RCA: Ne renoncez pas à un soutien vital
© Sandra Smiley/MSF
République centrafricaine (RCA)6 min
Tribune écrite par Emmanuel Lampaert, chef de mission de MSF en République centrafricaine.
Un désengagement prématuré ou une « dé-priorisation » de l'aide humanitaire allouée par la communauté internationale à la RCA aurait des conséquences catastrophiques. Dans ce pays, les indicateurs de santé restent parmi les plus bas au monde, les flambées de violences sont récurrentes et 20% des habitants sont réfugiés dans des pays frontaliers ou déplacés à l'intérieur du pays.
Il y a trois semaines, la petite maternité de Gbaya Ndoumbia à Bangui a été submergée par un afflux de blessés lors de combats entre bandes rivales dans la capitale. Nos sages-femmes, dont le travail consiste à donner naissance à des bébés en bonne santé, ont dû stabiliser 12 hommes gravement blessés par des coups de feu, des tirs de roquettes et de grenades, tout en aidant des mamans, littéralement traumatisées, à accoucher. Trois cadavres, dont celui du chef du principal groupe armé du quartier, gisaient dans l'une des salles de la maternité entre une affiche sur l'allaitement maternel et une autre sur la contraception. Les événements de cette journée ont été extrêmes, mais ils n’étaient ni imprévisibles, ni inhabituels. Alors que la maternité de MSF a ouvert ses portes il y a quelques mois, nos sages-femmes passent la moitié de leur temps à prodiguer les premiers soins à des hommes victimes de violents traumatismes qui n’ont pas d’autre endroit où se faire soigner. Avant cette journée noire, notre personnel médical avait été mobilisé pour suturer les blessures des commerçants du marché voisin. Ils avaient été passés à tabac pour avoir omis de payer la taxe quotidienne de 100 Francs CFA (environ 15 centimes d'euro) aux groupes armés qui contrôlent une grande partie de l’économie du quartier.
La République centrafricaine n'est cependant pas en situation de guerre totale. Les élections générales, qui se sont tenues en mars dernier, auraient dû clore le dernier chapitre d’une crise aiguë qui a culminé en 2013 et 2014. Mais les problèmes humanitaires sous-jacents du pays n’ont pas été résolus pour autant. C'est parce que la maternité est la seule structure de santé ouverte 24h sur 24 et 7 jours sur 7 dans le quartier PK5 (où vit la grande majorité de la population musulmane de Bangui) qu’on y amène les blessés. Cette situation illustre l’indisponibilité des soins, qui est une réalité dans tout le pays. Dans certaines régions rurales, la situation est encore pire.
MSF gère 17 projets à travers le pays, qui compte 4,9 millions habitants. L'année dernière, nous avons effectué plus d'un million de consultations médicales. Cela a été possible grâce à la générosité de nos donateurs privés, qui nous ont permis de dépenser 58 millions de dollars (55 millions d'euros) en 2015 afin de fournir des soins de santé aux Centrafricains. C'est une somme importante, qui représente le troisième plus gros budget par pays pour MSF. Cela ne correspond qu’à un investissement de 11 dollars par habitant et par an. Pourtant, c'est plus que ce que les principaux bailleurs institutionnels ont dépensé pour promouvoir l’accès aux soins d’urgence ou de base. C'est aussi bien plus que le budget du ministère de la Santé de Centrafrique.
Il est difficile de décrire ce que signifie vivre, ou survivre, sans accès aux soins de santé.
L'avenir ne semble pas beaucoup plus radieux. Une lassitude semble s’être emparée des financeurs institutionnels. Les bailleurs de fonds n’espèrent lever que 16 dollars par habitant et par année en matière de santé pour les cinq prochaines années. Ceci est à peine plus élevé que ce que MSF investit à elle seule dans un pays où le système de santé est extrêmement faible quand il n’est pas complètement absent. En 2016, à peine un tiers du budget nécessaire pour couvrir les besoins humanitaires a été financé. Les pays donateurs ont réduit leur financement, ce qui affecte directement d'autres organisations non-gouvernementales (ONG) qui, contrairement à MSF, dépendent des fonds publics et sont donc obligées de réduire leurs activités.
En juillet de cette année, nous avons dû augmenter nos activités à Bambari, dans le Sud de la RCA, après qu'une ONG internationale a pris la décision difficile de quitter le pays. Une décision justifiée par un contexte sécuritaire très tendu entraînant des coûts opérationnels et une prise de risque jugés trop élevés. Sans notre implication, le retrait pur et simple de cette organisation aurait eu des conséquences dramatiques, comme celle de laisser un hôpital avec seulement deux médecins pour s’occuper d’une population de 55 000 personnes! Malheureusement, cette triste réalité n'est pas propre à Bambari, elle concerne tout le pays, en particulier les zones rurales de la RCA.
Il est difficile de décrire ce que signifie vivre, ou survivre, sans accès aux soins de santé. Récemment un patient est venu dans un de nos hôpitaux de campagne avec une blessure au pied si avancée que toute la chair de ses orteils avait disparu. Ses os sont tombés quand l'infirmière a essayé de les nettoyer. Nous avons essayé de le référer à l’hôpital, mais le patient, qui était séropositif, est mort dans les deux jours qui ont suivi. En dépit de ses blessures sévères et sans doute terriblement douloureuses, cet homme n'avait jamais consulté un médecin avant, parce qu'il ne pouvait pas se permettre de payer la modique somme demandée dans les centres de santé locaux.
Le pire de la crise qui a duré une décennie en République centrafricaine est peut-être passé, mais cela ne signifie pas que les choses sont normales. La « normalité » aujourd’hui, c’est la présence de groupes armés actifs dans différentes régions du pays, des flambées de violences qui forcent les gens à fuir et abandonner leurs maisons, des déplacements, la peur et les maladies, des conditions de vie plus difficiles et moins d'accès aux structures de santé ou aux services de base. En fait, si la RCA était l'un de nos patients, nous dirions qu'elle est sortie de la salle d'urgence, mais qu'elle doit encore rester sous perfusion en soins intensifs. Si la communauté des bailleurs de fonds devait couper les financements pour le pays, ce serait comme priver ce patient de soins vitaux. Cela aurait des conséquences tragiques.
© Sandra Smiley/MSF