Gaza: notre lettre à Ignazio Cassis
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Médecins Sans Frontières (MSF) adresse une lettre ouverte au Conseiller fédéral Ignazio Cassis, en charge du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
"Monsieur le Conseiller fédéral,
« Nous avons fait ce que nous pouvions. Souvenez-vous de nous. » Ces mots sont ceux qu’un médecin MSF a écrits sur le tableau blanc d’un hôpital de Gaza servant d’ordinaire à planifier les interventions chirurgicales. En tant que médecin, vous pouvez imaginer le déchirement vécu par ce soignant qui, au risque de sa vie, devient le témoin impuissant de la souffrance de personnes blessées ou malades en raison du manque de matériel et de la destruction des structures de santé.
Au nom de Médecins Sans Frontières/Ärzte ohne Grenzen (MSF), je vous écris pour prier le gouvernement suisse de continuer à faire tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir un cessez-le-feu pérenne dans la bande de Gaza. Les médecins ne peuvent rien contre les bombes. Mettre fin à la violence aveugle qui règne est le seul moyen d’éviter de nouvelles pertes humaines et de permettre l’acheminement de l’aide humanitaire dont la population a désespérément besoin. MSF s’engage à fournir cette aide et à augmenter sa capacité dès que possible.
Nous reconnaissons que la Suisse a joué un rôle de premier plan en plaidant pour la protection des civils et des institutions médicales, et qu’elle a soutenu la proposition d’un cessez-le-feu pérenne. J’aimerais toutefois vous poser la question que les membres de MSF se posent tous les jours : faisons-nous vraiment tout notre possible pour mettre un terme à ce carnage et à cette souffrance intolérable ?
Mes collègues et moi-même, comme tant de citoyens et citoyennes suisses, avons été choqués et révoltés par les attaques délibérées du Hamas contre des civils israéliens. Ce sont désormais les attaques aveugles et incessantes de l’armée israélienne contre les personnes et les installations civiles à Gaza, telles que les hôpitaux, qui nous horrifient.
Le nord de la bande de Gaza est sur le point d’être rayé de la carte. Le système de santé s’est complètement effondré alors que des dizaines de milliers de personnes ont été blessées. Plus de 14 000 personnes, dont la moitié sont des enfants selon les autorités sanitaires de Gaza, ont été tuées. Les familles doivent extraire les corps de leurs proches des décombres. Les Nations unies estiment qu’au moins 1,7 millions de civils sont déplacés, contraints d’aller au sud dans des zones qui n’échappent pas aux bombardements. Il n’existe actuellement aucun endroit pour se réfugier, et l’insécurité règne sur l’ensemble de la zone.
Nous ne sommes pas seulement témoins de la souffrance de la population palestinienne. Nous pleurons la perte de trois collègues, ainsi que des membres des familles d’autres collaborateurs : le 21 novembre, une frappe qui a touché les 3e et 4e étages de l’hôpital Al-Awda, où se trouve l’unité de reconstruction de MSF, a entraîné la mort de deux médecins MSF et blessé plusieurs patients et soignants. Un autre membre de notre organisation, qui travaillait comme technicien de laboratoire, est mort chez lui suite au bombardement de son immeuble.
À Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, notre équipe d’urgence a constaté un afflux massif de blessés à la suite d’intenses frappes aériennes, y compris sur des camps de réfugiés sordides et surpeuplés où la population survit à peine grâce au peu d’aide humanitaire disponible. Si les bombes ne les tuent pas, les maladies infectieuses et le manque de nourriture viendront affaiblir un peu plus les personnes les plus vulnérables.
Nos équipes médicales font également état d’attaques contre les soins de santé en Cisjordanie, où la violence, la répression et le harcèlement sont en recrudescence. Selon les Nations unies, plus de 200 Palestiniens y ont été tués depuis le 7 octobre, soit par les forces de défense israéliennes, soit par des civils.
Seul un cessez-le-feu peut encore permettre de sauver des milliers de civils et autoriser la fourniture d’une aide humanitaire qui fait actuellement cruellement défaut. La mise en place d’un mécanisme indépendant afin de garantir l’acheminement adéquat de cette aide dans la bande de Gaza est évidemment souhaitable. MSF appelle donc à la fin des attaques indiscriminées et sans relâche, des déplacements forcés, des attaques contre les hôpitaux et le personnel médical, de l’état de siège et des restrictions dans la fourniture de l’aide.
Nous espérons que le gouvernement suisse sera en mesure de faire tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin au drame en cours, par souci d’humanité et pour sauver les vies qui peuvent encore l’être.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Conseiller fédéral, l’assurance de ma considération distinguée.
Reveka Papadopoulou
Présidente Médecins Sans Frontières Suisse"
Genève, le 1er décembre 2023.