Survivre dans le Darfour occidental : poignant témoignage d’un logisticien MSF

Signifiant « le jardin » en arabe, le nom de la ville d’El Geneina ne correspond malheureusement plus à la cruelle réalité à laquelle ses habitant·e·s sont confronté·e·s depuis l’éclatement de violents conflits. On estime qu'au moins 500 personnes y ont été tuées depuis le début des combats, et qu'un nombre similaire de blessé·e·s restent piégé·e·s dans la ville, dans l’incapacité d'accéder aux soins vitaux. Personne ne peut entrer dans la ville pour leur venir en aide, et personne ne peut les en sortir non plus. Médecins Sans Frontières (MSF) possède une équipe chirurgicale prête à intervenir à Adré, au Tchad, mais l'évacuation des patients est actuellement rendue impossible par les combats.

El Geneina est la capitale de l'État du Darfour occidental et est sujette à la violence et aux déplacements depuis des décennies. Mais étonnement, lorsque le conflit a éclaté à Khartoum le 15 avril, la ville est restée calme durant les premiers jours, laissant planer l’espoir qu’elle serait épargnée par la violence. Cependant, le 24 avril, des combats sanglants ont éclaté entre l’armée soudanaise, les forces de soutien rapides ainsi que des jeunes de différentes communautés ayant pris les armes. La ville est rapidement devenue le théâtre d’intenses combats et de pillages fréquents.

Les habitant·e·s d'El Geneina se sont retrouvé·e·s piégé·e·s dans un raz-de-marée de violence et d'insécurité, leur vie étant menacée non seulement par les combats, mais aussi par l'impossibilité d'accéder aux soins de santé. Cette situation concerne tout le monde : les femmes enceintes, les enfants et toute personne cherchant à obtenir des soins médicaux. En plus des défis quotidiens, les gens doivent font face à des pénuries de biens essentiels, comme l’eau potable.

Ces dernières années, nos équipes ont soutenu l'hôpital universitaire d'El Geneina, le principal établissement de santé du Darfour occidental. Le 26 avril, l'hôpital a été pillé et est actuellement hors service, y compris les services jusqu’alors soutenus par nos équipes. Au cours des premiers jours du conflit, l'équipe MSF présente à l'hôpital a réussi à distribuer les médicaments restants à diverses communautés. Cependant, à mesure que la situation s'aggravait, l’hôpital a été attaqué et n’a plus été en mesure de fonctionner depuis.  Nos équipes n’ont plus été en mesure d'accéder à l'hôpital, ni de mener des activités de cliniques mobiles dans les communautés nomades de Galala, Mogshasha, Wadi Rati et Gelchek. Nous avons tout-de-même pu continuer à fournir des services à l'hôpital de Kreinik, mais les fournitures commencent à y manquer.

Moussa Ibrahim, notre responsable logistique à El Geneina, a traversé la frontière avec le Tchad il y a quelques jours pour superviser les activités des équipes MSF à Adré et évaluer les potentiels supports logistiques vers le Darfour occidental. Il partage son expérience sur la route du Tchad, au cœur d’un Darfour occidental meurtri par le conflit.

Témoignage de Moussa, logisticien MSF à El Geneina

« Depuis juillet 2021, j'occupe le poste de superviseur logistique chez MSF et je vis à El Geneina. Ma visite au Tchad a été rendue nécessaire par la coupure des communications que nous avons subie, conséquence des perturbations de l'internet et des moyens de communication. Elle visait également à établir une coordination étroite avec les équipes MSF basées à Adré, qui se tiennent prêtes à intervenir et à soutenir les initiatives locales dans la mesure du possible.

La route entre El Geneina et le Tchad est pleine de dangers car des groupes armés patrouillent souvent et peuvent vous arrêter à tout moment sur votre route. Il n'y a aucune garantie de sécurité.

Dans ces circonstances, l'hôpital que nous soutenions a également été pris pour cible. Tout le matériel médical a été emporté et certaines parties ont été détruites. En tant que logisticien humanitaire, il est déchirant de voir tous nos efforts déployés au fil des ans réduits à néant. 

Pendant des années, MSF a fourni une assistance médicale à toutes les communautés du Darfour occidental qui, en raison de la récurrence des violences, n'auraient autrement pas eu accès aux soins de santé.

À l'hôpital universitaire d'El Geneina, MSF a géré les services de pédiatrie et de nutrition, les services d'eau et d'assainissement et a supervisé les mesures de contrôle de la prévention des infections.

Cette situation est insupportable et nécessite une intervention urgente. Les négociations entre les chefs de communautés et toutes les parties belligérantes doivent être assurées pour mettre fin à cette situation horrible. La plupart des ONG sont parties, mais pour faciliter les opérations humanitaires de celles qui ont réussi à rester dans différentes parties du Soudan – y compris nos équipes qui se sont engagées à fournir les soins de santé dont la population a tant besoin –, épargner les vies civiles, assurer la sécurité du personnel médical ainsi que celle des établissements de santé sont des impératifs absolus.

Malgré les circonstances, mon séjour au Tchad a été bref, car je devais retourner auprès de ma famille à El Geneina. Pendant cette courte mission au Tchad, l'une de mes principales tâches a été de faciliter l'indemnisation des travailleurs journaliers qui ont fait du bon travail en essayant de protéger les locaux de MSF. Heureusement, un de nos bureau et entrepôt n'a pas été touché et les membres de la communauté, reconnaissant et appréciant notre soutien, ont également contribué à empêcher son pillage.

Néanmoins, la situation reste désastreuse et une action urgente est nécessaire pour assurer la sécurité de la population et du personnel de santé d'El Geneina. »