas que l’on est un échec dans la vie », dit-elle.
« Lorsque j’étais sur le point d’accoucher, on m’a encouragée à venir faire des examens de grossesse gratuitement. MSF nous fournissait des conseils et des tests gratuits. En cas de séropositivité, MSF proposait des séances d’information. Les personnes dont le test est négatif sont informées des effets de la séropositivité », ajoute Miriam.
Le programme reconnaît également que les jeunes femmes et leurs familles devront être en mesure de gérer leurs finances. Cela a conduit à une formation sur des compétences susceptibles de générer des revenus comme le travail de prothésiste ongulaire et la fabrication de produits nettoyants.
Marvellous a choisi de suivre une formation sur la fabrication de liquide à vaisselle, et sa mère l’a soutenue dans la production et la vente. « Nous mélangions les ingrédients, en nous conseillant mutuellement sur les bonnes mesures », explique Jacqueline. « Le projet de liquide à vaisselle a donné un coup de pouce à ma famille et nous en avons vendu beaucoup pendant la grossesse [de Marvellous]. Nous avons fait beaucoup avec ces recettes. »
Écouter la voix des jeunes
Le succès du Teen Mums' Club réside notamment dans le programme des « mères adolescentes championnes » : des filles qui ont elles-mêmes participé au club et qui démontrent ensuite un intérêt à devenir des éducatrices pour leurs pairs. Elles reçoivent alors de la formation à la promotion de la santé afin d’atteindre et de guider d’autres jeunes filles confrontées à des défis similaires aux leurs.
Après avoir commencé à rendre volontairement visite aux filles de sa communauté pour leur transmettre les informations qu’elle avait eues, Marvellous a été embauchée par MSF comme éducatrice pour les pairs. « L’aide que j’ai reçue de MSF m’a permis de réaliser que je n’étais pas la seule à avoir le même problème et m’a incitée à redonner à ma communauté. »
« [Maintenant, en tant que pair et éducatrice], j’encourage les mères adolescentes de ma communauté à enregistrer leur grossesse afin d’accoucher en lieux sûrs. » Marvellous contribue également à fournir une éducation à la santé sexuelle, des informations sur les contraceptifs et des références à la clinique pour les soins prénataux.
« La création de ce club a apporté un énorme changement dans la réduction des décès maternels au sein de nos communautés. Celles qui ont reçu de l’aide font maintenant circuler le message. »
Relative Chitungo affirme qu’en tant qu’agents ou agentes de santé, il est essentiel de créer un espace permettant aux jeunes mères de s’exprimer. « Nous avons été vraiment stratégiques pour dire : OK, nous voulons donner aux adolescentes les moyens… d’élever leur voix, d’être simplement elles-mêmes. Pour que nos programmes soient efficaces, nous devons entendre leurs voix. »
MSF organise également des sessions d’éducation à la santé sexuelle avec les personnes aidantes des participantes. Le projet a réussi à impliquer les pères des mères adolescentes et encourage les filles à amener leur partenaire avec elles. Les parents ont rejoint le Teen Mums' Club pour faire passer le message à la communauté, pour dire « soyons là pour nos enfants ».
Jacqueline est de ceux-là. « Je voudrais encourager les parents à embrasser leurs filles lorsqu’elles sont confrontées à de tels défis. J’ai accepté cette situation difficile, et je suis reconnaissante à cette organisation [MSF], car j’ai pu voir que l’esprit de ma fille s’était élevé après un long moment », dit-elle. « Je suis incroyablement heureuse qu’elle soit fière de ce qu’elle fait pour aider les autres. Elle est maintenant tout à fait capable de s’occuper de son bébé et de l’élever sans aucun problème. »
Information et responsabilisation
De nombreuses filles enceintes et jeunes mères de Mbare ont encore des obstacles à franchir. Alors que le gouvernement zimbabwéen a annulé en août 2020 une loi qui interdisait aux élèves enceintes d’aller à l’école, la stigmatisation qui touche ces élèves est plus difficile à contrecarrer, ce qui signifie que bon nombre d’entre elles abandonnent encore leurs cours.
Alors que plusieurs jeunes mamans du club reprennent leur formation, MSF prévoit de travailler avec d’autres organisations pour soutenir davantage leur réintégration à l’école.
« Quand on va à l’école, on nous donne le temps de grandir physiquement et mentalement, et notre esprit s’ouvre », explique Chitungo. « Donc [pour une fille]… elle est responsabilisée. Elle est en mesure de prendre en charge son corps, de prendre des décisions sur les questions qui le concernent. »
Pour les 124 adolescentes inscrites, le club des mères adolescentes constitue la base qui leur permet de reprendre le contrôle de leur santé et de celle de leur bébé, et de faire des choix qui leur conviennent.
C’est un sentiment que Marvellous dit avoir acquis en découvrant le club. « Ma vie a changé en mieux parce que je suis maintenant bien informée, contrairement à avant. »
© Dorothy Meck/Afro Vision Trust