Mossoul: le fardeau invisible, au-delà des blessures
© Candida Lobes/MSF
Irak7 min
La résistance aux antibiotiques est l'un des défis majeurs de santé publique du 21ème siècle. Sur le terrain, MSF constate une recrudescence des cas de résistance, qui empêchent la bonne prise en charge des infections bactérienne. En Irak et dans l'ensemble du Moyen-Orient, c'est un problème récurrent, face auquel MSF met en place de nouvelles solutions. C'est le cas de la structure de soins post-opératoires ouverte l'année passée à Mossoul-Est.
Saad est assis dans son lit et regarde par la fenêtre. Il profite des rayons de lumière qui entre dans la pièce. Seul dans sa chambre d’isolation, il vient de recevoir la visite quotidienne des médecins qui lui ont dit qu’il sera opéré à nouveau. Ce sera la quatrième opération depuis son accident.
Saad, 46 ans, vient de Mossoul. Sa famille y vit depuis des générations. Mais la vie qu’il a connue a été bouleversée quand une bombe a explosé dans son quartier, alors qu’il marchait vers sa voiture pour aller au travail. « Ce matin-là, le temps était très lourd, comme souvent », se remémore-t-il. « t tout à coup, une explosion m’a fait tomber au sol et j’ai immédiatement perdu connaissance. » Saad survit à l’explosion mais il est gravement blessé au niveau de la jambe : son tibia et sa fibule sont fracturés. Il est emmené à l’hôpital pour être opéré.
Lors de la première opération, les chirurgiens ont inséré un fixateur interne dans ma jambe, avec l’espoir que je pourrais marcher à nouveau. Mais la convalescence a été très douloureuse et j’ai dû faire face à de nombreuses complications.
Saad a été admis dès l’ouverture de la structure de soins post-opératoires dans l’est de Mossoul en avril 2018. Le centre géré par MSF traite les personnes souffrant de blessures accidentelles ou liées à des conflits. Une biopsie a révélé que son fixateur interne devait être retiré et remplacé par un fixateur externe. Elle a aussi montré que Saad avait développé une résistance aux antibiotiques.
Un défi de santé publique majeur
Le cas de Saad n’est pas isolé. Près de 40 % des patients admis au sein de la structure arrivent avec des infections multirésistantes, un problème majeur à l’échelle du pays. Si le taux de résistance aux antibiotiques est particulièrement élevé en Irak et dans le reste du Moyen-Orient, les équipes MSF font également face à ce problème dans beaucoup d’autres pays du monde. La résistance aux antibiotiques n’est pas un phénomène nouveau mais doit être abordée de façon urgente pour éviter qu’elle devienne l’un des défis de santé publique majeurs du 21ème siècle.
Lorsqu’une personne souffre d’une infection bactérienne, elle est généralement traitée avec des antibiotiques, les seuls médicaments efficaces face à cette problématique. Cependant, ces bactéries peuvent peu à peu s’adapter aux médicaments censés les combattre. Cette capacité à s’adapter et à survivre est ce qu’on appelle la résistance aux antibiotiques. Elle peut être causée par l’abus ou la mauvaise utilisation d’antibiotiques. Dans beaucoup de pays à revenus faibles ou moyens, les antibiotiques sont vendus sans prescription médicale et leur surconsommation ou leur mauvaise utilisation est un problème récurrent. Sur le long terme, la résistance aux antibiotiques pourrait avoir un impact énorme sur la santé. En effet, une fois que ces médicaments perdent de leur efficacité, certaines procédures médicales basiques peuvent devenir trop dangereuses. La résistance aux antibiotiques complique également la convalescence des patients blessés accidentellement ou lors de conflits. C’est le cas des patients traités au sein de la structure MSF de Mossoul-Est.
Faire face à la résistance aux antibiotiques à Mossoul-Est
Quand MSF a ouvert sa structure de soins post-opératoires l’année dernière, l’organisation a mis en place un programme de gestion de l'utilisation des antibiotiques ainsi que des mesures de contrôle et de prévention des infections pour limiter l’impact des infections multi résistantes.
Eviter la transmission d’infections multirésistantes entre les patients est crucial
Ces mesures sont aussi simples que de s’assurer que les personnes se lavent les mains correctement. « L’hygiène des mains, dans une structure de santé, est l’une des mesures de contrôle et de prévention des infections pour éviter la transmission » explique An Caluwaerts. « Si cette mesure est prise à temps, l’hygiène des mains peut éviter la diffusion d’organismes résistants ou sensibles qui sont présents dans notre corps ou notre environnement. »
L’instauration de « précaution lors des contacts » est aussi fondamentale : les patients souffrant d’infections multirésistantes restent dans des chambres d’isolation plutôt que dans des salles communes d’hospitalisation, pour éviter la diffusion d’infections à d’autres patients ou au personnel médical. La précaution lors des contacts implique aussi l’utilisation d’équipement personnel de protection tels que des gants et des blouses médicales, la limitation des mouvements des patients, l’utilisation d’équipement de soins spécifique à chaque patient et l’assurance que les chambres des patients soient lavées et désinfectées régulièrement.
L’importance des services de santé mentale et de promotion de la santé
Puisqu’ils sont isolés au sein de l’hôpital, les patients présentant une résistance aux antibiotiques sont plus enclins à être affectés psychologiquement, en raison de ce qu’ils ont vécu et les défis que présente leur traitement. « Les personnes qui sont en chambre d’isolation sont souvent plus anxieuses, plus enclines à déprimer et à être en colère que les autres » explique Olivera Novakovic, une psychologue du projet MSF de Mossoul-Est. « La plupart de nos patients ont vécu des expériences particulièrement traumatisantes et lorsqu’ils sont dans des chambres d’isolation, ils ont beaucoup de temps pour y penser. »
Les équipes de santé mentale sont présentes pour les aider à faire face à ces difficultés. « Nous développons des programmes psychologiques individuels, en fonction de l’âge et du niveau d’éducation des patients » explique-t-elle. « La psychoéducation représente une phase cruciale, car si le patient comprend pourquoi il est placé en chambre d’isolation et ce qu’est la résistance aux antibiotiques, il adhère naturellement et plus rapidement au traitement. »
Les équipes de promotion de la santé de MSF sensibilisent également les patients et leurs familles au problème des infections multi résistantes. « La résistance aux antibiotiques représente une menace sévère pour la santé publique et ne devrait pas être sous-estimée » explique Karam Yaseen, l’un des promoteurs de santé, alors qu’il termine une session de sensibilisation à l’hôpital.
Les données suggèrent que le taux de résistance aux antibiotiques dans les pays du Moyen-Orient, dont l’Irak, est particulièrement élevé. MSF demande au personnel de santé, médical ou paramédical, d’éviter l’utilisation non-nécessaire d’antibiotiques. MSF recommande aussi fortement au ministère de la Santé Irakien de prendre toutes les mesures nécessaires pour sensibiliser la population irakienne à l’impact sévère sur la santé de la mauvaise utilisation ou de la surconsommation d’antibiotiques.
MSF en Irak:
MSF travaille en Irak, à Mossoul et dans ses alentours, depuis 2017. L’organisation y apporte des services vitaux pour les personnes victimes de violence. En 2017 et 2018, MSF a géré plusieurs postes de stabilisation à Mossoul-Est et Ouest. L’organisation a également travaillé dans quatre hôpitaux, proposant des services tels que les soins d’urgences et soins intensifs, la chirurgie et la santé maternelle. En avril 2018, MSF a ouvert une structure de soins post-opératoires à Mossoul-Est pour traiter les personnes souffrant de blessures accidentelles ou liées à de conflit.
Avec plus de 1,500 employés en Irak, MSF propose des soins de santé primaires et secondaires, des services pour les femmes enceintes ou qui viennent d’accoucher, des traitements pour les maladies chroniques, de la chirurgie et de la réadaptation pour les blessés de guerre, de la santé mentale et des activités de promotion de la santé. MSF travaille actuellement dans les gouvernorats d’Erbil, de Diyala, du Ninewa, de Kirkouk, d’Anbar et de Baghdad.
© Candida Lobes/MSF