Une hécatombe silencieuse en Libye? Trois questions pour comprendre
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Jean-Guy Vataux, chef de mission en Libye, nous parle de l’action des équipes MSF dans le pays pour tenter de porter secours aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.
Lors de leur passage en Libye, la plupart se retrouvent dépouillés, sous la coupe de réseaux criminels, exploités, abusés, emprisonnés, battus, torturés, et certains y trouvent la mort. Comment leur venir en aide pour une organisation humanitaire médicale telle que MSF? Depuis 2016, MSF intervient dans des centres de détention à Tripoli. Un nouveau projet ouvert dans la région de Misrata depuis quelques mois cherche aussi à développer des interventions auprès des populations de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile.
1) MSF a commencé à intervenir dans des centres de détention de la région de Misrata. Comment cela se passe? Quelle est la situation dans ces centres de détention?
Dans la région de Misrata, MSF intervient depuis quelques mois dans trois centres de détention placés sous l’autorité du Département combattant les Migrations Illégales (DCIM), en charge de la lutte contre l’immigration clandestine.
Le nombre de personnes qui y sont détenues fluctue de semaine en semaine. Les détenus ont été interceptés en mer par les garde-côtes libyens, arrêtés en masse en ville, suite à un contrôle, etc. Certains arrivent ici en provenance d’autres centres de détention de Tripoli. Nous rencontrons parfois en détention des gens qui ont vécu et travaillé en Libye pendant des années. Etre contrôlé positif à l’hépatite C par exemple suffit à envoyer en détention un migrant établi avec sa famille en Libye.
Les équipes MSF ont commencé à mener des consultations médicales à l’intérieur des centres, où dans la majorité les problèmes de santé des patients sont directement liés à leurs conditions de détention et à la violence qui marque leur périple: maladies de peau, gale, diarrhées, infections respiratoires, douleurs musculaires, blessures, mais aussi des troubles psychosomatiques.
MSF prend aussi en charge les références vers des établissements de soins secondaires et spécialisées pour les détenus qui en ont besoin, comme par exemple pour des cas de fracture. Des produits d’hygiène, des couvertures, sont distribués dans les centres.
S’il est possible d’améliorer à la marge les conditions matérielles de la détention, il ne faut pas perdre de vue l’essentiel: ces gens sont emprisonnés, en théorie dans l’attente de leur expulsion, suite à un processus opaque qui ne respecte pas leurs droits.
2) D’après l’organisation internationale pour les migrations (OIM), il y aurait environ 7100 détenus dans les 27 centres de détention formellement gérés par la DCIM, principalement à Tripoli. Peux-tu nous en dire plus sur la situation des autres migrants, réfugiés et demandeurs d’asile en Libye?
En effet, l’OIM a identifié plus de 380 000 migrants présents en Libye. Les personnes incarcérées dans les centres de détention placés sous l’autorité de la DCIM ne représentent qu’une faible proportion des immigrants et candidats à l’exil.
Une partie d’entre eux sont venus pour travailler en Libye, autrefois un eldorado économique pour de nombreux ressortissants de pays voisins. D’autres travaillent pour réunir le prix de la traversée vers l’Europe et alternent des passages en détention avec des situations qui s’apparentent à du travail forcé. D’autres démarrent juste leur périple dans le désert libyen.
La traversée du désert Libyen et les séjours dans les centres «officieux », c’est-à-dire les maisons de passage et les hangars gérés par des réseaux criminels, sont décrits comme un calvaire par ceux qui y survivent et continuent d’être un angle mort pour nous.
En 2016, on estime que 5000 personnes au moins se sont noyées dans la Méditerranée, et le bilan en 2017 se porte déjà à près de 2000 personnes en juin. Mais combien meurent avant d’atteindre les côtes et de monter sur les embarcations de fortune? Tout porte à croire qu’il s’agit d’une hécatombe silencieuse.
3) Qu’est-ce que MSF essaie de mettre en place pour leur porter assistance?
Nous avons ouvert ce mois-ci une clinique de consultations médicales dans le centre-ville de Misrata pour aller à la rencontre des migrants qui vivent et travaillent dans des situations diverses dans la ville, mieux comprendre leur situation et leur proposer des soins gratuits et confidentiels. Le respect de la confidentialité des soins est primordial dans un contexte, où comme je l’ai dit, contracter certaines infections ou pathologies constitue un motif d’expulsion et de détention. Par ailleurs nous poursuivrons les activités dans les centres de détention.
Ensuite, comment être auprès des gens dans les moments les plus difficiles de leur périple migratoire? Pour l’instant nous n’avons pas de réponse, nous continuons d’essayer de négocier un accès aux populations qui sont en route en amont des villes côtières. On verra quel espace de travail il sera possible ou pas de négocier. Le risque d’échec est non négligeable. Il nous reste certainement des modes d’action à développer, à imaginer. Au sud de Misrata où les équipes se rendent régulièrement, les cadavres de ceux qui sont identifiés comme des «migrants» affluent vers la morgue locale. Il y en aurait jusqu’à une dizaine par semaine. Je pense que l’on pourrait au moins faire plus pour redonner une dignité à ces naufragés anonymes.
Présent en Libye depuis 2011, MSF appuie aussi le système de soins ébranlé par la reprise de la guerre et la récession économique qui a suivi. Les établissements de santé font face à des pénuries de médicaments et de ressources humaines. MSF répond en soutenant les structures de santé publiques via des donations, notamment en ce qui concerne le contrôle des infections et le fonctionnement des salles d’urgences. Nous continuons bien sûr de nous intéresser aux conséquences du conflit en portant assistance aux déplacés de guerre, à Benghazi notamment, où nous offrons des soins pédiatriques, gynéco-obstétriques et de santé mentale pour les enfants et leurs familles affectées par le conflit.
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