“Dès que la porte se ferme, nous nous asseyons avec eux et nous écoutons.”

Henrike Zellmann, Domiz, Irak, 07.10.2013

5 min

Henrike Zellmann est une psychologue allemande. Depuis août dernier, elle travaille pour MSF à Domiz, au sein d’une équipe qui comprend deux autres psychologues syriens et une psychologue irakienne.

Henrike décrit combien les besoins en soins de santé mentale ne cessent de croitre dans le camp, rendant les services proposés par MSF toujours plus essentiels.

Les gens ont perdu toutes leurs illusions

Dans le camp de Domiz, on observe que la situation ne fait que s’aggraver en termes de besoins psycho thérapeutiques. Les gens ont perdu toutes leurs illusions. Lorsqu’ils sont arrivés ici, ils pensaient encore que la crise ne durerait que quelques mois. Mais aujourd’hui ils réalisent que la situation ne s’améliore pas. Ils ne savent pas si et quand la crise va se terminer.
Leur équilibre psychique est très fragilisé. Plusieurs éléments peuvent provoquer une détérioration de leur état: les conditions de vie dans le camp, les souvenirs de la guerre qui se poursuit en Syrie, l’incertitude quant à l’issue du conflit ou encore la probabilité de retrouver une vie normale.
Lorsqu’un individu vit dans une telle incertitude, son état psychologique en est dramatiquement affecté. Or ici, les réfugiés sont en permanence dans l’incertitude, ils n’ont que peu d’espoir et rien ne leur permet de penser que la situation s’améliorera rapidement.
Nous recevons de plus en plus de personnes qui ont des troubles sévères, comme des psychoses. Avec le sentiment accru d’inutilité parmi les réfugiés, les plaintes que nous traitons sont de plus en plus complexes. Les traumatismes liés à la guerre et les conditions de vie inadéquates dans le camp ne sont pas les seuls facteurs déclencheurs des épisodes de psychose, mais ils y participent.
Il y a quelques semaines, nous avons reçu une femme montrant des symptômes de délire. Elle disait être enceinte de 11 enfants. Nous nous sommes inquiétés car nous savions qu’elle n’avait que trois enfants. Après une visite sur place, nous avons observé que les conditions étaient bonnes et que ses voisins étaient là pour la soutenir. Nous allons suivre son cas de près et l’encourager à continuer les consultations. Les préjugés autour des troubles de santé mentale constituent souvent une barrière. Nous étions donc soulagés de voir que la communauté se montrait solidaire à son égard.

Une enfance perdue

Lorsque je vois à quel point les enfants ici sont affectés, il est difficile d’imaginer ce qu’ils traversent. J’ai l’impression qu’ils perdent leur temps, que ces années seront gaspillées pour eux. Ils n’ont presque rien à faire ici. La plupart ne peuvent encore pas aller à l’école faute d’infrastructures suffisantes et ils passent leurs journées à jouer dans la poussière. Certains doivent même trouver un job pour soutenir leur famille et des jeunes de 13 ou 14 ans travaillent, renonçant ainsi à poursuivre leur éducation.
Lorsque nous organisons des consultations pour ces enfants, il est important de leur faire comprendre que leurs réactions sont normales. Qu’ils traversent une situation très anormale et que leurs réactions sont les mêmes que celles de nombreux autres enfants dans le même contexte.
L’un des symptômes les plus fréquents chez les enfants est le fait de faire pipi au lit. Ce qui accroit encore la charge des parents, souvent démunis face à ce problème. Cela crée des tensions dans la relation parents-enfants, les enfants ayant souvent honte et étant souvent mal à l’aise.
Un enfant de 10 ans est venu nous voir pour cela. Arrivé d’Irak quelques mois auparavant, il a été réuni à sa famille dans le camp de Domiz. Nous lui avons expliqué que ce qu’il vivait était normal dans de telles circonstances, et lui avons donné quelques conseils pour dépasser ce problème en le rassurant sur le fait que ce n’était pas si grave. C’était encourageant de voir à quel point il était soulagé, de constater que la seule possibilité d’en parler ouvertement lui permettait de surmonter en grande partie sa gêne.

La possibilité de s’exprimer

Les blessures psychologiques restent souvent invisibles. Mais nos équipes constatent combien elles sont profondes. L’une des choses les plus importantes que nous apportons aux patients est certainement la possibilité de s’exprimer. Les patients et les thérapeutes collaborent ainsi, imaginant ensemble des moyens de faire face à la situation, d’alléger les symptômes, et finalement de mieux gérer leurs réactions. Pour la plupart, il s’agit surtout de ne pas alourdir le fardeau de leur famille : parler à une personne en dehors de la famille, en toute confidentialité, représente réellement une aide.
Parfois, les personnes arrivent à la clinique très énervées et traumatisées. Elles pleurent ou sont totalement abattues. Nous leur offrons un espace sûr, où elles peuvent s’exprimer librement, maitriser leurs réactions, réaliser qu’elles ne sont pas anormales ni en train de devenir folles. Dès que la porte se ferme, nous nous asseyons avec eux et nous les écoutons. Sans être intrusifs, en accord avec le patient, nous les aidons à guérir. Bien que les blessures soient curables, la souffrance ne disparait peut-être pas. Mais si nous pouvons les aider à trouver le moyen de mieux faire face et de gérer cette souffrance, alors c’est déjà quelque chose.”