Malawi : les travailleuses du sexe, actrices de leur santé

Une femme devant une maison au Malawi.

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Au Malawi, les équipes de Médecins Sans Frontières travaillent avec des organisations communautaires afin d’améliorer l’accès aux soins des travailleuses du sexe. Certaines sont formées et identifiées comme « paires » pour conseiller, accompagner et répondre au mieux aux besoins, notamment médicaux, de ces femmes.

Les villes de Dedza et de Zalewa sont situées le long de la principale route commerciale qui traverse le Malawi et qu’empruntent les camions à destination de la Tanzanie ou du Mozambique. De nombreuses femmes s’y retrouvent pour tenter de survivre et gagner de l’argent grâce au travail du sexe. 

Certaines ont perdu leurs parents ou ont été quittées par leur mari et se sont retrouvées seules, sans ressources ; d’autres ont subi des abus sexuels, dont des incestes, et ont été exclues de leur communauté. Isolées, leur situation économique les rend extrêmement vulnérables sur le plan sanitaire et sécuritaire, ainsi que les enfants qui vivent avec elles.

Hamida*, 29 ans, tenait un commerce de légumes et de charbon de bois dans la ville de Mangochi. Lorsque son mari l'a quittée pour une autre femme, elle n'a plus été en mesure de subvenir aux besoins de ses trois enfants et de ses quatre frères et sœurs. « J'ai commencé en 2020 et depuis, chaque mois, je leur envoie de l'argent mais ce n'est jamais assez, raconte la jeune femme. Il m'arrive souvent de m’endormir le ventre vide. »

« Il n’y a rien de positif à propos de ce travail. Chaque jour je me demande si je dois continuer ou arrêter, mais arrêter n’est pas une option. Je n’ai pas d’argent », explique Hamida.

« Il n’y a rien de positif à propos de ce travail. Chaque jour je me demande si je dois continuer ou arrêter, mais arrêter n’est pas une option. Je n’ai pas d’argent », explique Hamida.

© Diego Menjibar

Travailleuse du sexe depuis 2008, à la suite du décès de son mari, Agnes* est la fondatrice de l'une des deux organisations communautaires de travailleuses du sexe soutenues par MSF. « J'ai deux ou trois clients par jour et je gagne environ 6 000 kwacha [3,3 euros], explique la mère de quatre enfants, âgée de 42 ans. Le pire dans ce travail, c'est d'avoir des relations sexuelles avec des hommes qui ne paient pas. Cela arrive très souvent. D'autres fois, les clients nous battent et nous volent. »

Agnès, devant la maison de briques où elle, ses quatre enfants et deux petits-enfants vivent.

Agnès, devant la maison de briques où elle, ses quatre enfants et deux petits-enfants vivent. Malgré toutes les difficultés en liant avec son travail, elle garde en tête son objectif. « Ce que je voudrais par-dessus tout, c’est d’avoir assez d’argent pour que mes filles puissent étudier », confie Agnès, dont la fille de 23 ans est également devenue travailleuse du sexe.

© Diego Menjibar

La plupart des travailleuses du sexe que les équipes MSF rencontrent ont des difficultés à accéder aux soins, en raison de leur précarité et de la stigmatisation dont elles font l’objet. « Il s'agit notamment de grossesses non désirées, d'avortements à risque pouvant entraîner de graves complications, voire la mort, d'une forte prévalence d'infections sexuellement transmissibles, en particulier du VIH, et souvent de blessures causées par les clients. » détaille Charlie Masiku, coordinateur de projet de MSF au Malawi.

Après six ans de soutien direct aux travailleuses du sexe de Dedza et de Zalewa, les équipes MSF les ont aidées à s’associer au sein d’organisations communautaires dès 2020. Des travailleuses du sexe formées et identifiées comme des « paires » pour les accompagner mènent désormais des actions de promotion de la santé portant notamment sur les pratiques sexuelles sûres et la contraception. Elles apportent également leur soutien pour lutter contre les violences sexuelles.

Cecilia, responsable d’une organisation communautaire à Zalewa, est en pleine session de sensibilisation sur les infections sexuellement transmissibles.

Cecilia, responsable d’une organisation communautaire à Zalewa, est en pleine session de sensibilisation sur les infections sexuellement transmissibles.

© Diego Menjibar

Le partage d’expérience et d’informations est au cœur de la démarche de ces « paires ». Elles fournissent par exemple des informations sur la prophylaxie pré-exposition (PrEP) pour protéger les travailleuses du sexe séronégatives ou encore dispensent des formations au dépistage du VIH et du papillomavirus, responsable du cancer du col de l'utérus.

Une promotrice de santé MSF donnant une formation sur le dépistage du papillomavirus à des travailleuses du sexe.

Une promotrice de santé MSF donnant une formation sur le dépistage du papillomavirus à des travailleuses du sexe.

© Diego Menjibar

Toutes les deux semaines, une équipe MSF composée d'un infirmier, d'un promoteur de santé et d'un psychologue se rend dans l’une ou l’autre de ces localités pour apporter un soutien médical plus approfondi. « Parfois, nous orientons les femmes vers des hôpitaux pour des problèmes de santé qui ne peuvent être traités par nos équipes ou dans les centres de santé locaux, mais elles n'ont pas les moyens de se rendre dans un hôpital à deux heures de chez elles, poursuit le coordinateur de projet. Nous rencontrons ainsi des jeunes femmes présentant des problèmes de santé à des stades très avancés. »

Une femme en consultation dans l’ambulance MSF.

Une femme en consultation dans l’ambulance MSF.

© Diego Menjibar

Ces dernières années, la situation économique et l'environnement de travail de ces femmes n'ont cessé de se détériorer, notamment à cause de l’augmentation des prix et de la dévaluation de la monnaie locale, le kwacha. Elles rapportent subir des abus de plus en plus fréquents de la part des clients et une baisse du prix de leurs services, ce qui les oblige à augmenter le nombre de clients chaque jour.

« La formation de ces femmes pour leur permettre d’accéder aux soins est très importante mais elles ont également besoin de bénéficier d’un soutien économique et social de la part d'autres organisations pour leur permettre, à elles et à leurs enfants, de s’en sortir », poursuit Charlie Masiku.

Chambres dans lesquelles vivent des travailleuses du sexe avec leurs enfants. Au fond, on aperçoit le bar dans lequel elles travaillent.

Chambres dans lesquelles vivent des travailleuses du sexe avec leurs enfants. Au fond, on aperçoit le bar dans lequel elles travaillent.

© Diego Menjibar

Sur place, les équipes de MSF tentent d’établir des liens avec des organisations locales qui pourraient aider les femmes à se former à d’autres activités comme la culture et la vente de fruits et légumes, la fabrication du savon et l’élevage du bétail, ou qui pourraient payer les frais de scolarité pour leurs enfants. Il s'agit d'un élément essentiel pour améliorer la santé et la vie des travailleuses du sexe sur le long terme.

Depuis 2022, plus de 1 800 travailleuses du sexe ont bénéficié de services de santé sexuelle et reproductive, d'un soutien en matière de santé mentale, de promotion de la santé et de traitements médicaux.

*Les prénoms ont été modifiés.