«En Somalie, l’élargissement de nos activités se heurte à des difficultés d’accès»
© Martina Bacigalupo / Le Monde / Agence VU
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Les Somaliens subissent la guerre depuis 20 ans. Les forces du Gouvernement fédéral de transition, appuyées par celles de la Mission de l’Union Africaine en Somalie (AMISOM), combattent actuellement le groupe armé Al-Shebab à Mogadiscio et dans d’autres régions du pays. L’accès pour les ONG internationales demeure difficile, entravant le déploiement de l’aide. Deux programmes MSF ont dû suspendre leurs activités récemment, l’un ayant pour l’instant réussi à rouvrir pour répondre à l’urgence. Une dizaine de projets sont néanmoins opérationnels et se répartissent du nord au sud de la Somalie. En dépit des obstacles, MSF cherche à étendre ses interventions médicales. Entretien avec Duncan McLean, responsable de programme MSF en Somalie.
Que sait-on aujourd’hui de la situation humanitaire en Somalie ?
Les services de l’Etat ne fonctionnent pas et les données dont nous disposons sont trop fragmentaires pour nous permettre d’extrapoler ou de poser un diagnostic précis sur le sort des populations. L’insécurité comme les difficultés d’accès handicapent le recueil de données. Bien que la situation soit sans aucun doute critique, nous n’avons qu’une vision très parcellaire, limitée au périmètre de nos activités.
En Somalie comme dans tout pays en conflit, les contraintes sont nombreuses, l’intention seule ne suffit pas à produire des secours. Une ONG comme MSF ne peut agir qu’en négociant avec tous les acteurs locaux. C’est d’abord d’eux dont dépend la possibilité d’accéder et de fournir assistance aux populations. Or, l’intérêt des personnes n’est qu’un paramètre parmi d’autres, pas toujours prioritaire pour les parties en conflit. Les Somaliens ne seraient sinon pas aussi nombreux à quitter le pays. En Ethiopie par exemple, dans une région telle que l’Oromia également affectée par la sécheresse, les gens ne vont pas jusqu’à franchir les frontières. En Somalie, il y a donc une crise humaine qui ne puise pas seulement ses racines dans une terre asséchée.
Tout le monde parle pourtant d’une famine liée à la sécheresse…
Au-delà des signaux d’alerte lancés depuis l’an dernier par plusieurs organisations, il n’est pas évident d’obtenir des éléments concrets sur ce que l’on qualifie de famine. En fin d’année dernière, la sécheresse avait néanmoins eu un impact sur l’accès à l’eau et aux puits. Parmi les populations qui avaient accès à nos projets, nous constations alors une plus forte demande en secours. Sur les deux programmes suspendus en juin dernier, Daynile et Jamame en Somalie, les indicateurs étaient paradoxalement moins parlants. La mort du bétail n’avait pas été signalée par exemple. Les signes d’une crise majeure ont surtout été perçus aux frontières éthiopiennes et kenyanes, quand des milliers de Somaliens ont commencé à quitter le sud du pays en juin dernier.
Pourquoi avoir suspendu ces activités juste avant cette crise?
Notre activité chirurgicale était associée aux blessures de guerre et parfois perçue comme dépendante de ceux qui la font. La suspension visait à clarifier les choses avec nos interlocuteurs locaux et à obtenir le maximum de garanties pour conserver un espace de secours neutre et indépendant. Nous n’y avons réussi qu’en partie puisqu’il est toujours impossible d’obtenir un accès à nos projets pour le personnel expatrié. Nous avons toutefois décidé de reprendre les activités au plus vite face à la dégradation rapide de la situation dans le pays.
Où en sommes-nous à présent?
Le projet dans l’hôpital de Daynile a rouvert et comprend maintenant un volet nutritionnel. Les activités à Jamame dans le sud devraient également redémarrer rapidement. Nous négocions aujourd’hui avec différentes personnalités pour mener de nouvelles activités autour de Mogadiscio afin d’assister les populations récemment déplacées. Dans les camps que nos équipes ont pu visiter, elles ont vu des personnes très affaiblies, des cas de malnutrition; elles ont surtout constaté des décès dus à des diarrhées aiguës sévères. Nous prévoyons donc des consultations et des hospitalisations sur site, des activités liées à la malnutrition sévère (qui pourraient aller jusqu’aux distributions générales de nourriture), de la vaccination contre la rougeole… Notre première préoccupation concerne l’accès à l’eau potable car les insuffisances en matière d’eau et d’assainissement favorisent la propagation des maladies diarrhéiques, à l’origine d’une mortalité élevée chez les enfants.
© Martina Bacigalupo / Le Monde / Agence VU