L’humanitaire, un exercice d'équilibre
© Hasnat Sohan/MSF
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Au Myanmar, les Rohingya font l'objet de persécutions et de violences systématiques. Depuis le lancement de la mission MSF dans le pays, il y a une vingtaine d’années, nos équipes ont dû à maintes reprises prendre de difficiles décisions car les deux mandats principaux de notre organisation, l'aide médicale d'urgence et le témoignage, n’ont pas toujours été facile à concilier.
Dans les zones de crise où nous apportons de l'aide, nous sommes également des témoins et nous nous faisons le porte-parole des personnes dans le besoin. Le Dr James Orbinski, président international en 1999 lors de l’obtention du prix Nobel de la paix, résumait ainsi :
Nous ne sommes pas sûrs que la parole peut sauver, mais nous savons que le silence tue.
Dénoncer publiquement une situation de crise peut avoir des conséquences sur notre action médicale. Cela peut par exemple nous contraindre à arrêter certaines activités, à perdre l'accès à certaines régions et donc aux personnes qui ont besoin d'aide, ou - dans le pire des cas - à être expulsés d'un pays.
La loi de la corde raide
Nos équipes sont constamment sur la corde raide et, comme dans le cas du Myanmar, elles doivent équilibrer les objectifs. Si nous parlons publiquement de la persécution d'une population et assurons ainsi la perception de la crise, nous risquons également de ne plus pouvoir venir en aide à nos patients. Dans ces cas-là, vaut-il mieux rester silencieux sur les conditions réelles que nous constatons afin de pouvoir continuer notre mission d’aide médicale ?
Expulsion d'une minorité ethnique
Au Myanmar bouddhiste, les Rohingya, majoritairement musulmans, sont une minorité ethnique. Ils vivent principalement dans l'Etat de Rakhine, au nord du pays, à la frontière avec le Bangladesh, qui abrite également l'ethnie bouddhiste du même nom. Depuis les années 1960, les Rohingya ont été victimes de persécutions et de violences systématiques de la part de l'armée nationale et de l’Etat de Rakhine, ce qui a depuis lors conduit à des expulsions massives vers le Bangladesh voisin.
Depuis près de 20 ans, nous fournissons une aide d'urgence aux réfugiés Rohingya, notamment grâce à des cliniques mobiles, en distribuant des biens de première nécessité dans les situations de crise et en construisant des abris et des infrastructures sanitaires. Nous offrons également un traitement complet aux patients atteints du VIH/sida.
Une déclaration publique compromettrait-elle les opérations ?
Nos équipes ont attiré l'attention sur cette crise au Myanmar principalement par la voie diplomatique et ont défendu les questions relatives aux Rohingya « à huis clos » auprès de diplomates internationaux ou d'agences des Nations unies pendant la période d'opération au Myanmar de 1992 à 2014.
Toutefois, la situation et notre responsabilité dans ce contexte ont fait l'objet d'un débat interne très animé : une déclaration publique mettrait-elle en danger les projets médicaux au Myanmar et au Bangladesh et conduirait-elle à l'abandon de personnes qui ont besoin de nous ?
Le silence public de MSF était enraciné dans notre crainte de perdre l'accès à nos patients, y compris le grand nombre de patients atteints du VIH/sida au Myanmar.
Le danger de la complicité
En 2012, à la suite de flambées de violence à Rakhine, nous avons été contraints de publier la déclaration suivante : « nous pouvons confirmer que certains de nos collaborateurs ont été détenus. (...) Nous avons temporairement suspendu nos activités et réduit le personnel dans les projets (...) ».
Actuellement, la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye instruisent une affaire contre le Myanmar - entre autres pour génocide contre les Rohingya.
Regarder en arrière et apprendre pour l'avenir
MSF publie actuellement un rapport sur le sujet, qui passe en revue deux décennies d'activités d'aide humanitaire et de plaidoyer en faveur du peuple Rohingya. Il se concentre en particulier sur les dilemmes auxquels l'organisation a été confrontée, tant sur le terrain que dans les bureaux internationaux, en ce qui concerne le témoignage.
© Hasnat Sohan/MSF