Novartis tente d’affaiblir la loi indienne sur les brevets favorable aux malades
© Michel Lotrowska/MSF
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L’entreprise pharmaceutique revient à la charge devant les tribunaux indiens pour faire breveter un médicament contre le cancer. Une action qui met en péril l’accès aux génériques.
Novartis, la multinationale pharmaceutique suisse, a saisi la Cour suprême indienne dans une dernière tentative pour saper l’une des dispositions clés de sauvegarde de la santé publique. Inscrite dans la loi indienne sur les brevets, cette mesure est spécifiquement conçue pour empêcher les compagnies pharmaceutiques de breveter abusivement des médicaments. En cas de succès, cette démarche serait dévastatrice pour l’accès à des médicaments abordables dans les pays en développement, selon MSF.
«Novartis tente de museler les bureaux indiens des brevets. Elle veut les empêcher de pouvoir rejeter les brevets sur de nouvelles formes d’anciens médicaments qui montrent en fait peu d’amélioration thérapeutique», déclare Leena Menghaney, de la Campagne d’accès aux médicaments de MSF en Inde. «Le système existant n’est pas parfait mais il empêche les entreprises pharmaceutiques d’obtenir un monopole injustifié pendant 20 ans à chaque fois qu’elles proposent une nouvelle utilisation ou une nouvelle forme d’un médicament. Novartis veut rendre cette clause de sauvegarde dénuée de sens, sans tenir compte des conséquences que cela pourrait avoir sur la santé publique.»
Tous les pays en développement concernés
Novartis conteste une partie de la loi indienne sur les brevets –la Section3 (d) – qui, avec d’autres dispositions, prévoit qu’une nouvelle forme d’un médicament connu ne peut être brevetée que si elle montre une nette amélioration de son efficacité thérapeutique par rapport à des médicaments existants. Quand l’Inde a introduit les brevets sur les médicaments en 2005 dans le cadre de ses obligations en tant que membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), elle a équilibré les droits des brevets avec les besoins de santé publique.
Si Novartis réussit à affaiblir l’interprétation de la section 3 (d) en obtenant un brevet sur un sel spécifique de l’imanitibe, un médicament anti-cancer, il forcerait l’Inde à accorder beaucoup plus de brevets qu’elle ne le fait actuellement ou que ce qui est prévu dans les règles du commerce international. Cela pourrait mettre un terme définitif à la concurrence des génériques sur plusieurs médicaments essentiels. Leur prix en Inde et dans les pays en développement resterait très élevé.
«Parce que l’Inde est la source de la majorité des médicaments de qualité à prix modéré utilisés dans les pays en développement, les conséquences de l’action de Novartis vont au-delà des frontières du pays», met en garde le Dr. Tido von Schoen-Angerer, directeur de la Campagne d’accès aux médicaments de MSF. «La menace pour le monde en développement est réelle, pour tous les patients. Ce ne sont pas seulement les patients cancéreux en Inde qui sont concernés.»
«Dans la pratique, nous avons déjà constaté, les avantages de la protection de la santé publique dans la loi indienne sur les brevets», affirme Leena Menghaney. «Grâce à la section 3 (d), les demandes de brevets pour les formulations pédiatriques et les combinaisons à dose fixe d’antirétroviraux ont ainsi été rejetées. Ces médicaments ont besoin de la concurrence des génériques pour être abordables.»
«Une question de vie et de mort»
La section 3 (d) embarrasse depuis longtemps les compagnies pharmaceutiques. En 2006, lorsque le bureau indien des brevets a statué que Novartis ne pouvait déposer un brevet pour le mesylate d’imatinibe (Gleevec), au motif que la demande de brevet portait sur la nouvelle forme d’un médicament trop vieux pour être brevetable en Inde, la compagnie pharmaceutique a entrepris une série d’actions judiciaires, tendant à déclarer inconstitutionnelle la section 3 (d). Ayant perdu le premier procès en 2007 et l’appel en 2009, Novartis tente aujourd'hui de faire en sorte que les termes «efficacité thérapeutique» soient interprétés de telle sorte que même de petits changements apportés à un vieux médicament – comme le mesylate d’imatinibe – puissent être brevetables.
«Les décisions prises par les bureaux des brevets et les tribunaux indiens sont une question de vie ou de mort pour les personnes vivant avec le VIH/sida», indique Loon Gangte, du Réseau des personnes séropositives de Delhi (DNP +). «Nous comptons sur la disponibilité des médicaments abordables contre le sida et d’autres médicaments essentiels fabriqués par les producteurs de génériques indiens pour rester en vie et en bonne santé».
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