Territoires palestiniens occupés: MSF publie un rapport sur les conséquences des mesures coercitives d'Israël à Masafer Yatta en Cisjordanie
© Juan Carlos Tomasi/MSF
Palestine5 min
Risque d’expulsion, démolition des foyers et restrictions des déplacements font partie des principales craintes quotidiennes des Palestinien·ne·s de Masafer Yatta et de ses environs, au sud de la Cisjordanie, au sein des Territoires palestiniens occupés (OPT).
Dans son rapport « The unbearable life : the health impacts of the Israeli measures to forcibly evict the residents of Masafer Yatta », Médecins Sans Frontières fait état d’une pression extraordinaire exercée par les autorités israéliennes à l’encontre des communautés locales pour les pousser à quitter la région. Le rapport détaille l’impact de cette pression constante sur la santé physique et mentale des habitant·e·s.
« Perdre ma terre, c’est perdre ma vie », témoigne un habitant du village d'Al-Majaz à Masafer Yatta.
Outre la menace d'expulsion, les habitant·e·s vivent sous la menace constante de la violence.
Les soldats pénètrent dans les villages la nuit, imposent des couvre-feux et des restrictions de mouvement, organisent des entraînements militaires à proximité des zones d'habitation, confisquent les véhicules et démolissent des maisons, explique. Ils rendent le quotidien invivable.
Les mesures des autorités israéliennes se sont durcies depuis le mois de mai 2022, à la suite d'une décision de la Cour suprême israélienne supprimant les obstacles juridiques au déplacement forcé des Palestinien·ne·s de Masafer Yatta dans le but d’y installer une zone militaire. L’impact de ces mesures s’est avéré préjudiciable sur les résident·e·s dont l’accès aux services de base et aux soins médicaux s’est depuis considérablement restreint.
Le rapport révèle des entraves régulières d’accès aux villages où MSF fournit des services médicaux lorsque la carte d'identité des patient·e·s indique qu'ils sont originaires d'un autre village. Par ailleurs, les ambulances se rendant à Masafer Yatta sont souvent retardées, voire bloquées, tous comme les habitant·e·s qui doivent multiplier les arrêts aux postes de contrôles avant de pouvoir atteindre les hôpitaux. En conséquence, les personnes vulnérables - les femmes enceintes dans leur dernier trimestre, les personnes âgées souffrant de maladies chroniques ou encore les personnes atteintes de maladies graves – se résignent à terme à quitter leur maison et leur famille pour rejoindre la ville voisine de Yatta.
Nous observons une autre conséquence de ce durcissement ; l’impuissance des familles à protéger leurs enfants. Un parent rapporte ainsi que son enfant a été réveillé en pleine nuit, dans sa chambre, par un soldat armé et accompagné d’un chien. D'autres peinent à décrire le sentiment de désespoir et d'impuissance qui les anime lorsque, rentrés de l'école, leurs enfants ont découvert la maison familiale démolie.
Vivre dans des conditions aussi difficiles pèse lourdement sur la santé mentale. Les équipes mobiles de MSF proposent ainsi un support psychologique aux habitants de Masafer Yatta depuis 2021.
Le rapport met en évidence une forte augmentation de la demande de soutien en santé mentale des résidents ayant subi des intrusions soudaines chez eux ou vu la démolition de leur maison. Ils présentent des symptômes psychosomatiques. Un quart des personnes prises en charge ont montré des symptômes post-traumatiques, deux tiers des symptômes dépressifs.
« Au cours de l'année écoulée, nous avons été des témoins de première main d’un environnement de plus en plus coercitif impactant la santé physique et mentale des habitants de Masafer Yatta, déclare Cantero Pérez. En tant qu'organisation médicale humanitaire, nous dénonçons la mise en œuvre de ces politiques. Nous appelons les autorités israéliennes à mettre immédiatement un terme au plan d'expulsion et à suspendre les mesures de restriction d’accès aux services de base et aux soins médicaux à Masafer Yatta. Ces souffrances doivent cesser. »
MSF appelle la communauté internationale à prendre des dispositions d’urgence pour assurer la protection de la population de Masafer Yatta et garantir le respect de ses droits humains.
MSF fournit une assistance médicale aux habitant·e·s de Masafer Yatta à travers la mise en place de cliniques mobiles depuis 2021, et des soins de santé mentale dans le gouvernorat d'Hébron, qui inclut Masafer Yatta, depuis 1996. Au cours de cette période, les équipes de MSF ont été témoins de l'impact des mesures coercitives d'Israël sur la vie quotidienne des résident·e·s.
En chiffres et en dates :
- 1981 : L'année où Israël a désigné pour la première fois Masafer Yatta comme zone de tir de l'armée.
- 1 144 : Nombre de Palestinien·ne·s vivant dans 12 communautés de Masafer Yatta, dont 569 enfants.
- Mai 2022 : un arrêt de la Cour suprême israélienne lève tous les obstacles juridiques au déplacement forcé des Palestinien·ne·s de Masafer Yatta pour y installer une zone militaire.
- De mai à octobre 2021, 20,7 % des patients en santé mentale de MSF déclarent avoir subi des intrusions dans leur domicile et 3,8 % ont vu leur propriété démolie.
- De mai à octobre 2022 : Ces chiffres passent respectivement à 39,8% et 21,8%. Suite à l'augmentation des incidents, plus de la moitié de ces patient·e·s présentent des symptômes psychosomatiques, un quart montre des symptômes post-traumatiques et deux tiers des symptômes dépressifs.
- En comparant la période de mai à octobre 2022 à la même période en 2021, MSF a observé une réduction de 27% du nombre total de consultations pour des maladies chroniques par clinique mobile. Les entretiens de suivi ont montré qu'une majorité de patient·e·s ont cessé de se rendre à leurs consultations de suivi régulières en raison de problèmes liés à l'accès, tels que la confiscation de leur voiture par l'armée israélienne et la nécessité de passer plus de temps dans la ville voisine de Yatta pour se rapprocher des structures médicales.
- À Masafer Yatta, les canalisations sont régulièrement coupées, les réservoirs d'eau détruits et les camions citerne approvisionnant le village, arrêtés et confisqués. Les difficultés à se procurer de l'eau en quantité suffisante sont encore aggravées par le manque de pluie.
© Juan Carlos Tomasi/MSF