Journée mondiale des réfugiés: «je ne sais pas où je vais, mais je t’écrirai quand j'y serai»
© MSF
Tanzanie6 min
Georges*, réfugié burundais, travaille pour MSF dans le camp de Nduta, dans le nord-ouest de la Tanzanie, où MSF est la seule organisation offrant des soins de santé aux 75 000 réfugiés. Georges est réfugié: il a entrepris un voyage extraordinaire en quête de sécurité et pour démarrer une nouvelle vie avec sa famille en Tanzanie. Voici son histoire.
« Quand je pense à ma ville natale, je me souviens des journées chaudes, je me vois faire du vélo sur le tarmac brûlant. Je suis sous le soleil, au bord des rives dorées du lac Tanganyika, où les hippopotames observent, leur tête dépassant à peine de la surface et où les enfants jouent dans l'eau au coucher du soleil. Je me souviens des vêtements aux couleurs vives, des amis réunis près de l'église vêtus de bleu et blanc et de l'écho du prêche du pasteur depuis sa chaire ensoleillée. Je me souviens du jour où j'ai obtenu mon diplôme universitaire : le visage fier de ma petite amie, ses fossettes. Je me souviens que j'étais heureux.
Tout quitter
Mais me souvenir du jour où j'ai tout laissé derrière moi en 2015 est douloureux. Les jours précédents, ce n’étaient que coups de feu et d'explosions, et ces sons m’obsèdent encore aujourd’hui. Dans mon pays, les choses étaient en train de changer. Un soir, deux hommes armés ont fait irruption chez moi, m’ont plaqué au sol et ont menacé de me tirer dessus pendant qu’ils mettaient à sac ma maison. Par la suite, le goût amer de la peur m’est resté dans la gorge et la nausée dans mon estomac ne m'a jamais quitté. Chaque jour, la violence éclatait autour de chez moi.
Je savais que je devais partir, mais je ne voulais pas quitter mon emploi, ma famille, mon église et ma maison. Quand j’ai embrassé ma petite amie pour lui dire au revoir, j'ai senti les larmes qui coulaient sur ses joues.
'Je ne sais pas où je vais, mais je t’écrirai quand j'y serai' lui ai-je promis.
J’ai enfourché mon vélo, et je suis parti avec un sac à dos, des vêtements, ma bible, un téléphone portable et environ 80 dollars en poche. J'ai pédalé pendant des heures, me cachant derrière des bâtiments ou des arbres quand j’entendais des coups de feu. J'ai traversé des villes agitées par les combats qui rythmaient les heures comme le font les cloches d'église. J'ai pédalé dans l'air frais et pur des cols de montagne et j'ai fait du stop pour monter à bord des camions qui empruntaient les routes sinueuses bordées d'eucalyptus.
Après cinq jours de vélo et quatre nuits à dormir dans des villages, j'ai traversé la frontière tanzanienne. Mes vêtements étaient détrempés et mon visage était déformé par la fatigue. C'est à ce moment-là que ma vie de réfugié a commencé...
Une nouvelle vie
Au début, je suis resté avec une vingtaine d'hommes dans le hall d'un centre de transit pour réfugiés près de la frontière. Nous dormions sur des nattes à même le sol de terre battue et mangions une bouillie faite de maïs et d’eau car il n'y en avait pas assez pour tout le monde. J'ai chanté pour les gars, et ensemble nous avons prié pour que nous puissions trouver un abri, de l'eau et la sécurité. Après une semaine, j'ai été transféré par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés au camp de Nyarugusu, qui abrite quelque 150 000 réfugiés du Burundi et de la République démocratique du Congo.
Lorsque je suis arrivé dans le camp, la pluie tombait drue et partout où je regardais, ce n’était qu’une mer de boue parsemée de bâche plastique blanche maintenue par des poteaux rouillés. Je partageais ma "tente" avec six autres hommes, dormant sur une natte posée au sol, je restais habillé, mes vêtements humides en permanence me glaçaient. La pluie coulait à travers la bâche plastique. Il y avait des poux partout : dans mes cheveux, dans mes vêtements, dans ma natte.
J'étais seul à mon arrivée, mais les hommes qui m’entouraient m'ont soutenu pour ne pas que je me laisse aller. Nous avons ramassé du bois de chauffage, et la nuit venue, nous nous asseyions autour des flammes, et nous cuisinions du porridge. Nous partagions nos histoires sur les villes où nous avons grandi et sur nos familles. J'ai réalisé que je n'étais pas seul et que beaucoup de mes frères ici avaient souffert bien plus que moi. Nous étions là les uns pour les autres et nous nous serrions les coudes pas parce que nous étions tous réfugiés, mais parce que nous étions des êtres humains.
Un sentiment d’appartenance
Après deux mois et demi, j'ai été transféré à Nduta, un autre camp de réfugiés, situé dans le nord-ouest de la Tanzanie. Après avoir dormi sous des bâches en plastique, j’ai eu une tente, puis j’ai finalement construit ma propre maison faite de bois et de boue. Avec les membres de l’église locale, nous avons également construit une nouvelle chapelle pour le camp.
J'ai rapidement obtenu un emploi au sein de Médecins Sans Frontières (MSF). Dans l’organisation, je travaille avec des médecins, des infirmières et des ingénieurs du monde entier, y compris des Tanzaniens, et j’ai le sentiment d’appartenir à une même famille. MSF est la seule organisation médicale dans le camp. Les équipes fournissent des soins vitaux contre le paludisme, la rougeole, le diabète et des dizaines d'autres maladies mortelles auxquelles les gens sont exposés dans le camp.
En juin 2016, ma petite amie a quitté le Burundi pour entreprendre le même voyage que nous et nous avons finalement pu nous retrouver dans le camp de réfugiés de Nduta. Après un an de séparation, où chacun de nous se demandait si l’autre allait survivre, nous nous sommes mariés à l'église du camp, et aujourd'hui nous avons un petit garçon nommé GoodLuck Tena.
Je suis réfugié depuis cinq ans ici, en Tanzanie, et tout ce que je vous demande c'est de ne pas nous juger parce que nous sommes des réfugiés. Nous ne sommes ni méchants ni mauvais, nous sommes des humains comme vous, vivant, avec des sentiments, avec des peurs, et comme n'importe quel humain, avec des rêves. Ce qui nous est arrivé peut arriver à n'importe qui sur terre. Personne ne choisit d'être réfugié.
J'espère qu'un jour je pourrai retourner dans ma patrie, dans mon pays qui sera un endroit sûr. Mon église remplie de gens vêtus de toutes les couleurs me manque. Et ma famille me manque. Un jour, je construirai ma propre maison sur le terrain que je possède chez moi. Et je retournerai faire du vélo sur les rives du lac Tanganyika au coucher du soleil, avec mon fils et ma femme à mes côtés. »
*le nom a été modifié.
© MSF