Syrie: « Il est presque impossible de recevoir des soins obstétriques d’urgence »
© MSF/Anna Surinyach
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Margie est sage-femme, elle revient d’une mission de près de deux mois dans un hôpital MSF du nord de la Syrie.L’hôpital comprend une maternité où travaillait Margie, un bloc opératoire où sont pris en charge des blessés de guerre et des grands brûlés, ainsi qu’un service d’urgences.
Pour quoi MSF a mis en place une maternité ?
Parce que les femmes ne peuvent pas avoir accès à des soins de santé appropriés dans cette région. Pour les femmes qui ont des grossesses à risques, il est presque impossible de recevoir des soins obstétriques d’urgence. Il y a encore des sages-femmes qui assistent les accouchements normaux. Mais en cas de complications, il est très difficile de trouver un endroit pour les prendre en charge.
Des structures médicales ont été détruites pendant le conflit et celles qui restent ne fonctionnent pas bien. Les hôpitaux privés qui existent sont trop chers pour beaucoup de patientes. Avant il y avait un réseau de sages-femmes qui prenaient en charge les femmes pendant leur grossesse. Or maintenant il semble que beaucoup de femmes enceintes ne soient pas suivies du tout. Du fait du conflit, les femmes se nourrissent moins bien, beaucoup sont déplacées. Tout ceci génère un stress qui peut avoir des répercussions sur le bon déroulement de la grossesse.
Quels soins vous dispensez dans la maternité ?
Nous offrons la prise en charge médicalisée des accouchements, y compris des soins obstétriques d’urgence et nous référons les femmes qui ont besoin d’une césarienne à l’équipe chirurgicale. Bon nombre de femmes ont eu beaucoup d’enfants – parfois jusqu’à 10 ou 12 – et ont déjà accouché par césarienne, ce qui donne une idée du niveau des soins médicaux disponibles avant le conflit. Dans la maternité MSF, nous dispensons aussi des soins pendant la grossesse, y compris des traitements prophylactiques pour des pathologies telles que l’anémie, ainsi que des soins immédiatement après l’accouchement et de suivi. Mais nous donnons aussi des consultations de gynécologie, ce à quoi les femmes ont très difficilement accès en Syrie. Le conflit a réduit les possibilités de soins et comme c’est un pays musulman, il arrive quand les femmes ne trouvent pas de personnel de santé féminin, qu’elles renoncent à chercher où ce serait possible d’être prises en charge.
Environ la moitié des patientes que nous voyons viennent des villages des environs. Souvent elles sont amenées par une femme qui a déjà été traitée dans notre maternité. C’est le bouche à oreille qui marche !
Vous aviez des collègues syriennes ?
Oui, Je travaillais avec une équipe formidable de quatre sages-femmes syriennes. Chaque semaine, nous assistions à l’accouchement de jusque 12 bébés et donnions entre 50 et 60 consultations. Mes collègues prenaient en charge les accouchements normaux, et quand il y avait des complications, je les aidais et voyais avec elles les soins à donner. Elles n’avaient pas toutes la même expérience ni le même niveau de formation. Je faisais aussi donc de la formation et du perfectionnement des compétences. Elles appréciaient beaucoup de pouvoir acquérir de nouvelles compétences parce qu’avec le conflit, certaines n’avaient pu terminer leur formation. En raison du manque de personnel qualifié, l’une des sages-femmes que nous avons recrutées avait terminé ses études d’infirmière mais pas ses études de sage-femme. Elle s’imprégnait de tout le savoir possible. Tout ce que je pouvais lui dire, elle le mettait en pratique. Cet engagement était beau à voir.
Avez-vous vu des cas particulièrement difficiles ?
Nous avons assisté à beaucoup d’accouchements normaux, mais nous avons vu aussi des cas difficiles. Par exemple, une femme qui avait déjà eu quatre bébés en bonne santé mais avait ensuite perdu un bébé arrivé à terme. Comme beaucoup de femmes que nous voyions, elle avait dû fuir à cause des combats et habitait avec toute sa famille dans une pièce dans une école. Elle est arrivée, enceinte, avec une pré-éclampsie sévère, autrement dit une forte hypertension. Elle était dans cet état depuis un moment car son bébé ne s’était pas bien développé. En fait, son bébé est mort pendant que nous nous efforcions de sauver sa vie à elle. Voilà une personne qui n’a pas pu avoir accès aux soins dont elle avait besoin durant sa grossesse et les conséquences sont dramatiques. Comme sa vie était en danger, la vie de son bébé venait après la sienne, ce qui est un dilemme terrible. Mais sa résilience m’a époustouflée, elle éprouvait un grand chagrin et en même temps était si reconnaissante pour les soins et le soutien qu’elle avait reçus. C’était impressionnant.
Une autre femme m’a fait forte impression. Elle était venue pour des soins anténataux. Je lui ai posé les questions d’usage et demandé si elle avait déjà accouché. Elle me dit qu’elle avait eu sept enfants, mais que quatre d’entre eux étaient morts peu de temps avant dans un bombardement dans une ville à côté. Mais nous avons pu l’aider à accoucher d’un beau bébé. La voir tenir dans ses bras son nourrisson après toutes les épreuves qu’elle avait dû traverser était vraiment réconfortant.
MSF travaille dans six hôpitaux dans le nord de la Syrie. Entre juin 2012 et août 2013, les équipes MSF en Syrie ont donné plus de 66 900 consultations médicales, fait plus de 3 400 opérations chirurgicales et assisté plus de 1 420 accouchements.
Les équipes MSF ont également donné plus de 200 240 consultations médicales à des réfugiés syriens dans les pays voisins.
© MSF/Anna Surinyach