Le Dr. Peyraud nous explique les défis de la lutte contre la rougeole dans les zones affectées par Ebola
© Alexis Huguet
République démocratique du Congo (RDC)7 min
Le Dr Nicolas Peyraud, référent vaccination MSF, revient de plusieurs missions en République démocratique du Congo (RDC) où il a contribué à mettre en place, en collaboration avec UNICEF et le ministère de la Santé congolais, des vaccinations contre la rougeole.
Dans des régions également touchées par l’épidémie d’Ebola, soigner les enfants souffrant de rougeole ou organiser des campagnes de vaccination posent des défis supplémentaires pour les soignants. Il nous les explique.
C’est la première fois qu’une épidémie de rougeole et de maladie à virus Ebola sévissent dans ces proportions à l’intérieur d’une même zone géographique. En quoi cela représente-t-il des difficultés supplémentaires pour les acteurs de santé ?
Dans une zone touchée par Ebola, la grande majorité des ressources médicales sont mobilisées pour éviter la propagation du virus et prendre en charge les cas suspects ou confirmés pour Ebola. Lorsque personnel médical et matériel sont déjà limités, les surveillances épidémiologiques se dégradent pour les autres maladies comme la rougeole, et les capacités de prise en charge des patients ne sont plus disponibles. De même, les activités préventives, telles que les vaccinations de routine diminuent drastiquement. De fait, la couverture vaccinale rougeole a nettement chuté dans les zones de transmission Ebola depuis le début de l’épidémie mi-2018.
La prise en charge médicale représente aussi un défi, car les malades de la rougeole et les malades d’Ebola peuvent présenter des symptômes similaires (fièvre, éruptions cutanées, vomissements ou diarrhées). Cela rend le triage difficile pour les équipes des centres de santé qui ne sont pas toujours formées pour identifier correctement ces deux maladies. Cela peut s’avérer dramatique si un patient souffrant de rougeole est hospitalisé dans un centre de traitement Ebola (CTE) et vice-versa. Les communautés sont aussi assez réticentes à se présenter aux centres de santé locaux lorsqu’ils sont malades, par peur d’être identifiés comme cas suspects Ebola puis isolés. Il est ainsi très compliqué de gérer deux épidémies de cette ampleur en même temps au même endroit.
Dans ce contexte de double épidémie, comment la prise en charge est-elle adaptées aux contraintes ?
D’abord, pour éviter les risques de contagion, le triage à l’entrée de l’hôpital ou du centre de santé permet d’orienter directement les patients suspects Ebola vers des centres d’isolement Ebola, et les cas rougeole vers l’unité dédiée. Les enfants hospitalisés pour la rougeole sont, eux aussi, isolés des autres patients en raison de la très haute contagiosité de cette maladie. Ensuite, les précautions habituelles pour éviter l’infection de nouvelles personnes sont bien entendu appliquées.
Elles comprennent une hygiène rigoureuse des mains, le port de gant entre chaque patient et la désinfection du matériel médical entre chaque utilisation. Ce même matériel doit être exclusivement utilisé dans l’unité où les patients rougeoleux sont isolés. Le personnel médical dédié doit également être immunisé contre ce virus. Enfin, pour chacun des patients hospitalisés, une évaluation quotidienne de l’apparition de symptômes ressemblant à un début de maladie à virus Ebola est nécessaire, même si c’est contraignant et laborieux pour les équipes.
Concernant la vaccination contre la rougeole, quelles sont les exigences supplémentaires à respecter en contexte Ebola afin de ne pas augmenter le risque de transmission de cette maladie aux populations ?
Dans une zone de transmission active d’Ebola, il est indispensable de mettre en place des mesures supplémentaires de prévention et de contrôle des infections lorsqu’on rassemble un grand nombre de personnes au même endroit, comme c’est le cas lors d’une vaccination contre la rougeole. Ainsi, à l’entrée d’un site de vaccination, un agent en charge du dépistage (screening) Ebola prend d’abord la température de chaque personne à l’aide d’un thermoflash (un thermomètre permettant de ne pas entrer en contact avec le patient) et interroge les accompagnants si des symptômes sont apparus au cours des deux derniers jours : fièvre, anorexie, diarrhée ou vomissement.
Enfants et accompagnants sont invités à se laver les mains. Ainsi, le risque qu’une personne atteinte d’Ebola pénètre dans le site de vaccination est extrêmement faible. Ensuite, dans la file d’attente, le gardien vérifie qu’une certaine distance soit respectée entre chacun. A chaque nouvel enfant, le vaccinateur a l’obligation de changer de gants et de se laver les mains avec une solution hydroalcoolique. Ces procédures supplémentaires nécessitent davantage de temps, de matériel et de ressources humaines, soit des coûts en plus. Le site de vaccination est également organisé différemment afin de pouvoir respecter ces contraintes.
Mais en plus de ces aspects techniques, le plus important est d’engager les communautés, car une campagne de vaccination sans patient n’a pas beaucoup de sens ! En effet, la méfiance à l’égard d’Ebola entretient des rumeurs qui font que les communautés ne viennent que si elles sont convaincues de la nécessité de prévenir une maladie grave chez leurs enfants. Elles connaissent très bien la rougeole et le danger qu’elle représente. Pourtant, la communication ne suffit pas pour les faire venir : elles ont besoin de savoir que cette activité de vaccination est sûre. Ainsi, les sites de vaccinations sont établis à distance des lieux de prise en charge Ebola, les sensibilisateurs informent les familles au maximum pour comprendre et désamorcer les rumeurs. En juillet, nous avons mis en place la première vaccination contre la rougeole dans un contexte Ebola.
Tout s’est déroulé sans heurt et les enfants de plusieurs zones de santé y compris celle de Bunia, en Ituri, ont pu être vaccinés. Nous avons ainsi confirmé qu’il était possible de vacciner contre la rougeole en contexte Ebola avec des mesures spécifiques à respecter. Cela a permis de renforcer le message qu’il est vital de vacciner contre la rougeole même dans ces contextes, afin de prévenir des milliers de décès liés aux complications de la maladie. Des activités de vaccination contre la rougeole ont été menées plusieurs mois après dans tout le pays, en tenant compte des leçons apprises lors de cette première expérience. Cela a notamment été répliqué dans huit zones de santé en Ituri qui étaient à haut risque de transmission Ebola à ce moment-là.
Quel support apporte MSF en termes de vaccination contre la rougeole en contexte Ebola et pourquoi ?
En juillet, notre collaboration avec UNICEF et le ministère de la Santé Publique congolais a permis la vaccination de 4 320 enfants en Ituri. Les stratégies de vaccination rougeole en contexte Ebola ont été affinées et ensuite validées aux niveaux des autorités sanitaires locales comme nationales. Grace à cette expertise pour les activités de vaccination contre la rougeole, MSF est intervenue en support technique à travers la formation du personnel de santé, au côté du ministère de la Santé, d’UNICEF et de l’OMS.
En conclusion, il y a eu une prise de conscience générale que le nombre de décès dus à la rougeole était bien plus élevé que ceux dus à Ebola, que cette année, l’épidémie de rougeole a déjà touché plus de 280 600 personnes dans les 26 provinces que compte la RDC, et qu’il n’était donc pas possible de prioriser uniquement la riposte Ebola. Le bénéfice était donc plus grand de vacciner contre la rougeole que de craindre un risque de propagation d’Ebola causé par le regroupement de population lors de vaccinations.
Et surtout, ensemble, nous avons prouvés que les vaccinations contre la rougeole dans ce contexte de double épidémies meurtrières peuvent se faire correctement grâce à une communication et un circuit adapté. Cela nous ouvre de belle perspectives pour endiguer ces virus qui déciment les populations de RDC.
© Alexis Huguet