Soudan du Sud: «je ne crois pas aux miracles, mais parfois nous avons de la chance»
© Olga Overbeek/MSF
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Le Dr. Roberto Scaini raconte une nuit de garde dans l’hôpital MSF du camp de réfugiés de Batil, au Soudan du Sud.
«La nuit est un moment particulièrement critique ici à l'hôpital MSF du camp de réfugiés de Batil. Nous commençons par faire le tour des services ; les médecins de l'équipe de jour me montrent leurs patients. La nuit dernière, nous avons commencé par un homme qui avait été hospitalisé pour ce que l’on suspectait être une méningite. Nous avons effectué une ponction lombaire pour prendre un échantillon de liquide céphalo-rachidien. Les résultats n'étant pas clairs, nous avons dû envoyer l'échantillon à un laboratoire pour des examens plus approfondis.
Des soins non-stop
Un autre service qui demande toute mon attention, c'est celui qui accueille les patients souffrant de malnutrition sévère. La nuit dernière, tous les patients étaient stables, sauf une fillette complètement déshydratée, qui souffrait d'une diarrhée incessante. Nous devons lui administrer un fluide spécial pour compenser tout ce qu'elle perd en vomissant et à cause de ses diarrhées. Chaque heure, nous la pesons, car nous devons nous assurer de ne pas surcharger son métabolisme. Trop de fluide peut la mettre en danger. Ces enfants sont si faibles que nous devons leur donner à boire très lentement à l’aide d’une seringue, et ce toute la nuit.
Quand on fait la garde de nuit, on ressent un lien plus fort avec ses patients et le personnel médical. C'est un moment étrange, qui a quelque chose de magique. Après le brouhaha et l'effervescence de la journée, il n'y a plus que les bruits du générateur et de la pluie qui tombe. On peut s'accorder une pause café avec les collègues soudanais et sud-soudanais.
Soudain, l'urgence
Mais chaque nuit, il y a des patients très malades qui peuvent passer d'un coup d'un état stable à une crise. L'autre nuit, un enfant atteint de paludisme cérébral a été subitement pris de convulsions. Pendant deux heures intenses, nous nous sommes efforcés de cesser la crise, car celle-ci peut empêcher la respiration et le manque d'oxygène peut alors causer des dommages au cerveau. Nous avons suivi le protocole habituel, mais la fillette a arrêté de respirer. Nous avons alors pratiqué une ventilation manuelle avec un masque. C'était très difficile à cause des violentes convulsions qui la faisaient trembler et se tordre dans tous les sens.
Des décisions difficiles
Dans le cas de cette fillette, il était difficile de prendre la bonne décision : le médicament censé arrêter la crise a pour effet secondaire de ralentir le rythme respiratoire du patient. Il fallait pourtant continuer à administrer le traitement. Au bout de 25 longues minutes, nous avons réussi à mettre fin à la crise. Le risque de dommages cérébraux était élevé. Pendant tout ce temps, nous avons poursuivi la ventilation manuelle pour maintenir la patiente en vie.
Parfois, un coup de chance
A un moment donné, je me suis dit: elle a huit ans, comme ma fille. Je pense que cela m'a aidé à tenir le coup, tandis que je ventilais l'enfant, un effort réellement épuisant. Et puis, tout à coup, sa poitrine s'est mise à bouger. Je l'ai encore aidée à respirer pendant un moment, puis petit à petit, sa respiration est devenue autonome. Tout au long de la nuit, elle est restée inconsciente mais stable.
Le soir suivant, quand je suis revenu à 18h, elle était assise et buvait. Elle m'a souri, m'ayant probablement reconnu de la veille. Je l'ai rapidement examinée. Sa vie semblait sauve et elle n'avait pas l'air d'avoir subi de dommages cérébraux. Je ne crois pas aux miracles, mais parfois nous avons de la chance.»
La crise des réfugiés au Soudan du Sud
Plus de 170.000 réfugiés ont franchi les frontières des Etats soudanais du Kordofan du Sud et du Nil Bleu pour se rassembler dans cinq camps situés dans des régions reculées et inaccessibles du Soudan du Sud. Les réfugiés sont bien souvent arrivés dans un état de santé déplorable, après avoir marché pendant plusieurs semaines.
En juillet, dans le camp de Batil, le taux de mortalité était deux fois supérieur au seuil d'urgence. Près de la moitié des enfants de moins de deux ans y souffraient de malnutrition.
Depuis l'arrivée des premiers réfugiés en novembre 2011, MSF est le principal prestataire de soins dans les camps. Quand la situation a empiré, l'équipe MSF a intensifié ses activités et s'est concentrée sur les plus urgentes. Cette intervention a permis de réduire de manière significative le taux de mortalité dans le camp de Batil. Toutefois, l'urgence reste de mise, car les réfugiés sont totalement dépendants de l'aide humanitaire.
© Olga Overbeek/MSF