Blessés libyens évacués par bateau: «la mission a failli ne pas avoir lieu»
© Alison Criado-Perez/MSF
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Le 15 avril 2011 et pour la seconde fois, MSF a évacué par bateau 64 blessés de la ville assiégée de Misrata. L’infirmière Alison Criado-Perez était à bord. Voici son récit.
«Début avril, nous étions parvenus à emmener 71 patients hors de la zone dévastée de Misrata. La ville continuait à être bombardée quotidiennement, provoquant un nombre inimaginable de blessés et surchargeant les hôpitaux. L’équipe de MSF a décidé d’effectuer une deuxième opération d’évacuation par bateau. Cette mission a failli ne pas voir le jour.
Le destin, se manifestant sous la forme de centaines de pêcheurs tunisiens protestant contre le prix élevé du pétrole, nous a empêchés de quitter le port de Sfax.
Nous nous sommes finalement mis en route pour Misrata avec 24 heures de retard. Après quelques heures à préparer le bateau pour recevoir les patients – une petite unité de soins intensifs avec moniteurs, oxygène et respirateurs bien fixés en cas de mer agitée, et tout le reste de l’équipement et des médicaments bien organisés pour pouvoir y accéder rapidement – nous avons posé nos matelas où nous trouvions de la place et nous avons essayé de dormir, afin d’être prêts pour le jour et la nuit qui suivraient.
Alors que nous attentions en eaux internationales, 20 milles nautiques au large de Misrata, nous avons appris que le port était en train d’être bombardé. «J’entends les bombardements au téléphone», nous a dit Andrei. «Entrer maintenant serait trop risqué». Le cœur lourd, pensant à la situation tragique dans le port, aux morts, aux blessés qui avaient besoin de notre aide, et manquant d’essence pour pouvoir rester en attente plus longtemps, nous avons décidé de partir pour Malte afin de nous ravitailler en carburant et revenir le lendemain matin.
L’arrêt temporaire des bombardements nous a permis d’entrer dans le port de Misrata et de débuter l’évacuation. Lorsque les ambulances ont commencé à arriver, nous avons entrepris le difficile processus de triage – qui emmener, qui laisser. Deux membres de notre équipe, un médecin et un logisticien, ont débarqué et se sont rendus dans la ville même de Misrata afin d’évaluer l’état des structures de soins. «L’hôpital principal a été bombardé, mais il est encore utilisé, de même que les autres cliniques», nous a dit le Dr Morten Rostrup. «Ils manquent de médecins et d’infirmières expérimentés, et ils ont peu de réserves en équipement et en médicaments. Ils dépendent entièrement de l’aide extérieure sur ce plan-là.» L’eau était limitée et saleet l’alimentation en électricité était intermittente.
J’ai pleuré avec une mère lorsqu’elle a dit au revoir à son fils, qui se trouvait dans un état critique – pourquoi ne venait-elle pas avec lui? Mais finalement nous étions en route, et la tâche de soigner les patients, dont dix gravement malades et qui avaient besoin de notre attention, a commencé.
Trop dangereux de continuer
Vers 3h00, alors que j’essayais de dormir pour quelques heures, j’entendais les vagues s’écraser contre les fenêtres du pont supérieur où se trouvait notre salle de repos. La mer devenait de plus en plus agitée, et les vagues atteignaient 2,5 mètres de haut. « Le capitaine a dit qu’il est trop dangereux de continuer pour Sfax», m’a dit Andrei, notre coordinateur d’évacuation. «Nous allons devoir prendre une route différente qui nous permettra de faire une traversée plus calme. Nous ne pouvons pas nous rendre à Sfax.» La tempête a continué pendant trois heures, et une plus grande tempête était attendue en direction de Sfax. Nous avons décidé de débarquer à Zarzis afin de sauver les patients ; plusieurs d’entre eux étaient secoués par les vagues et souffraient. Nous devions rester allongés pour les soigner, en particulier ceux qui étaient sous assistance respiratoire, afin de les garder reliés à leur appareil.
Mauvaise nouvelle. A Sfax, 24 ambulances se tenaient prêtes à emmener les patients vers de grands hôpitaux de la région, alors qu’aucune ne nous attendait à Zarzis. Nous allions devoir débarquer, non préparés, dans le plus petit port de Zarzis.
Finalement, les patients les plus critiques ont pu être emmenés. Désormais nous devions trouver des hôpitaux pour les 60 autres patients, et chercher l’hôpital le plus adéquat pour chacun d’entre eux. Cette tâche nous a pris une journée, en plus du jour et de la nuit que nous avions déjà passés à travailler ; nous étions à la limite de ce que nous pouvions supporter.
Alors que j’accompagnais un jeune homme, Adbelmajid, vers l’ambulance, les traits de son visage tirés par la douleur et l’angoisse et paraissant très malade, il a fait un geste, montrant ses yeux. «Qu’est-ce qu’il dit?», ai-je demandé à une ambulancière qui l’emmenait vers l’ambulance. «Il a dit qu’il vous reverrait», m’a-t-elle répondu. J’espérais qu’elle disait juste.
Au chevet des blessés
Quelques jours plus tard, Kate et moi avons visité les hôpitaux des différentes villes où les patients avaient été emmenés, afin de vérifier leur état. Nous avons été accueillies avec des acclamations et des sourires, ainsi que de multiples remerciements. Presque tous semblaient être en cours de rétablissement; seul un jeune homme se trouvait toujours dans un état critique aux soins intensifs. Mais où était Abdelmajid? Nous étions dans le dernier hôpital, et nous venions de visiter le dernier service. «Il n’y a plus qu’un seul patient, aux soins intensifs», nous a dit un chirurgien tunisien serviable. J’ai retenu ma respiration et nous sommes entrées. Il était là. Toujours malade, mais vivant, et son état s’améliorait. Il nous a souri lorsque nous sommes entrées.
Ce soir-là, nous sommes allés sur la terrasse de notre maison à Zarzis, et nous avons regardé le reflet de la lune qui brillait sur la mer, entouré par la silhouette des palmiers. Tout était très paisible. «Le paradis peut être très proche de l’enfer», a dit Andrei.»
Par Alison Criado-Perez
© Alison Criado-Perez/MSF