Restaurer la dignité des personnes réfugiées et déplacées
© MSF/Mack Alix Mushitsi
11 min
Plus de la moitié des projets MSF s’adressent à des personnes qui ont été forcées de se déplacer à cause de la violence, de l’insécurité et du changement climatique. Nos équipes sont à pied d’œuvre pour soigner et apporter réconfort à ces familles qui ont tout perdu en un instant. Tour d’horizon de nos actions.
« Dans le village de mon grand-père, où je suis rentré pour quelques jours, je suis tombé sur un homme qui me cherchait, raconte Mohammed Dikko Abdullahi, assistant du coordinateur de projet MSF à Maiduguri, la capitale de l'Etat de Borno, dans le nord du Nigeria. Il m’a dit que son enfant était malade depuis environ trois semaines et qu'il ne trouvait pas d'aide. J’ai alors expliqué à ce papa comment se rendre à l'hôpital MSF de Maiduguri. Lorsque je suis arrivé au bureau le lundi matin, cet homme, sa femme et son enfant étaient les premières personnes à attendre devant le portail. Après une évaluation médicale, l'enfant a été hospitalisé pour malnutrition sévère. Le père m’a raconté qu'ils avaient dû quitter leur maison à cause du conflit et qu'ils étaient arrivés à Maiduguri récemment, que lui n’avait pas d'emploi pour le moment, et qu’il était donc très difficile de trouver suffisamment de nourriture. Et il y a tellement d’histoires comme celle-ci… ».
Avec plus de 5,2 millions de personnes déplacées par les violences (source : Organisation Internationale pour les Migrations, mars 2021), le bassin du lac Tchad est le théâtre d’une des crises humanitaires majeures sur le continent africain. Les exactions commises et les niveaux de violence sont venus aggraver une situation déjà critique, caractérisée par une extrême pauvreté, une insécurité nutritionnelle, des épidémies fréquentes et un système de santé fragile. Dans l’Etat du Borno au Nigeria, dans le sud du Niger, au Tchad, ou dans l’extrême nord du Cameroun, les équipes MSF offrent des soins de santé générale, une prise en charge nutritionnelle, un soutien psychologique et une assistance chirurgicale. Elles mènent également des campagnes de vaccination dans les villages, villes ou les camps de déplacés et de réfugiés. Mohammed Dikko Abdullahi ajoute : « La violence oblige de nombreuses familles à fuir, en abandonnant leurs champs pour chercher la sécurité, elles n’ont plus rien pour vivre. Quand je suis repassé à l’hôpital deux jours plus tard, cette famille-là avait retrouvé le sourire. C'est la partie la plus gratifiante de mon travail : les sourires que je vois sur les visages de nos patients. Savoir que nous avons un impact. »
Cet impact dont parle Mohammed Dikko Abdullahi est le moteur qui anime les équipes MSF au quotidien, en particulier auprès des personnes réfugiées ou déplacées. En 2020, 57 % des activités MSF s’adressaient aux victimes de conflits et aux personnes forcées de se déplacer. Selon le rapport Global Trends, Forced Displacements in 2020 publié par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), 82,4 millions d’individus sont des personnes déplacées de force dans le monde, dont 21 millions sont réfugiés et 4,4 millions sont demandeurs d’asile (voir encadré rouge). A noter que 85 % des réfugiés sont accueillis dans des pays à revenus faible ou intermédiaire, soit dans des contextes où les systèmes de santé sont déjà surchargés. Ainsi, les nouveaux venus, déplacés ou réfugiés, ne sont pas nécessairement reçus à bras ouverts. Être déplacé signifie devenir invisible et trop visible à la fois, ignoré et repoussé au maximum à la marge. Ce rejet est aussi un déni d’humanité, car les personnes déplacées, qui ont perdu amis et famille dans leur fuite, doivent souvent vivre dans des camps, où les conditions de vie sont précaires voire déplorables et les accès aux structures d’éducation et de soins très compliqués ou inexistants.
Des conséquences réelles sur la santé
« Qu’ils soient en transhumance ou dans des camps, les gens déplacés se trouvent de facto privés de services médicaux, explique Christine Jamet, directrice des opérations MSF*. Quand il y a des déplacements de populations, on sait que les besoins vont rapidement augmenter, les gens sont beaucoup plus exposés aux maladies diarrhéiques s’il n’y a pas d’eau potable, ou aux infections respiratoires, aux épidémies quand ils vivent dans des abris de fortune surpeuplés. C’est d’autant plus vrai pour les patients souffrant de maladie chronique, car l’interruption de traitement se traduit nécessairement par des complications, pouvant exiger une hospitalisation. Dans ces moments de vulnérabilité extrême, notre rôle est de leur venir en aide. » Dans le territoire de Djugu, dans la province de l'Ituri en République démocratique du Congo, une nouvelle escalade de violence fin 2021 a encore détérioré la situation humanitaire et sécuritaire, renforçant la vulnérabilité et l'isolement de la population.
Suzanne, 52 ans, originaire de Dhedja, était agricultrice. Elle a fui à Ivo avec ses trois enfants, puis elle a été contrainte de partir à nouveau, cette fois à destination du camp de Rhoe. Comme elle, plus de 40 000 personnes ont été obligées de se réfugier dans le site de Rhoe, une zone difficile d'accès et où les acteurs humanitaires ont une présence réduite en raison de la récurrence de problèmes de sécurité et d’accès logistique. « Les gens sont confrontés à de nombreuses difficultés, le froid, le manque d'abris, de latrines, explique Dr Benjamin Safari, médecin MSF à Drodro. Les affrontements entre groupes armés ont conduit au déplacement massif de la population, y compris des agents de santé qui ne sont, dès lors, plus au chevet de leurs patients. Les besoins sanitaires sont énormes, nous avons démarré plusieurs activités afin de renforcer les capacités de prise en charge des enfants de moins de 15 ans », précise-t-il. A l’origine, le poste de santé installé dans le camp avait vocation à référer les patients nécessitant des soins plus spécifiques vers l'hôpital général de référence de la ville de Drodro. Aujourd’hui, le poste de santé s’est transformé en quasi-hôpital de campagne aux conditions rudimentaires afin de venir en aide aux désormais plus de 65 000 personnes, soit 40 000 de plus en deux mois. Au cours des dernières semaines de décembre 2021, les équipes médicales ont réalisé une moyenne hebdomadaire de plus de 800 consultations, assisté 35 accouchements, et pris en charge plusieurs dizaines de patients nécessitant une assistance en santé mentale.
Au Burkina Faso, dans la région du Sahel, la ville de Djibo enregistre aujourd’hui un nombre de personnes déplacées supérieur à sa population locale, avec plus de 228 000 personnes déplacées, dont quasiment un cinquième ont moins de 5 ans. L’insécurité environnante et la pression démographique limitent chaque jour un peu plus l’accès aux soins. Les populations sont donc forcées des se déplacer continuellement pour survivre. Dans ce contexte, les facteurs climatiques et sanitaires ne font qu’exacerber la situation. La saison des pluies est impactée par la crise climatique et entraîne de violentes précipitations, occasionnant eaux stagnantes et prolifération des moustiques responsables du paludisme et de la dengue. Selon une enquête de mortalité réalisée entre janvier et février 2021 dans les villages du district de Djibo, le paludisme est la première cause de décès des personnes déplacées et autochtones dans la zone. Dans ce contexte, MSF déploie ses équipes pour faire face aux pics épidémiques aux côtés du ministère de la Santé pour soigner les patients et soutenir la prévention via une chimio-prophylaxie saisonnière et des distributions de moustiquaires. A cela s’ajoute un autre problème majeur : l’exposition aux maladies hydriques, par exemple le choléra, dues aux dégâts causés par les intempéries et aux difficultés d’accès à l’eau potable. Là encore, les équipes MSF sensibilisent sur les risques et fournissent également de l’eau propre et gratuite aux populations en réhabilitant d’anciens forages ou en en construisant de nouveaux.
Si MSF était déjà au chevet des personnes déplacées ou réfugiées dès les premières années de sa création, la mission humanitaire dépasse le traitement médical seul.
Agir au-delà des soins
« Notre action médicale ne se limite pas à l’acte médical, poursuit Christine Jamet. Nous entendons les histoires des patients et leur détresse. Nous devons aussi agir pour tenter de faire évoluer la situation. Nous utilisons donc le traitement des personnes comme levier pour plaider en faveur d’une prise de conscience des décideurs qui ont le pouvoir d’agir. » Ainsi, MSF choisit d’être vocale sur les contextes où les populations sont otages des politiques régionales. C’est le cas en Amérique latine et centrale où les équipes sont présentes le long des frontières et où les populations déplacées se retrouvent bloquées dans des no man’s land, coupées de tout accès aux services de base. Egalement au Kenya, elles agissent dans le camp de Dadaab, car avec la fermeture prévue dans quelques mois, les réfugiés pourtant là depuis 30 ans, risquent d’être privés du peu de services dont ils disposent. En Grèce, sur l’île de Samos, en parallèle des soins, les équipes sont présentes dès les amerrissages des réfugiés permettant ainsi de leur donner une visibilité agissant comme une protection, qui autrement ne serait pas nécessairement garantie.
MSF a publié un rapport en juin 2021 dans lequel elle fournit un aperçu consolidé des données médicales recueillies par l'organisation au cours des cinq dernières années. Ce document insiste sur la responsabilité des politiques migratoires de l'Union Européenne (UE) qui mettent délibérément en péril la santé, le bien-être et la sécurité des personnes bloquées sur place. Les cliniciens MSF en santé mentale suivent des centaines de patients pour stress post-traumatique et dépression. Ces niveaux de souffrance poussent certains jusqu’à l’automutilation voire même des tentatives de mettre fin à leurs jours. Pourtant, en septembre 2021, l'UE et le gouvernement grec ont ouvert un nouveau centre pour demandeurs d'asile sur l’île de Samos, qui est une véritable « prison à ciel ouvert ». Du statut de réfugiés et demandeurs d’asile, ils passent à celui de prisonniers. Or, garder les gens enfermés dans des camps signifie les punir d’un crime qu’ils n’ont pas commis. Leur seul acte est celui de tenter de sauver leur vie et celle de leurs proches. « Même si nous ne pouvons pas agir sur les procédures et les statuts administratifs, nous contribuons au moins à garder ce dossier à l’agenda des politiques européennes », précise Christine Jamet.
Le nombre de personnes en situation de vulnérabilité augmente d’année en année. Non par choix mais par obligation, ces gens continueront de se déplacer en quête de sécurité. Face à l’immensité des besoins que cela occasionne et en l’absence de réponse adaptée de la part des Etats, il est néanmoins impossible pour les organisations humanitaires d’agir partout. « On aimerait pouvoir faire plus bien sûr, mais, en toute humilité, je crois que notre action fait une différence, aussi limitée soit-elle, conclut Christine Jamet. Au cœur de la détresse et des situations chaotiques que sont les chemins de l’exil, nous créons de petits havres de paix dans nos structures. Les gens s’y sentent en sécurité. Nous pouvons et nous devons continuer à offrir ces moments de solidarité et de dignité, où nous échangeons d’égal à égal, d’humain à humain. »
* Depuis le mois de juillet, Kenneth Lavelle est désormais le directeur des opérations
Selon la définition du HCR, les réfugiés sont des personnes qui fuient les conflits ou la persécution. Leur statut est défini et protégé par le droit international, et les réfugiés ne peuvent être expulsés ou renvoyés vers des situations où leur vie et leur liberté sont en péril. C’est le principe de non-refoulement défini par la Convention de Genève de 1951. Les demandeurs d’asile sont les personnes ayant demandé à un pays tiers de leur offrir l’asile – soit l’accueil et la protection contre la persécution – mais dont la procédure n’est pas encore achevée. Il n’est pas encore fixé sur la reconnaissance de son statut ou de sa qualité de réfugié, ce qui l’oblige à vivre avec une incertitude totale quant à son avenir. A noter qu’en cas de mouvements massifs de populations en provenance des régions en guerre, tant pour des raisons de capacité d’accueil que parce que les motifs de fuite apparaissent de manière évidente, le statut de réfugié « prima facie » (à première vue, c’est-à-dire sans passer par une procédure administrative longue) peut être donné aux nouveaux arrivants, comme cela a été le cas pour les réfugiés éthiopiens arrivés au Soudan dès le début du conflit au Tigré en décembre 2020.
© MSF/Mack Alix Mushitsi