Rohingya : un peuple piégé et oublié entre le Myanmar et le Bangladesh

Des réfugié·e·s rohingyas se rassemblent et discutent dans les camps de Cox’s Bazar. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023.

Myanmar6 min

Tandis que les Rohingyas sont piégé·e·s par le conflit qui fait rage dans l’Etat de Rakhine au Myanmar, celles et ceux qui ne peuvent pas payer la traversée vers le Bangladesh se retrouvent sans aide ni protection. Selon les Nations Unies, 327 000 personnes ont été déplacées dans l’Etat de Rakhine et dans la ville de Paletwa (Etat de Chin) depuis la reprise des combats en novembre 2023. Cela porte le total de personnes déplacées dans ces deux régions à plus de 534 000.

« Nous avons entendu des explosions, des tirs et des gens crier, raconte Ruhul* en se remémorant l’attaque sur son village de Buthidaung le 17 mai dernier. Au milieu du chaos, ma famille et moi nous sommes enfuis pour trouver refuge dans les collines avoisinantes. »

J’ai été séparé de mes parents et pendant plusieurs jours je me suis caché dans la jungle avec mes cousins et d’autres jeunes, terrorisé·e·s et affamé·e·s. J’ai marché sur deux mines ; la première fois sans conséquence, mais la seconde explosion m’a arraché le pied.

Ruhul, un jeune Rohingya qui n’avait pas reçu de soins de santé pendant neuf jours avant de pouvoir traverser la frontière avec le Bangladesh et atteindre un hôpital soutenu par MSF dans le camp de Cox’s Bazar.

Depuis novembre 2023, l’état de Rakhine, dans le nord du Myanmar, est dévasté par des combats armés entre les forces armées du Myanmar et l’armée d’Arakan. La violence extrême, y compris l'utilisation d'armes lourdes, les frappes de drones et les incendies criminels, a rasé des villages entiers, tuant, blessant et déplaçant de nombreux civils. Les deux parties au conflit enrôlent de force des civils et attisent ainsi les tensions ethniques entre les communautés.

La violence frappe différents groupes ethniques vivant à Rakhine, néanmoins les Rohingyas, qui sont historiquement l’un des groupes les plus persécutés depuis des décennies, se retrouvent souvent en première ligne face à cette violence.

Les 17 et 18 mai à Buthidaung, les maisons de civils ont été réduites en cendres, poussant des milliers de Rohingyas (y compris certaines personnes déjà déplacées par le passé) à fuir la ville.

Un obus de mortier a touché notre maison, tuant ma femme et blessant plusieurs autres personnes. Nous avons pris la décision déchirante de partir vers le Bangladesh. Laisser derrière nous notre maison, notre bétail, nos récoltes a été particulièrement difficile.

Mojibullah*, un homme Rohingya ayant également fui Buthidaung le 17 mai.

Dans le nord de l’Etat de Rakhine, l’accès aux soins est quasi-inexistant. Les infrastructures de santé sont hors service ou endommagées par les combats. Le personnel médical a souvent fui la violence, laissant de nombreux centres en sous-effectif. De plus, les stocks sont épuisés en raison des dynamiques du conflit et des difficultés à obtenir les autorisations nécessaires pour l’acheminement des approvisionnements

En juin dernier, nous avons dû suspendre nos activités indéfiniment dans les villages de Buthidaung, Maungdaw et Rathedung, après que notre réserve médicale ainsi que notre bureau aient été incendiés. Avant cela, nos équipes ont été témoins d’attaques dans des zones densément peuplées comme des marchés ou des villages, et ont vu des infrastructures de soins prises pour cible, mettant en danger les patient·e·s et le personnel médical. Les efforts des belligérants pour respecter leurs obligations en vertu du droit international humanitaire et protéger la population civile sont négligeables voire inexistants.

 

À Maungdaw, 20 kilomètres à l’ouest de Buthidaung, les combats avaient déjà atteint un pic d’intensité en mai avant une nouvelle escalade en août. De violentes attaques contre des Rohingyas – dont certain·e·s survivant·e·s des attaques à Buthidaung – ont été constatées. 

Entre le 5 et le 17 août, nos équipes dans le camp de réfugié·e·s de Cox’s Bazar, au Bangladesh, ont traité 83 patient·e·s rohingyas pour des blessures liées aux violences. 48 % étaient des femmes et des enfants. Ils et elles ont rapporté avoir fui une attaque à Maungdaw et traverser la frontière.

Décharge à ciel ouvert à l’intérieur des camps de réfugié·e·s rohingyas. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023.

Décharge à ciel ouvert à l’intérieur des camps de réfugié·e·s rohingyas. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023.

© Ro Yassin Abdumonab

La plupart de ces patient·e·s souffrent de blessures par balle, ont été mutilé·e·s par des mines, ou sont dans un état critique causé par l’absence de médicaments traitant des maladies mortelles comme le VIH ou la tuberculose. Ces médicaments ne sont plus disponibles dans Rakhine.

De nombreuses personnes ont qualifié le déplacement vers le Bangladesh, qui implique de traverser la rivière Naf, de « dangereux ». Puisque la frontière est officiellement fermée, les gens sont forcés de payer d’énormes pots-de-vin aux autorités, aux groupes armés ou aux passeurs afin de traverser.

« Il y avait des des difficultés à chaque virage, raconte Mojibullah. Nous avons rencontré des passeurs exigeant des sommes exorbitantes pour une embarcation très dangereuse. Ensuite, nous avons fait face à l’hostilité des gardes-frontières au Bangladesh. Malgré nos appels à l’aide, notamment à propos des besoins médicaux urgents de mes petits-enfants, nous avons été repoussés vers le Myanmar. »

Mohammed porte son petit-fils malade dans les bras, ils reviennent tous deux du centre de santé. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023.

Mohammed porte son petit-fils malade dans les bras, ils reviennent tous deux du centre de santé. Cox’s Bazar, Bangladesh, octobre 2023.

© Sahat Zia Hero

Les conséquences du mépris de la vie humaine sont immenses. Nos équipes au Bangladesh ont reçu 115 patient·e·s rohingyas avec des blessures de guerre depuis juillet 2024, y compris des hommes, femmes et enfants souffrant de blessures causées par une violence extrême. Bien que les nouveaux·elles rohingyas arrivant à Cox’s Bazar aient réussi à fuir la zone de conflit et ont désormais une forme d’accès aux soins, ces personnes doivent constamment se cacher. Ces personnes vivent dans la peur permanente d’être déportées vers le Myanmar, en plus d’affronter des conditions de vie de plus en plus précaires dans des camps où plus d’1.2 millions de personnes vivent derrières des barbelés.

En plus de la violence grimpante et de kidnappings dans les camps – y compris en vue de recrutements forcés par des groupes armés au Myanmar – beaucoup de personnes sont traumatisées par ce qu’elles ont vécu et sont anxieuses pour leur avenir et celui de leurs proches, au Bangladesh comme au pays. Mojibullah, même s’il est finalement arrivé au Bangladesh, n’a pas encore trouvé de répit. « Ma famille et moi avons du mal à accepter la perte de nos proches et l’incertitude quant à notre avenir… »

*Les noms ont été modifiés. 

Sur les environ 2.8 millions de Rohingya dans le monde aujourd’hui, on estime que 99 % d’entre elles et eux sont contrôlés ou marginalisés par des politiques néfastes qui leur refusent leurs droits humains fondamentaux ainsi que leur auto-détermination. Il est inacceptable que 39 % de tous les Rohingya dans le monde vivent actuellement dans des camps clôturés au Bangladesh et au Myanmar avec un accès limité voire inexistant aux biens de première nécessité, à l’éducation et à la santé.

MSF a récemment publié un rapport intitulé « Derrière les barbelés : l’impact des stratégies d’endiguement et d’exclusion sur les Rohingya » (en anglais uniquement).

Télécharger le rapport