«Traiter séparément la malnutrition devient obsolète»
© Michael Goldfarb
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Sur fond de crise alimentaire annoncée dans les pays du Sahel, le directeur des opérations de MSF-Suisse, le Dr Jean-Clément Cabrol s’est rendu au Niger, où il a visité les projets de l’organisation dans le sud du pays.
Il appelle à une nouvelle approche pour soigner les enfants victimes de l’insécurité alimentaire chronique.
Peut-on parler de crise alimentaire au Niger?
Jean-Clément Cabrol: Si on prétend que la situation est exceptionnelle, la réponse est non. Au Niger, les problèmes d’accès à la nourriture qui provoquent une malnutrition importante sont malheureusement récurrents. En 2011, qui n’était pourtant pas considérée comme une année de crise, plus de 300 000 enfants sévèrement malnutris ont été traités dans tout le Niger et pas seulement par MSF. Cette année, on pourrait atteindre les 390 000 enfants.
En 2012, des facteurs supplémentaires ont aggravé l’insécurité alimentaire chronique: la hausse des prix des denrées, les conséquences du retour de nombreux travailleurs nigériens qui envoyaient de l’argent depuis la Libye, l’arrivée précoce des pluies qui provoque une augmentation des cas de paludisme et l’afflux de réfugiés maliens qui met sous pression une population déjà éprouvée.
Comment faire face à une telle situation?
Grâce aux nouveaux produits thérapeutiques prêts à l’emploi développés depuis le début des années 2000, les enfants malnutris sans complications n’ont plus besoin d’être hospitalisés. Ils peuvent être soignés à domicile par leur mère. Cela a permis d’augmenter de façon exponentielle le nombre d’enfants soignés. Il serait impossible pour le système de santé nigérien d’hospitaliser 390 000 enfants. MSF a plaidé sans relâche pour que les grandes agences de l’ONU, comme l’UNICEF ou le Programme alimentaire mondial (PAM), utilisent ces aliments adaptés aux enfants à base de pâte d’arachide enrichie avec des protéines de lait, des vitamines et des sels minéraux nécessaires à leur croissance
Plus récemment, nous avons développé des distributions préventives. Le but est d’apporter un complément à l’alimentation des enfants de moins cinq ans pour les protéger de la malnutrition. Nous avons aussi mis en place des approches décentralisées au sein des communautés. Dans les villages, des agents formés par MSF peuvent désormais suivre les enfants malnutris, notamment en leur distribuant des aliments thérapeutiques prêts à l’emploi. Cela permet de traiter les patients à moindre coût et de désengorger les structures de santé. Les enfants sont référés au centre de traitement intensif le plus proche si leur état se dégrade ou s’ils souffrent d’une autre pathologie.
Comment voyez-vous l’avenir de la prise en charge de la malnutrition?
Je plaide pour dépasser une approche purement nutritionnelle hors des situations d’urgence. Il s’agit d’intervenir sur plusieurs causes de la surmortalité infantile: le paludisme, les diarrhées ou les infections respiratoires et pas seulement la malnutrition. Car un enfant malade a beaucoup plus de risques de devenir malnutri. Dans cette optique, les agents communautaires ne s’occupent pas uniquement de la malnutrition mais dépistent et traitent les cas de paludisme simple.
La santé des mères et des enfants dans son ensemble doit aussi être davantage intégrée dans nos stratégies médicales et préventives. Par exemple, lorsqu’une mère vient pour une consultation prénatale, il faudrait systématiquement en profiter pour vacciner ses enfants et les dépister contre la malnutrition. Aujourd’hui, à MSF, nous sommes d’avis que traiter séparément la malnutrition et les autres pathologies devient obsolète.
MSF et ses partenaires – les ONG médicales nigériennes Forum Santé Niger (FORSANI) et Bien-Être de la Femme et de l’Enfant au Niger (BEFEN) ainsi que l’ONG internationale ALIMA – travaillent en collaboration étroite avec le Ministère de la Santé Publique dans les domaines de la malnutrition infantile, des soins pédiatriques et de la santé maternelle dans plusieurs centres de santé et hôpitaux du Niger. MSF fournit également des soins médicaux aux populations réfugiées du Mali. Depuis le début de l’année 2012, MSF a traité près de 38,000 enfants malnutris au Niger.
© Michael Goldfarb