«Lors d'une vaccination massive, tout doit être sous contrôle»
© Igor Barbero/MSF
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Afin d'organiser des campagnes de vaccination de masse comme celle de la méningite, que MSF a entreprise dans l'état de Yobe au nord-est du Nigeria, chaque détail doit être pris en compte pour la bonne réalisation du projet.
Daniela Muñoz, coordinatrice logistique pour Médecins Sans Frontières
Vacciner avec succès 136 000 personnes en l'espace d'une semaine, dans des régions éloignées et sous des températures supérieures à 40 degrés, requiert une préparation minutieuse qui inclue jusqu’aux stylos à utiliser. Le tâche la plus délicate et essentielle est de maintenir la chaîne du froid, c'est à dire conserver les vaccins à une température constante comprise entre 2 et 8 degrés. Dans le cas contraire, la vaccination perd son effet.
Les vaccins parcourent un long chemin
Entre le moment où ils sortent d'Europe et celui où les vaccinateurs les utilisent sur le terrain, les vaccins parcourent un long chemin au cours duquel des dizaines de personnes interviennent. Nous devons donc assurer la surveillance constante du matériel. Une fois que les vaccins sont envoyés par avion vers la capitale du Nigeria, Abuja, les responsables de Médecins Sans Frontières (MSF) organisent une réception spéciale afin d'éviter qu'ils ne soient retenus à la douane. De là, ils sont transportés dans des camions réfrigérés jusqu'à une chambre froide du ministère de la Santé, où leur distribution vers les bases de l’état de Yobe est organisée.
Pour ce voyage, nous utilisons des glacières portables suffisamment chargées en accumulateurs de froid afin de résister à un trajet de plusieurs heures par la route. Lorsque les vaccins atteignent les bases opérationnelles, ils sont placés dans des réfrigérateurs électriques que les équipes ont mis en route depuis au moins deux ou trois jours et qui ont une température stable. Ensuite, les équipes coordonnent leur envoi vers les districts affectés par l'épidémie. Souvent, l'électricité est un service indisponible ou rare dans les endroits où nous lançons ces interventions, ce pour quoi nous disposons toujours de générateurs, d'une installation électrique et de suffisamment d'espace afin d’entreposer tout le matériel. Il faut également avoir du carburant pour que les appareils puissent fonctionner 24 heures par jour, ce qui s’avère difficile dans des contextes non urbains, touchés par des crises ou des conflits.
Des contraintes dues à la sécurité
Choisir le transport adéquat est une autre tâche ardue. Par exemple, le trafic aérien vers le nord du Nigeria est limité car MSF peut seulement utiliser des vols exploités par les Nations Unies ou la Croix-Rouge qui arrivent à l'aéroport le plus proche, dans la ville de Maiduguri. Or, ce sont de petits avions à la capacité de charge très réduite. Nous sommes donc contraints de déplacer les charges jusqu'aux bases de Yobe en empruntant les routes principales qui sont en bon état et ne présentent pas de problèmes de sécurité. Cependant, les conditions sont différentes au niveau des postes de vaccination. Certains endroits se trouvent à plus de deux heures de route de nos bases et les voitures sont la seule option pour accéder à ces endroits. Nous ne pouvons pas prendre le risque de nous déplacer à pieds en raison de la présence éventuelle de membres de Boko Haram dans la région. Nos logisticiens doivent contrôler les mouvements des voitures à tout moment, ainsi que les télécommunications par radio, par téléphones mobiles et satellite.
Le microplan, un outil essentiel
Au-delà de tous les aspects logistiques de la gestion de la chaîne du froid, de la recherche de voitures et de matériel, de maisons, de matelas et même de moustiquaires, les efforts de MSF seraient vains sans le développement de ce que l'on appelle le microplan, une cartographie détaillée de toutes les régions où la vaccination a lieu. Il faut connaître avec exactitude le nombre de kilomètres qui séparent les bases des destinations, les conditions routières, l'impact de la pluie et du soleil, le nombre de personnes vivant dans chaque endroit ainsi que le type de population dont il s'agit. Ces données sont essentielles car on trouve par exemple au Nigeria de nombreux fulanis, des tribus nomades pastoralistes. Il est donc important de sensibiliser les communautés à temps pour que, lorsque la vaccination commence, la population cible soit accessible. Dans le cas de la méningite, la perception de la population est relativement bonne car la maladie est connue et redoutée, mais ce n'est pas toujours le cas. Certains vaccins qui nécessitent une injection douloureux ont un effet dissuasif, et il est difficile de convaincre les personnes d'assister aux rotations suivantes.
Malgré la supervision de l'ensemble des détails techniques et la formation des équipes de vaccinateurs, des imprévus peuvent toujours surgir. Une route coupée pendant plusieurs heures. Un avis d’attentat qui nous oblige à suspendre les concentrations de personnes pour la vaccination. En d'autres occasions, il est également arrivé que, pour vouloir aller vite, une équipe emporte les réfrigérateurs sans vaccins et ne se rendent compte de leur oubli qu'une fois arrivés au lieu de destination. Ce sont des erreurs qui peuvent se produire lors d'une mobilisation massive dans laquelle plus de cinquante véhicules et équipements sont impliqués. Il s'agit d'une intervention où tout, jusqu'au dernier stylo, doit être sous contrôle.
© Igor Barbero/MSF