«Nous appelons Novartis à renoncer à son action en justice en Inde»
© Claudio Tommasini
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Dans une lettre ouverte publiée le jour de la reprise de l’audience devant la Cour suprême indienne, MSF demande aux dirigeants de Novartis de mettre fin à leur acharnement judiciaire contre la loi indienne sur les brevets, un acharnement qui met en danger des millions de patients à travers le monde.
«Messieurs Jimenez et Vasella*,
Aujourd’hui, mardi 11 septembre, à New Delhi en Inde, les avocats représentant Novartis plaident devant les juges de la Cour suprême indienne en vue d'affaiblir une clause de sauvegarde de santé publique de la loi indienne sur les brevets. Novartis menace ainsi l'accès à des médicaments vitaux pour des millions de personnes dans les pays en voie de développement.
La loi indienne sur les brevets, qui est conforme aux obligations de l'Inde en tant que membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), a été conçue pour récompenser l’innovation médicale en accordant des brevets sur les nouveaux composants pharmaceutiques. D’ailleurs, le fait que Novartis a obtenu un brevet en Inde pour le Tasigna (nilotinib) en est la preuve. Mais l’Inde a pensé sa loi pour éviter les pratiques abusives de compagnies qui visent à prolonger indéfiniment leur monopole et maintenir ainsi des prix élevés. Nous vous demandons de respecter l'esprit de cette loi.
«Pas d’avantage thérapeutique supplémentaire»
Dans ce contexte, l’Inde a estimé que le Glivec, le médicament anticancéreux de Novartis, ne méritait pas d’avoir un brevet, parce qu’il s’agissait d’une simple formulation, sans avantage thérapeutique supplémentaire, d’une molécule – l’imatinib – qui était déjà tombée dans le domaine public. Ce point a été confirmé par plusieurs jugements successifs, malgré les appels répétés de Novartis. Résultat: les compagnies génériques sont maintenant capables de vendre leurs versions du Glivec pour 170 francs suisses par mois, alors que le médicament de Novartis coûte 2100 francs. Mais Novartis remet une nouvelle fois en cause cette décision, en portant l’affaire devant la Cour suprême. Si Novartis obtient gain de cause, les compagnies pharmaceutiques pourront demander des brevets sur «de nouvelles formulations» d’anciens médicaments, même s’il n’y a pas de preuve d’efficacité thérapeutique supplémentaire. Si Novartis perd, les brevets seront toujours accordés pour de véritables innovations.
«Si vous obtenez gain de cause, cela fera jurisprudence»
L'enjeu de ce procès dépasse de loin le Glivec. Si vous obtenez gain de cause, cela fera jurisprudence. Votre action en justice aura pour conséquence que davantage de brevets seront accordés de façon injustifiée, ce qui empêchera l’industrie générique indienne de faire baisser les prix à des niveaux plus abordables. Votre action mettra un terme au rôle vital que jouent les producteurs de génériques en favorisant l’accès à des médicaments de qualité, à prix abordables. Aujourd’hui, pour prendre un seul exemple, l’industrie générique indienne fournit 80% des traitements contre le VIH/sida utilisés dans le monde, elle est aussi essentielle dans la lutte contre les épidémies et les maladies chroniques. Vos actions vont exclure du marché celles et ceux qui ne peuvent pas s’offrir vos médicaments, les priver de traitement et ainsi mettre en danger ces malades et leur entourage. Voilà pourquoi nous vous demandons instamment de reconsidérer votre action en justice.
Nous, les soussignés, attendons de Novartis qu’elle se concentre sur de véritables innovations et non pas des tentatives injustifiées de prolonger ses monopoles. Nous attendons de Novartis de ne pas entreprendre d’actions qui sapent l’accès aux médicaments essentiels. Nous appelons Novartis à renoncer à son action en justice en Inde.»
* Joseph Jimenez et Daniel Vasella sont respectivement le PDG et le président du conseil d’administration de Novartis.
Abiy TAMRAT - Président de MSF-Suisse
Manica BALASEGARAM - MSF Access Campaign Executive Director
Patrick DURISCH - Responsable du Programme Santé de la Déclaration de Berne
Prof Dr Thomas CERNY - Médecin-Chef Oncologie à l’Hôpital cantonal de Saint-Gall, Président de la Recherche Suisse contre le Cancer
Madame Ruth DREIFUSS - Ancienne conseillère fédérale
Prof. Dr. Franco CAVALLI - Directeur de l’Institut Oncologique de la Suisse Italienne, Président honoraire de l'Union internationale contre le cancer (UICC)
Monsieur Dick MARTY - Ancien conseiller aux Etats
Alexandra CALMY - Cheffe de clinique scientifique aux Hôpitaux universitaires de Genève
© Claudio Tommasini