«Même la guerre a ses règles»
© Pierre-Yves Bernard/MSF
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MSF appelle à saisir la Commission d’enquête internationale humanitaire sur le bombardement en Afghanistan. Discours prononcé par le Dr. Joanne Liu, Présidente internationale de MSF
Samedi matin, les patients et les employés MSF tués à Kunduz ont rejoint l’innombrable cohorte de personnes tuées dans des zones de conflits et qualifiées de «dommage collatéral» ou de «conséquences inévitables de la guerre». Le droit à l’erreur n’a pas sa place dans le droit international humanitaire. Il s’agit d’établir les faits, les mobiles et les intentions.
L’attaque menée par les Etats-Unis sur l’hôpital MSF de Kunduz est responsable de la plus grande perte humaine subie par notre organisation aie connue au cours d’une frappe aérienne. Des dizaines de milliers de personnes à Kunduz n’ont désormais plus accès à des soins médicaux vitaux au moment où elles en ont le plus besoin. Aujourd’hui nous disons Assez. Même la guerre a ses règles.
«Aujourd’hui nous disons Assez»
A Kunduz, nos patients sont morts brûlés vifs dans leur lit. Des médecins, des infirmiers et d’autres employés MSF ont été tués alors qu’ils travaillaient. Nos collègues ont dû s’opérer mutuellement. L’un de nos médecins est mort sur une table d’opération improvisée, un bureau, alors que ses collègues tentaient de lui sauver la vie.
Aujourd’hui nous rendons hommage aux victimes de cette attaque odieuse. Et nous rendons hommage aux personnels MSF qui, alors qu’ils voyaient leurs collègues mourir et que leur hôpital était toujours en flammes, ont continué à s’occuper des blessés.
Les Convention de Genève ne sont pas un cadre juridique abstrait
Cette intolérable attaque menée contre notre hôpital est aussi une attaque menée contre les Conventions de Genève. Ces Conventions encadrent les règles de la guerre et ont été établies pour protéger les civils en temps de conflits – y compris les patients, les personnels soignants et les structures médicales. Elles sont là pour garanti qu’un peu d’humanité subsiste des situations les plus inhumaines.
Les Conventions de Genève ne sont pas juste un cadre juridique abstrait – les obligations auxquelles elles soumettent les parties au conflit font la différence entre la vie et la mort pour les personnels soignants sur les lignes de fronts. Elles autorisent nos patients à espérer accéder à nos structures de santé en sécurité et à ceux qui soignent d’apporter des secours sans être pris pour cible.
C’est précisément parce qu’il est interdit d’attaquer un hôpital en zone de guerre que nous nous attendons à être protégés. Et pourtant, dix patients dont trois enfants ont été tués, et 12 personnels MSF ont été tués par les frappes aériennes.
Les enquêtes militaires ne sont pas suffisantes
Les contradictions dans les déclarations afghanes et américaines de ces derniers jours illustrent la nécessité d’établir les faits et les circonstances de cette attaque de manière indépendante et impartiale. Il n’est possible de nous en remettre uniquement aux enquêtes militaires menées par les forces américaines, afghanes et de l’OTAN.
Aujourd’hui nous souhaitons que l’investigation sur l’attaque de Kunduz soit menée par la Commission d’enquête internationale humanitaire. Cette commission a été établie dans le cadre des protocoles additionnels aux Conventions de Genève et elle est l’unique mécanisme spécialement établi pour enquêter sur les violations du droit international humanitaire. Nous demandons aux états signataires de saisir la commission pour que la vérité soit faite et réaffirmant ainsi leur attachement au statut protégé des hôpitaux en zones de guerre.
Bien que ce mécanisme existe depuis 1991, la commission n’a jamais été encore utilisée. Pour ce faire, l’un des 76 états signataires doit demander l’ouverture d’une enquête. Jusqu’ici, les gouvernements n’ont jamais voulu, ou osé, créer un précédent. Le mécanisme existe, et il est temps de l’activer.
«Ne pas laisser le champ libre à l’impunité»
Il est intolérable que les Etats laissent aujourd’hui le champ libre à l’impunité. Il est intolérable que le bombardement d’un hôpital et l’assassinat de personnels soignant et de patients soient qualifiés de dommage collatéral ou reléguer d’un revers de la main au rang d’une simple une erreur.
Aujourd’hui, nous nous battons pour le respect des Conventions de Genève. En tant que médecins, nous nous battons pour nos patients. Nous avons besoin de vous à nos côtés pour affirmer que même les guerres doivent obéir à des règles.
Dr. Joanne Liu, Présidente internationale de MSF
7 Octobre 2015, Palais des Nations, Genève, Suisse
© Pierre-Yves Bernard/MSF