Sept mois d'attaques incessantes contre le système de santé dans les territoires palestiniens occupés

MSF Gaza burnt cars

Palestine12 min

Au cours des sept derniers mois, le système de santé de la bande de Gaza a été attaqué de façon systématique. Selon OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies), 24 hôpitaux de Gaza sont désormais hors service, tandis que 493 travailleurs de santé ont été tués. Chaque centre médical ou système d'acheminement de l'aide humanitaire a été ou est en train d'être détruit, pour être remplacé par des solutions alternatives moins efficaces. Il est impossible de dire quel sera le coût humain indirect, en termes de décès et de blessures à long terme, résultant du blocage de l'aide et du manque d'approvisionnement en traitements.

Le personnel et les patients de Médecins Sans Frontières (MSF) ont successivement quitté douze structures de santé différentes et ont subi 26 incidents violents (3,7 par mois en moyenne), dont des frappes aériennes endommageant des hôpitaux, des tirs de chars sur des abris considérés comme sécurisés, des offensives terrestres contre des structures médicales et des tirs sur des convois. MSF n'a toujours pas reçu  d'explications relatives aux meurtres, aux mutilations et à la déshumanisation dont ont été victimes son personnel et ses patients.

Si les sept derniers mois ont été dévastateurs d'un point de vue médical et humanitaire pour la populationde la bande de Gaza, de Cisjordanie et d'Israël, la violence à laquelle sont confrontés les Palestiniens est bien antérieure au 7 octobre. La bande de Gaza faisait déjà face à une crise humanitaire causée par le blocus israélien depuis 16 ans. 

Le 6 octobre 2023, MSF menait des activités médicales humanitaires dans les territoires palestiniens occupés, plus précisément à Hébron, Jénine, Naplouse, Masafer Yatta et dans la bande de Gaza. Ce jour-là, nos collègues s'occupaient de patients gazaouis blessés par des balles dites « papillon », utilisées par des tireurs d'élite israéliens sur des manifestants dans les jours et les semaines précédant la guerre qui a embrasé la région le 7 octobre. Nous avons également soigné 87 patients pour des blessures à long terme (sur une cohorte initiale de près de 900 patients), suite aux épisodes de violence durant la Grande marche du retour en 2018 et 2019.

Le personnel médical de MSF soignait également les blessés de la guerre de 2021, déclenchée par la confiscation et la colonisation d'une propriété à Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est, qui a entraîné l'escalade de violence la plus grave depuis 2014, causant la mort de centaines de personnes, le déplacement de milliers de Palestiniens et d'importantes destructions.

Les attaques du 7 octobre et la punition collective qui s'en est suivie représentent un changement de paradigme dans la manière dont MSF a pu intervenir dans les territoires palestiniens occupés. Immédiatement après les attaques du Hamas qui ont tué 1 200 personnes et fait 253 otages, nos collègues ont été témoins de frappes aériennes israéliennes sur Gaza, le jour même. Le 8 octobre, MSF, qui n'opérait pas en Israël à ce moment-là, a proposé son aide au ministère israélien de la Santé, qui l'a déclinée.

Pour le personnel de MSF à Gaza, le devenir des patients paraissait incertain. Comment assurer la continuité des soins ? Que faire pour les blessés lors de cette nouvelle escalade de violence ? 

En revanche, de toute évidence, le manque croissant de respect et de considération pour l'action humanitaire et médicale, la destruction des structures de santé et des abris du personnel, ainsi que les meurtres de collègues et de patients, ont rendu toute négociation presque impossible pour MSF. La protection que nous recherchons habituellement dans les situations de conflit n'était clairement pas assurée.

Voici une chronologie des attaques contre les professionnels de santé et les structures médicales de MSF, ou soutenues par MSF, dans les territoires palestiniens occupés depuis le 7 octobre. Il est important de noter que lorsque la responsabilité de ces attaques est avérée, elles sont attribuées ; cependant, nous ne pouvons pas toujours préciser avec certitude d'où elles proviennent.

Les localisations des structures médicales et des abris de MSF, ou soutenus par MSF, ainsi que des différents convois qui ont été touchés ou attaqués, avaient été clairement communiquées aux principales parties au conflit en amont. Pourtant, ni les structures ni les déplacements n'ont été respectés ou protégés, et de nombreux civils ont été tués ou blessés.

  • 7 octobre - Immédiatement après les attaques du Hamas, les forces israéliennes frappent l'hôpital indonésien à Beit Lahia et une ambulance devant l'hôpital Nasser à Khan Younès, tuant une infirmière et un conducteur d’ambulance et blessant plusieurs autres personnes.
  • 10 octobre - Une frappe aérienne israélienne endommage la clinique de MSF dans la ville de Gaza ; aucun membre du personnel ni patient n'est blessé.
  • 11 octobre - Une frappe aérienne touche l'hôpital Al-Awda, à Jabalia, où MSF intervient depuis 2018. Certains plafonds s'effondrent à la suite de l'explosion, mais l'intégrité structurelle du bâtiment est préservée et l'hôpital continue de fonctionner.
  • 13 octobre - Les forces israéliennes donnent un préavis de deux heures pour évacuer l'hôpital Al-Awda soutenu par MSF. Nos collègues médecins transportent des patients dans la rue sur des brancards pour tenter de les emmener dans d'autres hôpitaux, sans grand succès. MSF condamne l'ordre d'évacuation et souligne la nécessité de protéger le personnel médical et les patients qui, finalement, restent à l'hôpital.
  • 17 octobre - Dans la ville de Gaza, une frappe aérienne touche le parking de l'hôpital arabe Al-Ahli, où un médecin de MSF est en train d'opérer. On dénombre des centaines de morts. Dans les jours précédant l'incident, le directeur de l'hôpital avait reçu des avertissements d'Israël. MSF condamne cette attaque en attribuant, dans un premier temps, la responsabilité à Israël. Cependant, aujourd'hui encore, on ne sait pas qui en est responsable. Une enquête indépendante est le seul moyen de déterminer la responsabilité de cette attaque.
  • 30 octobre - Un projectile touche l'hôpital de l'Amitié turco-palestinienne, soutenu par MSF, au sud de la ville de Gaza, endommageant le bâtiment. L'hôpital cesse de fonctionner lorsqu'il manque de carburant, le 1er novembre.
  • 3 novembre - Une frappe aérienne israélienne, à l'extérieur de l'hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza, touche un convoi et détruit les ambulances, tuant de nombreuses personnes. MSF condamne sans équivoque cette attaque.
  • 15 novembre - Les troupes terrestres israéliennes prennent d'assaut l'hôpital Al-Shifa. Tout le personnel MSF restant avait quitté l'hôpital environ une semaine auparavant. 
  • 18 novembre - Un convoi d'évacuation de MSF pour les membres du personnel et leurs familles est la cible de tirs. Deux personnes sont tuées, dont un collègue MSF. Tous les éléments indiquent que l'armée israélienne est responsable de cette attaque. Deux jours plus tard, un bulldozer israélien et des véhicules militaires détruisent les voitures MSF du convoi, au vu et au su de nos collègues réfugiés dans la maison d'hôtes de MSF, dans la ville de Gaza. Les véhicules endommagent également la clinique MSF en percutant son mur d'enceinte, qui s'effondre. Une partie de la clinique prend feu.
  • 21 novembre - Une frappe sur l'hôpital Al-Awda tue les docteurs de MSF Mahmoud Abu Nujaila et Ahmad Al Sahar, ainsi qu'un autre médecin, le docteur Ziad Al-Tatari. Nous nous adressons à toutes les parties au conflit pour leur demander de rendre des comptes sur ces meurtres, mais nous ne recevons aucune réponse et il est impossible d'affirmer ce qu'il s'est passé avec certitude. Une évaluation indépendante sur place serait nécessaire pour déterminer les responsables.
  • 24 novembre - Les seuls véhicules disponibles pour les membres du personnel et leurs familles réfugiés dans la maison d'hôtes et la clinique de MSF à Gaza ayant été détruits, nos équipes basées dans le sud de la bande de Gaza envoient d'autres véhicules pour tenter une nouvelle évacuation. Cependant, ils sont également touchés par des balles alors qu'ils s'approchent de la clinique de MSF et le convoi est annulé. Les véhicules seront détruits par les forces israéliennes aux premières heures du 24 novembre.
  • 1er décembre - Une trêve temporaire entre Israël et le Hamas prend effet du 24 au 30 novembre 2023. Quelques heures après la fin de la trêve, une explosion endommage l'hôpital Al-Awda. 
  • 5 décembre - Le personnel de MSF à Al-Awda signale que l'hôpital est en état de siège total. Les jours suivants, deux membres du personnel médical de l'hôpital (qui ne font pas partie du personnel de MSF) auraient été abattus par des tireurs embusqués à l'extérieur.
  • 12 décembre - Un chirurgien de MSF est blessé à l'intérieur de l'hôpital Al-Awda par un coup de feu tiré depuis l'extérieur.
  • 14 décembre - A l'hôpital Khalil Suleiman, à Jénine (Cisjordanie), le personnel MSF qui soutient l'hôpital voit les forces israéliennes abattre un adolescent dans l'enceinte de l'hôpital. Cet épisode survient juste après des mauvais traitements infligés au personnel paramédical, qui a été contraint de se déshabiller et de s'agenouiller dans la rue.
  • 17 décembre - Les forces israéliennes prennent le contrôle de l'hôpital Al-Awda après un siège de 12 jours. Les hommes de plus de 16 ans, dont six membres du personnel de MSF, sont emmenés, déshabillés et interrogés. Après les interrogatoires, la plupart d'entre eux sont renvoyés à l'intérieur de l'hôpital et reçoivent l'ordre de ne pas bouger. Le même jour, des balles traçantes israéliennes touchent la maternité de l'hôpital Nasser. Une patiente est tuée, d'autres sont blessées.
  • 6 janvier - MSF doit évacuer l'hôpital Al-Aqsa, à Deir al-Balah, à l'approche des combats entre les forces israéliennes et les groupes armés palestiniens. Les ordres d'évacuation israéliens placent également la pharmacie de MSF à l'intérieur de la zone d'évacuation, la rendant inaccessible. Le 5 janvier, une balle de sniper traverse le mur de l'unité de soins intensifs.
  • 8 janvier - Un obus de char israélien frappe l'abri « Lotus » de MSF à Khan Younis, tuant la fille de cinq ans d'un membre du personnel de MSF et blessant trois personnes. Plus de 125 membres du personnel de MSF et leurs familles sont relogés à Rafah. 
  • 22 janvier - L'hôpital Nasser, à Khan Younis, est encerclé par les combats et les bombardements et fait l'objet d'ordres d'évacuation. Les frappes aériennes tuent des personnes à 150 mètres de l'entrée de l'hôpital, selon le personnel MSF présent.
  • 15 février - Un obus frappe le service orthopédique de l'hôpital Nasser ; les membres du personnel s'enfuient en laissant derrière eux plusieurs patients. Un membre du personnel de MSF est détenu à un poste de contrôle par les forces israéliennes - il a été libéré depuis.
  • 20 février - Un char israélien tire sur un abri MSF à Al-Mawasi, Khan Younis, tuant la belle-fille et l'épouse d'un de nos collègues, et blessant sept personnes.
  • 2 mars - Un obus frappe un hangar à côté de l'entrée principale de l'hôpital Al-Emirati, soutenu par MSF, à Rafah, tuant deux personnes et en blessant plusieurs autres.
  • 13 mars - L'armée israélienne mène des opérations à Jénine (Cisjordanie).À l'hôpital Khalil Suleiman, soutenu par MSF, des personnes se tenant dans la cour de l'hôpital sont la cible de tirs. Six personnes se trouvant près de la porte des urgences sont blessées. Deux d’entre elles décèdent des suites de leurs blessures.
  • 27 mars - Une frappe aérienne touche une serre près de la clinique Al-Shaboura, une structure soutenue par MSF, à Rafah. Plusieurs personnes auraient été tuées dans l'attaque, malgré l'adoption, le 25 mars, d'une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies exigeant un cessez-le-feu. Aucun membre du personnel ou patient de MSF n'est blessé.
  • 31 mars - Une frappe aérienne israélienne touche la cour de l'hôpital Al-Aqsa, soutenu par MSF, juste à l'extérieur de la salle des urgences où de nombreuses personnes déplacées avaient trouvé refuge. Nombre d'entre elles sont tuées ou blessées. Après l'attaque, une partie de l'équipe MSF doit cesser de prodiguer des soins.
  • 1er avril - Après une opération de 14 jours menée par les forces israéliennes à l'intérieur et autour de l'hôpital Al-Shifa, l'hôpital est laissé en ruines et hors service. Une clinique MSF située à proximité de l'hôpital est également gravement endommagée. Des centaines de personnes ont été tuées, y compris des membres du personnel médical, et des arrestations massives de membres du personnel médical et d'autres personnes ont eu lieu à l'intérieur et autour de l'hôpital.
  • 21 avril - Un ambulancier volontaire formé par MSF reçoit une balle dans la jambe alors qu'il est en service, lors d'une incursion de trois jours dans les camps de réfugiés de Tulkarem et de Nur Shams, en Cisjordanie. En raison des hostilités, il lui faut sept heures pour atteindre l'hôpital.
  • 6 mai - Un point de stabilisation soutenu par MSF est pris d'assaut lors d'un raid violent des forces israéliennes dans les camps de Tulkarem et de Nur Shams, en Cisjordanie. Les ambulanciers volontaires formés par MSF sont harcelés et ne se sentent plus en sécurité pour prodiguer des soins vitaux aux patients.

À l'heure où nous écrivons ces lignes, les forces israéliennes ont lancé une offensive sur Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, et sur certaines parties du nord de l'enclave. Elles ont émis plusieurs ordres d'évacuation, qui réduisent encore l'accès aux soins dans un système de santé déjà décimé, ne laissant à la population pratiquement aucune option pour accéder à des soins médicaux de base. Entre le 6 et le 12 mai, MSF a dû suspendre ses activités à la clinique Al-Shaboura, transmettre ses activités à l'hôpital Al-Emirati au ministère de la Santé et a été contrainte de mettre fin à ses activités à l'hôpital indonésien de Rafah, faute de pouvoir garantir la sécurité des patients et du personnel, compte tenu de l'offensive en cours. 

Au vu de cette longue liste d'actions répréhensibles, MSF appelle une fois de plus toutes les parties au conflit à respecter et à protéger les établissements de santé, le personnel soignant et les patients à Gaza et en Cisjordanie. Un cessez-le-feu immédiat et durable doit être mis en place dans la bande de Gaza pour mettre fin aux souffrances des populations et à la destruction de Gaza. Nous exigeons un flux d'aide immédiat et sans entrave dans l'ensemble de la bande de Gaza. Nous exigeons des explications au sujet de nos patients, de nos collègues et de leurs proches qui ont été tués ou blessés.