Mozambique : Un long et incertain combat contre le VIH/sida

Henriques Mbuana, un conseiller MSF, discute avec un patient à l'hôpital de Lichinga, dans le nord du Mozambique. 2011

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Au Mozambique, la lutte contre le VIH/sida est un combat de tous les jours. Beaucoup reste à faire pour lutter contre la stigmatisation qui frappe les porteurs du virus et prendre en charge l’ensemble de ceux qui ont besoin de soins et de médicaments. Rencontre avec les équipes de MSF qui sont à pied d’œuvre pour apporter un soutien au personnel du ministère de la Santé.

L’audience est attentive. Dans la salle d’attente des urgences de l’hôpital de Lichinga, ville du nord du Mozambique, une cinquantaine de personnes suivent le discours enflammé de Jaime Fernando Aime. A l’aide de grands gestes et d’un livre d’images, cet homme au verbe grave et à la posture de gladiateur explique à tous qu’il est séropositif et suit un traitement antirétroviral depuis quatre ans. Il sort de sa poche une boîte de pilules: «Voyez, ce n’est rien, juste des médicaments, et grâce à cela je peux vivre et travailler normalement… Je suis même venu ici à bicyclette!»

Jaime est employé par MSF depuis trois ans pour porter la bonne parole et convaincre les habitants de Lichinga de se faire tester pour le VIH/sida. «La première difficulté, c’est de briser le silence et d’oser dire aux autres que l’on est séropositif», explique-t-il. «Aujourd’hui, c’est devenu plus simple, il y a moins de honte – les gens à qui je m’adresse osent davantage poser des questions sur la maladie.»

Grâce au travail de Jaime et de dizaines d’autres activistes, le VIH/sida n’est plus au Mozambique le tabou qu’il était, même s’il reste beaucoup à faire. L’une des preuves en est l’augmentation substantielle du nombre de patients suivis par les structures soutenues par MSF. A Chamanculo, l’un des districts de la capitale Maputo, plus de 18000 personnes suivaient fin 2010 un traitement antirétroviral, soit 58% de plus qu’un an plus tôt. «Ces chiffres ne sont pas le signe d’une recrudescence de l’épidémie, plutôt celui d’une prise de conscience de la population. Les gens viennent davantage se faire tester, ce qui augmente de fait le nombre de personnes prises en charge», explique Gaël Claquin, coordinateur du projet MSF à Chamanculo. Malgré tout, les chiffres restent préoccupants: la prévalence du VIH/sida serait aujourd’hui au Mozambique 11,5% chez les adultes âgés de 15 à 49 ans. Dans les zones urbaines, ce taux atteint même 15,9%. Et parmi les femmes enceintes, 18% sont touchées par le virus.

Il est 7h30 du matin et une foule animée se presse devant l’hygiaphone de la réception de l’hôpital de Chamanculo. Un quart d’entre eux, soit 200 à 250 personnes par jour, viennent pour une consultation concernant une maladie chronique – essentiellement le VIH/sida. Pour nombre d’entre eux, il s’agit de leur première visite après un dépistage positif pour le VIH/sida. Derrière la réception, de grands casiers de fer où s’entassent des milliers de dossiers de patients séropositifs… L’une des premières étapes de ces derniers dans leur parcours de soins est la rencontre avec un conseiller MSF.

Un espoir: vivre longtemps et en bonne santé avec le VIH

Dans une petite salle peu éclairée de l’hôpital de Chamanculo, deux conseillères MSF discutent avec six patients assis sur des bancs de bois. Un homme au bonnet en laine jaune demande s’il doit revenir chaque mois chercher des médicaments. Il travaille en Afrique du Sud et a peur de perdre son emploi. Margarita, «patiente experte» MSF, elle-même séropositive, lui confirme qu’il sera bien traité là-bas aussi, avec les mêmes médicaments. «Cette première discussion est très importante, elle permet aux gens d’obtenir des réponses sur ce que va devenir leur vie et donc au personnel médical qui les voit ensuite de se concentrer sur la consultation», explique Amélia, infirmière qui travaille pour MSF depuis 2002. «Il y a quelques années, les patients pleuraient beaucoup lors des premières consultations. Aujourd’hui, ils prennent la nouvelle de leur séropositivité avec plus de philosophie, ils savent qu’ils peuvent être soignés et vivre longtemps en bonne santé s’ils suivent leur traitement, d’autant plus s’ils se sont fait dépister tôt.»

Ces nouvelles encourageantes ne signifient pourtant pas que le combat contre le VIH/sida au Mozambique est gagné. 1.4 million de Mozambicains sont aujourd’hui séropositifs. Parmi les 650000 qui devraient être mis sous traitement antirétroviral, seuls 250000 y ont effectivement accès. En cause: la difficulté d’accès aux soins, et notamment le manque de personnel médical.

Former les infirmiers à prendre la relève des médecins

Depuis plusieurs années, MSF tente de convaincre les autorités du Mozambique de la nécessité d’investir davantage dans les ressources humaines et d’adapter certains protocoles pour permettre de prendre en charge davantage de patients. «Par exemple, nous proposons que les infirmières, après avoir suivi une formation adéquate, puissent prescrire des traitements antirétroviraux pour les cas non-compliqués, ce qui aujourd’hui ne peut être fait que par les médecins et les técnicos de medicina (1)», explique Mariano Lugli, chef de mission MSF au Mozambique. Anticipant une telle décision, MSF a entrepris un programme de formation des infirmiers, ce qui leur permettra d’être rapidement à l’œuvre. «Nous sommes bien préparés et pourrons initier des traitements dès que la loi changera», explique Alberto Zefarias, infirmier MSF à l’hôpital de Chamanculo. «Certains d’entre nous assistent même déjà les técnicos de medicina qui ont moins d’expérience. Mais nous sommes déjà submergés de travail. Certains jours, je vois jusqu’à 60 patients qui viennent à l’hôpital pour renouveler leur traitement.»
Si des centaines de milliers de patients n’ont pas encore accès aux traitements dont ils auraient besoin pour rester en vie, c’est aussi en raison d’un manque de financement. Les soins VIH/sida comptent pour la moitié du budget du ministère de la Santé (78 millions de dollars sur 138,7 millions). Les équipes MSF notent de fréquentes ruptures de stocks de médicaments, dues à des raisons techniques ou à un manque de fonds. «Les financements internationaux, notamment via le Fonds Global, sont de plus en plus limités, que ce soit pour le Mozambique ou d’autres pays affectés par les épidémies, souvent liées, de VIH/sida et de tuberculose», explique Mariano Lugli. «Le Mozambique, malgré ses efforts notables, ne s’en sortira malheureusement pas sans davantage d’implication des bailleurs de fonds internationaux.»
(1) Les técnicos de medicina, ou assistants médecins, ont une position intermédiaire entre les médecins et les infirmiers.