MSF appelle les gouvernements à soutenir la décision de l'OMC de suspendre les monopoles pendant le Covid-19
© Abhinav Chatterjee/MSF
4 min
Alors qu’auront bientôt lieu les négociations de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) visant à examiner une demande historique de renonciation à certains droits de propriété intellectuelle (PI) durant la pandémie de Covid-19 (déposée en octobre par l'Inde et l'Afrique du Sud), Médecins Sans Frontières (MSF) appelle tous les gouvernements à soutenir cette mesure qui changera la donne.
Renoncer à la propriété intellectuelle (PI) permettrait à tous les pays de choisir de ne pas accorder ou ne pas faire respecter les brevets et autres PI liés aux médicaments, vaccins, diagnostics et autres technologies contre le Covid-19 pendant toute la durée de la pandémie, jusqu'à ce que l'immunité collective mondiale soit atteinte. Cette initiative remonte à 20 ans en arrière, lors de l'épidémie de VIH/sida, lorsque des médicaments génériques abordables contre le VIH, fabriqués dans des pays où les brevets ne bloquaient pas la production, ont commencé à sauver la vie de millions de personnes.
Tous les outils et technologies contre le Covid-19 devraient être de véritables biens publics à disposition du monde entier, exempts des barrières qu'imposent les brevets et autres propriétés intellectuelles.
« Nous appelons les gouvernements à soutenir sans délai cette proposition novatrice qui place les vies humaines avant les profits des entreprises en ce moment critique pour la santé mondiale » déclare le Dr Sidney Wong, co-directeur de la campagne d'accès aux médicaments essentiels de MSF. MSF exhorte la Suisse à ne pas s'opposer activement à cette proposition qui est essentielle pour les pays ayant moins de ressources.
Pas de monopoles pour éviter des prix artificiellement élevés
Depuis le début de la pandémie, les entreprises pharmaceutiques ont continué à exercer un contrôle rigide des droits de propriété intellectuelle, comme elles le font habituellement, tout en négociant des accords commerciaux secrets et monopolistiques qui privent l’accès à de nombreux pays en développement. Par exemple, Gilead a conclu des accords de licence bilatéraux restrictifs pour l'un des seuls médicaments qui ait démontré un bénéfice potentiel pour traiter le Covid-19, le remdesivir, excluant ainsi près de la moitié de la population mondiale de la concurrence des génériques permettant des prix réduit.
Par ailleurs, plusieurs médicaments récents et réaffectés ainsi que des traitements par anticorps monoclonaux, en phase de test, constituent des médicaments prometteurs contre le Covid-19. Ils sont déjà brevetés dans de nombreux pays en développement tels que le Brésil, l'Afrique du Sud, l'Inde, l'Indonésie, la Chine et la Malaisie. Et à l'exception d'une seule, aucune des entreprises qui développent un vaccin contre le Covid-19 ne s'est engagée à traiter la PI différemment du statu quo. Si certaines sociétés, par le biais de contrats de licence et de transfert de technologie, ont promis de solliciter des capacités de production existantes dans le monde entier, et ce, afin de pallier les pénuries prévues de vaccins potentiellement efficaces, ces engagements ont été des exceptions. Ces contrats de licence sont d’ailleurs souvent assortis de limites clairement définies.
Historiquement, des mesures ont été prises pour contourner les monopoles, qui permettent aux entreprises pharmaceutiques de maintenir des prix artificiellement élevés. En 2001, au plus fort de l'épidémie de VIH/sida, la « Déclaration de Doha ou Déclaration sur l'accord sur les ADPIC et la santé publique » a reconnu le droit aux gouvernements de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les brevets et autres obstacles à la propriété intellectuelle, permettant ainsi aux Etats de donner la priorité à la santé publique plutôt qu'aux intérêts des entreprises. Cette demande de dérogation actuellement adressée à l'OMC est une mesure similaire visant à accélérer la réponse au Covid-19.
Cette initiative ambitieuse de la part des gouvernements offre au monde une chance d'éviter de répéter la tragédie de l'épidémie de VIH/sida
« Il y a 20 ans, les monopoles sur les traitements vitaux contre cette maladie ont permis aux habitants des pays à haut revenu d'avoir accès aux médicaments contre le VIH alors que des millions de personnes étaient abandonnées à leur sort dans les pays en développement. Passer outre les monopoles sur les outils de lutte contre le Covid-19 permettront une collaboration mondiale pour augmenter la fabrication, l'approvisionnement et l'accès à tous. Avec plus de 1,3 million de vies déjà perdues à cause du Covid-19, les gouvernements ne peuvent pas se permettre de perdre plus de temps à attendre des mesures volontaires de la part de l'industrie pharmaceutique » explique le Dr Khosi Mavuso, porte-parole de MSF en Afrique du Sud.
Lors de la dernière réunion du Conseil des ADPIC de l'OMC (au sujet des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce), les 15 et 16 octobre, le Kenya et l’Eswatini se sont joints à l'Inde et à l'Afrique du Sud pour soutenir officiellement la dérogation. Au total, 99 pays ont manifesté leur soutien à cette initiative. Mais la proposition de dérogation n'est pas approuvée par de nombreux pays riches, dont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, le Brésil, l'Australie, la Norvège, la Suisse et l'Union européenne.
« Les gouvernements doivent se demander dans quel camp ils voudront se trouver lorsque seront écrits des livres pour retracer l’histoire de cette pandémie » conclut le Dr Sydney Wong.
© Abhinav Chatterjee/MSF