« La grande méfiance entre communautés empêche de nombreuses personnes d’accéder aux soins »
© François Dumont / MSF
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Le Dr Andrei Slavuckij dirige les opérations de MSF dans le Sud du Kirghizstan. Il décrit la situation à Osh, deux semaines après que de violents affrontements ont provoqué la mort de centaines de personnes.
Andrei, la situation est-elle toujours tendue dans la région ?
Oui, on ressent toujours un grand niveau de tension au sein de la population. La semaine dernière, un hôpital qui reçoit le soutien de MSF a recueilli 25 blessés en un seul jour. Nombre d’entre eu avaient subi des passages à tabac. De nombreuses rumeurs circulent, qui alimentent une peur très présente. Mais, de façon générale, la situation est plutôt calme. Dimanche dernier, le référendum national [sur la nouvelle constitution] s’est déroulé paisiblement et la majorité des gens qui avaient fui en Ouzbékistan ou près de la frontière sont maintenant de retour. Mais nombreux sont ceux qui ont retrouvé leur maison brûlée.
Quels sont les besoins d’urgence de ces populations ?
Ils ont tout perdu, ils ont donc besoin de tout. Ceux qui ont perdu leur maison tentent de cohabiter avec des voisins ou se sont installés dans des écoles. Vivant les uns sur les autres, ils manquent d’eau propre et les conditions d’hygiène sont mauvaises. Pour répondre à cette situation, MSF a distribué à ces familles des centaines de kits d’hygiène, contenant du savon, du shampoing, des serviettes, ainsi que des ustensiles de cuisine, des couvertures, des jerrycans. Il est également important de leur permettre d’accéder à des soins de santé. Nous apportons pour cela un soutien à 12 structures de santé des régions de Osh et Jalal-Abad, avec principalement des dons de médicaments et d’équipements médicaux et en renforçant la formation du personnel médical. Dans une clinique située à Onadyr, les médecins MSF voient de plus en plus de patients souffrant de troubles mentaux. Quand nous sommes arrivées dans cette clinique, le personnel nous a raconté que de nombreuses femmes avaient fait des fausses couches récemment, une autre conséquence tragique du stress provoqué par les derniers événements.
Les blessures psychologiques sont profondes et mettront du temps à guérir…
De nombreuses personnes que nous rencontrons sont encore profondément choquées. Les mères nous disent que leurs enfants ne dorment plus la nuit et n’osent plus sortir jouer dans la rue, chaque bruit leur fait peur et les fait se précipiter à l’intérieur. La semaine dernière, nous nous sommes rendus à Suratash, un village situé sur la frontière, pour offrir des consultations médicales aux milliers de réfugiés qui revenaient au Kirghizstan. Beaucoup d’entre eux traversaient la frontière en larmes. Quand nous leur demandions comment ils allaient, ils se mettaient à pleurer puis à parler et à parler sans cesse. L’un de nos infirmiers s’est occupé de soigner un vieil homme gravement blessé à la jambe. Quand j’ai moi-même accompagné l’homme à la clinique d’Onadyr, dans les environs de Osh, il m’a expliqué que, depuis quatre ans, il reconstruisait sa maison brûlée par un feu accidentel. Une maison détruite à nouveau. Il a commencé à pleurer comme un bébé. Et puis son regard est redevenu ferme et il m’a dit : « Ce n’est rien, on recommencera. » J’ai compris que rien ne ferait bouger cet homme de chez lui, qu’il y resterait.
Quelle est l’ambiance entre les deux communautés après les récents événements ?
Il n’est pas facile de répondre à cette question. Dans les services médicaux, nous pouvons observer un grand manque de confiance entre les communautés, ce qui laisse beaucoup de gens sans accès à des soins essentiels. Malgré les efforts significatifs des autorités kirghizes pour envoyer de l’assistance médicale dans les régions du Sud, nombreux sont ceux qui n’y auront pas accès. Parmi les Ouzbeks, il y a encore beaucoup de peur et une méfiance vis-à-vis des services gouvernementaux, qui sont principalement perçus comme « kirghizes ». En outre, la présence de personnel en armes dans les structures de santé ajoute à la peur des populations ouzbèkes de rechercher des soins spécialisés. A plusieurs reprises, les médecins MSF ont dû faire face à des patients qui, dans les circonstances actuelles, ont refusé de se voir transférer dans les hôpitaux. A l’hôpital de Nariman, nous avons appris qu’un homme souffrant de diabète avait été arrêté deux fois de suite dans son lit , sorti de l’hôpital puis battu. Nous avons informé les autorités responsables, parlé au personnel en armes et appelé au respect de l’éthique médicale. Nous espérons que cela apportera un changement positif.
Quel peut être le rôle de MSF dans cette situation ?
Notre rôle est d’aller auprès de ceux qui ont besoin de soutien et n’en reçoivent pas. Les dernières violences et la vague de méfiance et de peur qu’elles ont engendrée n’ont fait qu’exacerber les besoins médicaux préexistants. D’un côté, les petites cliniques ont été submergées de patients, de l’autre la pluaprt des structures de santé officielles restent hors de portée d’une partie significative de la population. MSF a donc décidé d’apporter un soutien à plusieurs structures de santé, avec un appui particulier à celles qui avaient reçu très peu d’aide jusqu’à présent – par exemple à Onadyr où les médecins et les infirmières MSF travaillent aux côtés du personnel de santé local. Nous sommes en contact permanent avec le personnel de toutes les structures et accompagnons les patients lorsqu’ils sont référés vers les principaux hôpitaux – afin d’offrir une présence rassurante et de nous assurer autant que possible d’un soin médical continu pour tous les patients. Mais le chemin reste encore long à faire.
Activités MSF dans le Sud du Kirghizstan
Dans les régions de Osh et Jalal-Abad, MSF continue de prodiguer des soins médicaux et psychologiques et poursuit ses distributions de biens de première nécessité aux personnes affectées et déplacées par les violences.
A Onadyr, une localité de 50'000 habitants située au sud-est de Osh, les médecins et infirmières MSF ont fait ou refait les pansements de 169 personnes et donné 535 consultations lors de leur première semaine de présence dans la structure. Les principales pathologies constatées, outre les affections nécessitant des soins psychologiques, étaient dues à des infections respiratoires, de la tension artérielle et des diarrhées. MSF a également mis en place une structure chirurgicale dans la clinique et amélioré l’adduction d’eau et les conditions sanitaires.
Ces derniers jours, des milliers de personnes ayant fui les violences sont retournées dans leur quartier d’origine, où de nombreuses maisons ont été incendiées. Certains ont cherché refuge chez des voisins, des amis, ou dans des écoles. D’autres, principalement des femmes et des enfants, sont toujours près de la frontière, trop effrayés pour revenir. Un point médical MSF situé sur le chemin du retour de ces exilés, dans le village-frontière de Suratash, a permis à 86 personnes de bénéficier de consultations médicales.
Dans de nombreux quartiers de Osh et Jalal-Abad ainsi que sur les sites près de la frontière, MSF a distribué jusqu’à présent 714 kits d’hygiène (savon, shampoing, serviettes, etc.), 1898 couvertures, 149 lots d’ustensiles de cuisine, 470 jerrycans et 450 boîtes de biscuits nutritifs.
De nombreuses personnes sont extrêmement choquées par la violence extrême qu’ils ont subie ou dont elles ont été témoins. Quatre psychologues MSF mettent en place actuellement un programme important de soins de santé mentale dans le Sud du Kirghizstan. Ils donnent des consultations individuelles et forment des conseillers à la mise en place de groupes de soutien dans les communautés.
Une autre équipe MSF composée d’un médecin, d’une infirmière, d’un psychologue et d’un logisticien parcourt aussi différentes zones de la région pour évaluer les besoins de la population.
A ce jour, MSF a apporté une assistance à 12 structures médicales avec des dons de médicaments et de matériel médical et chirurgical.
Les programmes MSF dans le Sud du Kirghizstan sont gérés par 64 employés MSF, soit 38 volontaires internationaux et 26 employés nationaux. Les équipes sont composées de médecins, chirurgiens, infirmières, logisticiens et experts en eau et installations sanitaires. MSF est présent au Kirghizstan depuis 2006 avec un programme de soins aux malades de la tuberculose dans le système pénitentiaire.
© François Dumont / MSF