«Notre priorité est d'accéder aux blessés en Libye»
© Naoufel Dridi/MSF
5 min
Entretien avec Ivan Gayton, coordinateur des urgences MSF à Ras Ajdir, à la frontière entre la Tunisie et la Libye
Depuis le début des violents affrontements qui ont éclaté à la mi-février en Libye, MSF a réussi à rejoindre la ville de Benghazi, à l’est de la Libye. Une équipe y apporte son aide aux structures médicales et tente d’accéder aux zones en proie à la violence pour soigner les blessés. Une autre équipe de MSF a été dépêchée à Ras Ajdir, sur la frontière tunisienne, et se tient prête à passer du côté libyen avec du matériel médical. Elle n'est cependant pas autorisée à pénétrer le territoire libyen, alors que les blessés n'ont pas le droit d'en sortir. La priorité de MSF est donc d’obtenir un accès immédiat à ces populations. En attendant, des milliers de personnes, principalement des ressortissants étrangers qui fuient le pays, attendent d’être rapatriés vers leur pays respectif. À la frontière tuniso-libyenne, MSF a pu observer des besoins en termes de santé mentale.
Ivan Gayton, coordinateur des urgences pour MSF, nous décrit la situation à la frontière et les interventions menées par MSF.
Avez-vous des informations sur la situation humanitaire du côté libyen ?
Bon nombre de ceux qui sont parvenus à passer la frontière nous ont affirmé que les blessés n’étaient pas autorisés à quitter la Libye. D’après les contacts que nous avons avec le personnel médical basé en Libye, il y a beaucoup de blessés mais ils manquent de matériel et de médicaments. Il s’agirait essentiellement de traumatismes. On est donc coincé dans une situation très préoccupante, avec des blessés qui seraient bloqués d’un côté de la frontière et de l’autre, une équipe médicale prête à intervenir avec tout le matériel nécessaire.
Notre première priorité sur le plan médical/humanitaire est de pouvoir accéder aux populations vulnérables touchées par la violence en Libye. Les équipes de MSF, que ce soit sur la frontière tunisienne ou à l'est de la Libye, ont examiné et continuent d'examiner toutes les possibilités pour tenter de rejoindre ces victimes.
D’aucuns ont évoqué une crise humanitaire à la frontière tuniso-libyenne ; pouvez-vous confirmer cela ?
Même si les Libyens qui fuient le pays vivent une situation très difficile, on ne peut pas vraiment parler d’une crise humanitaire à la frontière tuniso-libyenne. Et ce, en grande partie grâce aux efforts déployés par la société civile et les autorités tunisiennes qui travaillent d’arrache-pied pour répondre aux besoins des réfugiés.
Toutefois, l’afflux massif de nouveaux arrivants met les camps de transit sous pression et rend la situation très délicate. Si le nombre de réfugiés qui franchissent la frontière continue d’augmenter, la capacité des camps risque d’arriver à saturation. Au 3 mars, 91 000 personnes, principalement des travailleurs émigrés venus d’Égypte ou de Tunisie mais aussi d’autres pays africains et asiatiques, avaient réussi à franchir la frontière. Ce sont généralement des hommes en bonne santé et les équipes médicales n’ont pas observé de problème sanitaire majeur chez ces personnes.
Dans l’ensemble, des efforts colossaux ont été déployés pour maintenir un équilibre entre les rapatriements des personnes vers le pays d’origine et l’accueil de nouveaux arrivants. La Tunisie a répondu à cet afflux massif de réfugiés avec une générosité hors du commun. Nous avons pu voir des centaines de Tunisiens faire des dons privés de nourriture, d'eau, de couvertures, de bois de chauffage, etc.
Concrètement, que fait MSF à la frontière ?
Tout d’abord, notre présence ici – en termes d'équipe et de matériel médical ¬– signifie que nous sommes prêts à intervenir en Libye dès que nous le pourrons. Nous faisons notre possible pour pouvoir accéder immédiatement aux blessés, qui n’ont apparemment pas le droit de sortir du territoire, tandis que les médecins et le matériel médical d’urgence ne sont pas autorisés à y rentrer.
Ensuite, nous surveillons de près la situation à la frontière, au cas où une intervention médicale/humanitaire serait nécessaire. Notre expérience nous a appris que même si la situation est actuellement sous contrôle, nous devons nous tenir prêts à intervenir pour faire face à toute évolution possible.
Et enfin, nous démarrons des activités pour prêter main forte aux acteurs ici présents – société civile, autorités, ONG – qui ont demandé notre aide.
Quelles sont les activités que MSF a entamées à la frontière ?
Notre équipe a commencé à assurer des consultations, en collaboration avec les infrastructures médicales tunisiennes et le Croissant rouge, qui gèrent très bien la situation. Jusqu’à présent, nous n’avons pas observé de pathologies graves chez les personnes qui ont traversé la frontière. La plupart d’entre eux souffre de rhumes, de maux de têtes ou d'estomac. Nous continuons à surveiller la situation, même si pour le moment tout est sous contrôle.
Toutefois, les discussions avec des émigrés en transit et d'autres membres d'organisations humanitaires ont fait apparaître le besoin urgent de mettre en place un programme de santé mentale. Bon nombre de personnes qui ont traversé la frontière ont été témoins ou ont subi différents niveaux et formes de violences en Libye. Ils attendent maintenant de pouvoir rentrer dans leur pays et vivent dans l’incertitude quant à leur avenir proche, ce qui constitue un facteur de stress supplémentaire. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer un programme de santé mentale qui nous permet d’assurer des consultations psychologiques pour les patients qui nous sont référés par les médecins au poste de frontière.
L’équipe a aussi été renforcée. Avec davantage de personnel et de matériel médical, nous sommes prêts à apporter notre aide à tous les blessés qui se trouvent en Libye .
© Naoufel Dridi/MSF