Interview de Luis Neira, coordinateur médical de MSF pour la Somalie
© Frederic Courbet
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« La Somalie compte quelques uns des pires indicateurs au monde en matière de santé, et la tuberculose en fait partie »
Interview de Luis Neira, coordinateur médical de MSF pour la Somalie, sur les nouveaux services pour la tuberculose (TB) que l’organisation a commencé à assurer dans deux régions rurales de la région de Moyenne Shabelle, au sud du centre de la Somalie.
Luis appartient à l’équipe MSF basée à Nairobi qui soutient les opérations de l’organisation au sud du centre de la Somalie où plus de 1'300 collaborateurs somaliens procurent des soins médicaux dans huit régions du pays. Luis est le point de référence médicale pour les projets dans la région de Moyenne Shabelle et dans la capitale Mogadiscio.
Dans la région de Moyenne Shabelle, MSF assure des soins médicaux de base à travers un réseau de quatre centres de santé dans des zones rurales et urbaines de plusieurs districts de la région, ainsi que dans une maternité dans la ville de Jowhar. Le 5 juin, des équipes MSF ont pu commencer à établir des diagnostics et à traiter la tuberculose dans les zones rurales de Mahaday et Gololey.
Quelle est la situation dans cette région en ce qui concerne la tuberculose ? Est-ce-que l’on a signalé de nombreux cas ? Est-ce-que vous avez déjà eu des cas suspects ?
La situation en ce qui concerne la tuberculose dans la Moyenne Shabelle n’est pas différente de ce qu’elle est dans le reste du pays. On sait depuis des années que la Somalie compte quelques uns des pires indicateurs au monde en matière de santé, et la tuberculose en fait partie. En se basant sur les statistiques de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui n’ont pas été actualisées depuis publication en 2007, cette maladie fait plus de 5'500 victimes par an. Nous sommes parvenus à identifier certains cas probables de tuberculose, dont les diagnostics et traitements définitifs ont été très difficiles à établir en raison de l’insuffisance de programmes dans la région. La situation est encore plus sérieuse dans les zones rurales de Mahaday et Gololey, le programme le plus proche, celui de Jowhar, étant très éloigné ce qui rend difficile, voire impossible l’accès au traitement pour les populations nomades de ces régions. Cette situation nous a incités à ouvrir un programme tuberculose nous permettant d’aider les malades n’ayant pas accès à ce type de soins.
En quoi consistent ces services mis en place par MSF ?
Les cas suspects sont identifiés lors des consultations médicales que nous effectuons dans nos centres de santé primaires de Mahaday et Gololey. Ensuite les échantillons recueillis sont testés dans un laboratoire clinique équipé pour le programme et la maladie est ainsi diagnostiquée et traitée. De plus, le patient bénéficie d’un soutien psychologique puis d’un suivi clinique. Egalement, ses proches, en particulier les enfants de moins de cinq ans, font l’objet d’examens afin de savoir s’ils sont atteints ou non par la tuberculose. Un soutien nutritionnel est fourni aux patients qui sont mal nourris en raison de la maladie.
Pour traiter la tuberculose, l’OMS recommande la stratégie dite de DOTS (Directly Observed Treatment Short-course), ce qui veut dire que les patients prennent leur traitement sous surveillance du personnel médical afin d’éviter le développement de résistances aux antibiotiques. Comment est-il possible de mettre en œuvre une telle stratégie dans un pays aussi instable que la Somalie ?
La stratégie DOTS de l’OMS s’appliquera aux patients pouvant se rendre dans un centre de santé tous les jours. Pour ceux qui auraient des difficultés à s’y rendre tous les jours, parce qu’ils vivent trop loin ou pour d’autres raisons, une stratégie DOTS modifiée sera mise en œuvre. Elle leur permettra de recevoir leur première dose sous surveillance du personnel médical avant de poursuivre leur traitement à la maison jusqu’à leur prochaine consultation au centre de santé. Nous demandons que chaque patient ait un « assistant de traitement », qui peut être un membre de la famille ou un ami qui s’assurera qu’il prendra effectivement ses médicaments comme prescrits. Cette personne sera également responsable pour informer le personnel médical si le patient suit son traitement ou s’il souffre d’effets secondaires quelconques. De cette façon, la gêne est réduite pour le patient. Nous avons également remarqué qu’ils suivent mieux leur traitement car ils n’ont pas à se rendre au centre de traitement tous les jours, ce qui est difficile pour des populations rurales, et parce qu’ils peuvent aussi s’appuyer sur quelqu’un qui les encouragera à prendre leurs médicaments tous les jours.
La tuberculose dans les pays d’Afrique centrale et australe a récemment été associée au VIH/sida, et des accès de formes de tuberculose résistantes aux antibiotiques ont également été signalés. Ces problèmes concernent-ils également la Somalie ?
Des données exactes concernant les formes de tuberculose résistantes et le VIH/sida en Somalie sont très limitées. Cependant, nous supposons que la résistance est un problème majeur en Somalie. Dans le peu d’endroits où le traitement est disponible, celui-ci est géré de façon très médiocre, et les traitements contre la tuberculose sont vendus en pharmacie, ce qui veut dire des traitements plus courts, incomplets et des médicaments de qualité douteuse, une autre raison pour laquelle le programme de MSF est si important.
Ces deux dernières années, en raison de l’insécurité persistante les programmes de MSF en Somalie ont été menés par du personnel national soutenu par des équipes de management basées à Nairobi. Comment avez-vous formé l’équipe en diagnostic et traitement de la tuberculose ?
En ce qui concerne notre équipe tuberculose nous avons choisi du personnel médical travaillant dans notre projet à Jowhar, des personnes qui avaient l’expérience et les compétences médicales et qui ont été rejointes par une nouvelle technicienne laboratoire ayant une grande expérience des programmes TB de MSF au Kenya. Elle assurera un support technique depuis sa base à Nairobi et visitera le terrain dès que ce sera possible. Cette équipe a reçu une formation de quatre mois dans le traitement de la tuberculose et sur le programme en général. La formation a compris des éléments théoriques et pratiques concernant les programmes TB de MSF au Kenya et dans d’autres régions de Somalie.
MSF a travaillé sans interruption dans le sud du centre de la Somalie depuis 1991. L’organisation est actuellement présente dans huit régions du centre de la Somalie : Banadir, Bay, Hiraan, Galgaduud, Moyenne Juba, Moyenne Shabelle, Basse Shabelle et Mudug.
MSF n’accepte pas de fonds institutionnels pour ses projets dans le sud du centre de la Somalie. Le financement de ceux-ci est entièrement assuré par des donateurs privés.
Diagnostic et traitement de la tuberculose
La tuberculose est une maladie infectieuse transmise par voie aérienne. Dans sa forme pulmonaire elle se caractérise par une toux persistante, une respiration courte et des douleurs à la poitrine. En plus des poumons la maladie peut atteindre n’importe quelle partie du corps, comme les ganglions lymphatiques, la colonne vertébrale ou les os. A l’heure actuelle un tiers de la population mondiale est infecté par le bacille de la tuberculose. Chaque année neuf millions de personnes développent la forme active de la maladie et près de deux millions en meurent.
La méthode la plus courante pour diagnostiquer la tuberculose dans les pays développés est l'examen au microscope d'un échantillon suspect de crachat du patient. Une procédure mise au point il y a plus d’un siècle et qui ne détecte que moins de la moitié des cas. Actuellement la meilleure alternative est la mise en culture qui consiste à faire incuber un échantillon de crachat afin de voir s’il contient des mycobactéries de tuberculose vivantes. Cette technique est plus précise, mais doit être effectuée en laboratoire par du personnel formé et peut prendre jusqu’à huit semaines.
Les médicaments utilisés pour traiter la tuberculose ont été développés dans les années 50 et le traitement pour les cas simples de tuberculose dure six mois. Une mauvaise gestion du traitement ou une prise irrégulière de celui-ci ont conduit à l’apparition de nouvelles souches du bacille résistant à un ou plusieurs médicaments antituberculeux. Les souches multi résistantes de la tuberculose (MDR-TB) en sont les formes les plus sérieuses, identifiables lorsque les patients résistent au traitement par les deux antituberculeux de première ligne les plus puissants. MDR-TB n’est pas impossible à soigner, mais le traitement nécessaire provoque de nombreux effets secondaires et peut prendre jusqu’à deux ans. Une nouvelle souche, la tuberculose extrêmement résistante (XDR-TB), est identifiable lorsque la résistance aux médicaments de deuxième ligne se développe contre la MDR-TB, rendant le traitement encore plus compliqué.
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