« Motards Sans Frontières »
© Pau Miranda/MSF
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Grâce à son réseau de motocyclistes, MSF vient en aide aux habitants des régions isolées de la République démocratique du Congo
Faire le trajet entre Minova et Numbi, dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), serait le rêve d’un grand nombre d’amateurs de motos. Le voyage offre en effet plus de deux heures de routes vallonnées, de dérapages et d’obstacles de toutes sortes, qui mettraient au défi n’importe quel motocycliste chevronné. Néanmoins, c'est avec aisance et la sérénité apparente des gens qui en voient d’autres au quotidien que de nombreux motards du coin entreprennent ce trajet. Un étranger qui prendrait place sur le siège arrière aurait bien du mal à admirer le magnifique paysage, tout occupé qu’il serait à se cramponner au conducteur alors que celui-ci exécute mille acrobaties imposées par les difficultés de la route. Mais après un bout de chemin, rassuré par le talent fou du pilote, notre visiteur se laissera volontiers conduire là où il doit aller.
Mais la beauté du paysage ou l’ivresse de la route sont bien loin des pensées des milliers de personnes résidant à Numbi et dans les régions de hautes terres avoisinantes. Cette route est pratiquement la seule voie menant au Lac Kivu et à Minova, la ville la plus proche. Pour les malades ou les femmes enceintes, c’est la seule voie d’accès à l’unique hôpital de la région. Et dans de tels cas, transporter un patient à l’arrière de sa moto est plus qu’une aventure, c’est un véritable tour de force. « Je n’ai jamais rencontré de situation impossible, il y a toujours un moyen... mais des fois, on doit faire son signe de croix avant de foncer », explique Shabadé, un des motards travaillant pour Médecins Sans Frontières (MSF) dans la province du Sud-Kivu. Qu’il s’agisse d'explorer des régions isolées pour déterminer les besoins de la population ou de transporter des patients, ces motards offrent un service indispensable aux dizaines de milliers de personnes qui seraient autrement privées d’aide médicale. L’absence d’accès aux soins de santé est un problème de taille en RDC où il existe moins d’un lit d’hôpital pour 1000 habitants et à peine plus d’un médecin pour 10 000 habitants. Ces indicateurs de santé comptent parmi les pires au monde.
Atteindre le centre médical
« C'est un travail très stressant, parce qu’il faut aller vite tout en étant prudent parce qu’on transporte des passagers en situation difficile », explique Akonkwa, un motard de MSF à Numbi. En septembre dernier, une grenade a explosé juste devant le complexe de MSF dans ce village, blessant une dizaine de personnes. Les motards ont rapidement dû évacuer vers Minova plusieurs de ces blessés, dont certains étaient grièvement touchés.
Parfois, même les meilleures prouesses de ces motards ne leur permettent pas d’atteindre le centre médical à temps. « Dernièrement, nous avons dû conduire une femme enceinte à l’hôpital, mais le bébé a commencé à arriver en cours de route. Heureusement, le motard de soutien avait une certaine expérience. Nous avons pu aider la maman à accoucher et tout s’est très bien passé », raconte Brimana, une nouvelle recrue parmi les motards de MSF à Numbi.
Un réseau de motocyclistes
Pour parcourir la route reliant Numbi à Minova, que les voitures n’empruntent que dans de rares circonstances et jamais par temps de pluie, MSF a renforcé son réseau de motocyclistes en faisant appel à des jeunes de la région, dont la plupart travaillent comme motards au sein du vaste réseau de mototaxis dans le pays. Tel est le cas par exemple de Shabadé ou de Brimana, qui viennent d’un village proche de Minova. « Il y a six mois, MSF m’a recruté pendant une journée afin de transporter un patient de toute urgence. J’ai dû faire du bon travail, parce qu’ils m’ont ensuite offert un emploi permanent. J’ai passé un test et me voilà », raconte Brimana, 22 ans. Il reconnaît qu’il gagne maintenant mieux sa vie. « Avant, je devais louer la moto que j’utilisais comme taxi », explique-t-il, en soulignant l'impact que son travail a eu sur sa vie personnelle. « Je sens que j’évolue. Ce travail m’apprend davantage sur le plan humain et sur la société dans laquelle je vis. »
Les difficultés du terrain ne sont pas les seuls obstacles que doivent surmonter ces motards sans frontières. Comme de nombreux autres habitants, ils doivent souvent gérer les conséquences du conflit armé qui ravage diverses régions du pays depuis une vingtaine d’années. « Un jour, nous étions en mission d’exploration dans le sud de la province et des miliciens nous ont arrêtés à un barrage routier. Les choses se sont envenimées, et nous avons dû prendre la fuite alors qu’ils tiraient en l’air », raconte Pascal, un des motocyclistes de l’équipe d’urgence de MSF à Bukavu, au sud de Minova.
« Parfois, une moto peut transporter jusqu'à 150 kilos »
Les motards jouent un rôle clé dans de nombreuses interventions menées dans la région. C'est le cas des campagnes de vaccination, où le seul moyen de transporter les vaccins réfrigérés au cœur de la jungle est avec des deux-roues. « Parfois, une moto peut transporter jusqu'à 150 kilos, ce qui est énorme », explique Pascal. C’est grâce à eux que plusieurs campagnes d’immunisation ont pu être menées avec succès dans la région. Des centaines de milliers d’enfants ont ainsi pu être vaccinés contre des maladies comme la rougeole, qui continue de coûter des vies en RDC.
Peu après son arrivée à Numbi, les reins encore endoloris, mais gonflé à bloc par le voyage, notre visiteur est invité à poursuivre la route jusqu'à Shanje : un voyage d'environ une heure sur un sentier rocailleux et boueux. Pas de problème avec ces motards, vous avez la garantie de toujours arriver à bon port.
© Pau Miranda/MSF