Témoignage au cœur d’un service d’urgences à Gaza : « Nous perdons sans cesse des patient·e·s »

Hall du service maternité et pédiatrie de l’hôpital Nasser, à Khan Younès, sud de la bande de Gaza. 23 juin 2024.

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Les frappes aériennes et les bombardements incessants menés par les forces israéliennes continuent de tuer des centaines de personnes dans la bande de Gaza. En juillet, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) qui travaillent à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, ont pris en charge plusieurs afflux massifs de blessé·e·s. Témoignage de Javid Abdelmoneim, responsable de l’équipe médicale MSF, depuis le dernier hôpital encore fonctionnel du sud de Gaza.

« Lors de ces afflux massifs de blessé·e·s, on est là, au milieu d’une mare de sang et d’une foule de personnes. Il y a plein de bruits et l’odeur du sang est omniprésente. Beaucoup de personnes essaient d'entrer aux urgences, tandis que les agents de sécurité se démènent pour empêcher les proches d'entrer aussi, afin d’éviter la surcharge de l'hôpital.

À l'hôpital Nasser, nous prodiguons des soins chirurgicaux et de traumatologie et nous prenons en charge les grands brûlés. Le samedi 13 juillet, nous avons reçu des centaines de personnes blessées et mortes, suite à une attaque israélienne ayant eu lieu dans une zone où les forces israéliennes avaient à plusieurs reprises indiqué aux personnes déplacées de se rendre. Tout de suite après les explosions, les sirènes des ambulances retentirent.

Le chaos s'est rapidement installé dans l'hôpital. Notre équipe s’est précipitée aux urgences. L'une des patient·e·s, une enfant de trois ans, était blessée. Ses parents se tenaient juste à côté d'elle, inquiets tandis qu’elle me regardait droit dans les yeux.

J’ai d’abord pensé qu’elle allait bien car elle respirait et me regardait. Mais lorsque j’ai enlevé son pansement, une grande partie de son intestin est sortie. Je me suis demandé comment c’était possible qu’elle me regarde.

Javid Abdelmoneim

Quelques secondes plus tard, les portes s’ouvrirent avec fracas. Quatre ou cinq blessé·e·s entrèrent, dont un garçon qui ne respirait plus. Nous avons essayé de le réanimer. Alors l'infirmière nous a regardés et nous a demandé : « il ne respire plus, pourquoi nous occupons-nous de lui ? Nous devons sauver les autres. » Mais c’était l’enfant de quelqu’un… Personne n'a eu le courage de déclarer le décès et de passer à la personne suivante. Mais nous devions le faire. Alors nous nous sommes occupés du cas suivant, puis d’un autre, et cela a continué pendant quatre heures et demie.

Il y avait du sang et des patient·e·s partout sur le sol, parce qu’il n’y avait plus de lits disponibles. Les blessé·e·s continuaient d’affluer. Je devais m’agenouiller pour m’occuper des patient·e·s, et mes genoux devenaient humides à cause du sang.

Au milieu du chaos, nous avons réalisé que notre collègue anesthésiste était aussi aux urgences. Je lui ai demandé ce qu'il faisait là et pourquoi il n'était pas au bloc opératoire. « Je viens d'apprendre que ma maison a été détruite et que ma fille et mon neveu sont quelque part ici », m'a-t-il répondu. Plus tard, nous avons appris que son neveu avait été tué.

Cela semble sans fin. Le personnel médical palestinien est toujours là, tentant d'arrêter les hémorragies, de réparer les bras cassés, de fournir des soins chirurgicaux, mais nous continuons à perdre des patients.

Javid Abdelmoneim

Cela fait neuf mois que nos collègues palestinien·ne·s vivent ça, qu'ils et elles travaillent tout en apprenant que des personnes qui leur sont chères ont été tuées. Dire qu’ils et elles sont à bout de force et traumatisé·e·s seraient des euphémismes.

Et maintenant, nous nous préparons au prochain afflux massif de blessé·e·s. »