Soudan du Sud: les communautés se préparent aux inondations à l’aube de la saison des pluies

MSF South Sudan Climate Crisis

Soudan du Sud6 min

Dans un paysage arride , le moteur d’un véhicule MSF gronde à l’approche d’un petit village du Dentiuk, dans l’Etat du Nil Supérieur. Il remorque un canoë en bois grinçant. « Es-tu sûr que nous sommes au bon endroit ? », demande le chauffeur.

« On ne dirait peut-être pas comme ça, mais quand la pluie arrive ici, la zone toute entière est gravement touchée par des inondations et le seul moyen de se déplacer est le bateau », répond Jorge, responsable de l’équipe logistique MSF. « Heureusement, les maisons dans ce village sont construites sur un sol légèrement surélevé. »

Le village en question est l’un des onze villages à avoir reçu des canoës de la part de Médecins Sans Frontières (MSF) afin de faciliter le transport des personnes malades et des femmes enceintes pendant la saison des pluies, qui s’étale généralement de juin à octobre.

La pluie n’est pas encore arrivée cette année, mais les prévisions météorologiques saisonnières et les projections en lien avec le changement climatique ne présagent rien de bon. En mai, les Nations Unies ont estimé que les fortes pluies dans le bassin du Lac Victoria, couplées à la venue prochaine du phénomène El Nino engendrerons de graves inondations dans de nombreuses régions du Soudan du Sud.

Les inondations sont depuis longtemps un fléau pour le pays, particulièrement au cours de ces quatre dernières années où, exacerbées par le changement climatique, les pires inondations de l’histoire de cette jeune nation ont été enregistrées. Durant la saison des pluies, les crues ont emporté des villages entiers, détruit les récoltes, noyé le bétail, endommagé sévèrement les infrastructures, tout en forçant des centaines de milliers de personnes à fuir leur maison.

L’an dernier, une partie plus grande que jamais du Soudan du Sud était recouverte d’eau et, par endroits, l’eau ne se s’est toujours pas retirée. À Bentiu, dans l’Etat d’Unité, le camp de déplacés est en fait une île protégée par des digues, tandis que certains villages d’Old Fangak, dans l’Etat de Jonglei, sont toujours sous l’eau.

Mary Abur Thon, 26 ans, a été forcée de quitter sa maison à Peldiarowei, dans l’Etat du Nil Supérieur, à cause des inondations en août 2022. Elle a fui avec son mari, leurs deux enfants et le reste de leur famille vers le comté d’Akoka où la situation était légèrement meilleure. « Après une nuit de fortes pluies, le niveau de l’eau ne cessait de monter. À tel point que les enfants ne pouvaient plus marcher », raconte-t-elle. « Nous n’avions pas de nourriture, car toute les terres étaient recouvertes par l’eau. Nous avons marché durant des jours entiers pour arriver ici. C’est inondé aussi, mais pas aussi gravement que chez nous. »

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Mary Abur Thon, 26 ans et mère de deux enfants, se tient devant sa maison dans le village d'Aree, dans le comté d'Akoka, dans l'État du Nil Supérieur. Mary et sa famille ont été déplacées par les inondations de leur maison en août 2022. Ils vivent désormais ensemble dans le village d'Aree.

© Paul Odongo/MSF

Pour les communautés locales, ces inondations constituent un désastre, entravant leur accès à la nourriture et les isolant souvent dans des petites zones surpeuplées et dépourvues d’infrastructures. Le fait de vivre en extérieur, sans moustiquaires et entouré d’eaux stagnantes dans lesquelles les moustiques se reproduisent, rend ces populations particulièrement exposées paludisme, qui est déjà la plus importante cause de mortalité du Soudan du Sud. Les eaux de crue contaminent les sources d’eau, augmentant les risques liés aux maladies hydriques telles que le choléra et la diarrhée aigue, dont la propagation est favorisée par la forte densité de population. De plus, des communautés entières se retrouvent coupées de toute structure de santé, ce qui met de nombreuses vies en danger.

Pour les organisations humanitaires comme MSF, atteindre les personnes dans le besoin devient de plus en plus difficile lorsque les inondations recouvrent ou détruisent routes, ponts et pistes d’atterrissage.

Dans ce contexte, MSF aide les communautés à se préparer au mieux à la saison des pluies, tout en s’assurant qu’ils puissent continuer à accéder aux soins de santé.

« Lorsque les gens tombent malades ici, nous n’avons pas de moyen pour les transporter jusqu’à des endroits comme Malakal, sauf avec un bateau », explique Angau Biech, le chef du village d’Aree dans le comté d’Akoka, qui a récemment reçu un canoë de la part de MSF. « Avant, nous devions louer des bateaux pour ce genre de situations. Mais maintenant, il nous sera plus facile de transporter les gens de l’autre côté de la rivière, à Kodok, où les équipes MSF les prennent ensuite en charge. »

MSF a également réparti ses fournitures médicales dans différents endroits à travers le pays, y compris dans ses projets dans l’Etat du Nil Supérieur, en se concentrant sur les zones particulièrement vulnérables. En s’assurant que les médicaments et le matériel médical nécessaires au traitement du paludisme, des maladies hydriques et des maladies infectieuses soient stockés en sécurité et rapidement disponibles, les équipes MSF espèrent pouvoir contenir les épidémies futures suffisamment tôt et éviter ainsi qu’elles ne se répandent.

Afin d’aider les communautés à fournir les premiers soins dans des situations d’urgence, les équipes MSF forment des membres clés des communautés isolées aux compétences médicales, allant des premiers soins aux soins plus avancés, y compris par exemple le soutien aux femmes sur le point d’accoucher et ayant entamé le travail.

« L’accouchement n’est pas un processus que l’on peut ralentir une fois commencé. Dans ces régions, la structure de santé la plus proche peut parfois se trouver à plusieurs heures de transport, et s’y rendre est encore plus complexe en cas de fortes pluies ou d’inondations », explique Dinatu, responsable des activités de sage-femmes pour MSF à Malakal. « Nous entrainons alors les accoucheuses traditionnelles de ces villages pour leur offrir des compétences supplémentaires lorsqu’elles soutiennent les femmes sur le point d’accoucher pendant leur transfert vers la structure de santé la plus proche. »

Au vu de l’ampleur des inondations de ces quatre dernières années, il semblerait que les inondations massives soient une nouvelle réalité pour le Soudan du Sud. Faire face à la myriade de défis que cela implique va nécessiter un effort commun des autorités, des bailleurs de fonds et de la communauté humanitaire, afin d’assurer que les populations aient accès aux soins d’une part, et d’anticiper et de s’attaquer aux conséquences du changement climatique dans la région d’autre part.