Aider les enfants soldats démobilisés de Yambio à accepter leur passé

Soudan du Sud, 07.08.2018

Soudan du Sud5 min

Dans le comté de Yambio, au Soudan du Sud, la démobilisation d'enfants soldats qui ont été contraints de combattre pendant la longue guerre civile du pays est en cours.

Les enfants soldats de Yambio aimeraient retourner à leur ancienne vie, mais certains sont aux prises avec tout ce qu’ils ont vécu. Médecins Sans Frontières (MSF) dirige un programme de soutien psychologique pour les aider à accepter leurs expériences lors de leur réinsertion dans la communauté.

Si le conflit civil au Soudan du Sud a connu de nombreuses pages sombres,  l'une des pires est sans doute le recrutement forcé d'enfants dans les rangs de groupes armés rivaux. Ces jeunes combattants, qui suivaient souvent les ordres sans comprendre l'impact de leurs actions, étaient très prisés par leurs commandants adultes.

Les anciens enfants soldats sont souvent traumatisés, séparés de leur famille et contraints de mener une vie brutale de violence et de travail forcé. Dans certains cas, les enfants ont été battus et abusés sexuellement. Les horreurs que beaucoup ont vues au combat semblent impossibles à oublier.

La réinsertion des enfants soldats dans leurs communautés

Les psychologues et les conseillers de MSF ont joué un rôle clé en fournissant des soins de santé mentale aux enfants. Au total, 632 enfants ont été inscrits au programme de démobilisation, différents groupes ayant obtenu leur diplôme tout au long de l’année.

L’esprit humain est résilient et a une façon de faire face aux problèmes qui lui est propre. Cependant, certains enfants présentent des symptômes de stress post-traumatique ou ont des flashbacks, ce qui peut conduire à l'anxiété et la dépression.

Rayan Fattouch, responsable des activités de santé mentale de MSF à Yambio

Ces émotions fortes ne concernent pas seulement leurs expériences en tant que soldats. Beaucoup craignent un avenir incertain. Ils ont peur de la manière dont ils seront acceptés par leurs communautés et de ce qui leur arrivera.

La démobilisation peut être une situation compliquée. D'anciens enfants soldats réalisent que, pendant leurs années de captivité, la vie a continué et le monde qu'ils ont connu a changé. Dans certains cas, les familles ont été forcées de déménager et ne peuvent être retrouvées. Dans d'autres, certains membres de la famille sont peut-être morts. Ces types de prise de conscience peuvent avoir une incidence négative durable.

Une réinsertion parfois compliquée

Certains enfants soldats ne sont pas toujours accueillis à bras ouverts. Les anciennes communautés ont souvent peur d’accepter le retour d’anciens enfants soldats. Au cours des années passées à combattre, certains groupes armés ont utilisé les enfants pour piller les provisions des civils. Les groupes armés ont extorqué de l'argent à ces communautés en échange d’une protection et ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas payer risquaient parfois de violents affrontements. Une partie du processus de réintégration consiste à aider les communautés à comprendre la situation des enfants en captivité armée et à prendre le temps d'examiner leurs propres expériences pendant cette période agitée.

Certains des enfants portent le fardeau de la culpabilité.

Carol Mwakio Wawud, psychologue MSF travaillant au sein du programme

« Il ne s’agit pas seulement de quelque chose qu’ils auraient pu faire ou voir lorsqu’ils portaient l’uniforme ; certains se sentent encore coupables d’avoir été capturés et enlevés à leur famille. Ils pensent que la faute leur revient », poursuit Carol.

Mme Mwakio et d'autres membres du personnel de santé mentale de MSF essaient de les aider à comprendre qu'ils n'étaient pas entièrement responsables de leurs actes lorsqu'ils portaient l'uniforme. « Nous leur rappelons que leurs commandants étaient les véritables responsables et qu'ils les ont forcés à commettre des atrocités. C'était une période de leur vie au cours de laquelle ils n'avaient aucun contrôle, mais maintenant, l'avenir leur offre de nombreuses possibilités », ajoute Mme Mwakio.

La confiance est au cœur de la relation entre les conseillers et leurs jeunes patients. 
La confiance ne fait pas seulement partie du code d'éthique du psychologue, c'est un lien essentiel et nécessaire pour que ces jeunes patients puissent s'exprimer librement.

Mme Mwakio explique que chaque détail pouvant rendre les consultations psychologiques aussi confortables que possible est important pour développer ce lien. « Des détails tels que l'endroit où notre patient s'assoit lors de nos séances sont très importants. Par exemple, nous leurs permettons de voir l'entrée de la tente, pour qu'ils sachent que personne n'écoute. Notre objectif est de leur montrer qu'ils ont repris le contrôle de leur propre vie. »

Il est important que l'enfant soit bien pris en charge. Des services de première nécessité leur ont été promis, et ils en ont désespérément besoin. Beaucoup de ces enfants ne se sentent pas en sécurité. Ils ont peur d’être replongés dans leur ancienne vie. Dans de telles circonstances, toute amélioration de leur santé mentale peut être rapidement perdue. S'ils estiment que le programme de démobilisation les a laissés tomber d’une façon ou d’une autre, la désillusion s'installe. Il existe même un risque que certains veuillent retourner à leur vie antérieure.

Presque tous les enfants veulent retrouver une vie normale et un avenir. Lorsque vous parlez avec eux, ils veulent tous aller à l'école comme les autres enfants de leur âge. Ils savent que ce n’est que par l’éducation qu’ils seront en mesure de mener une nouvelle vie.

Paul Maina, le responsable du programme de MSF

Le système de santé au Soudan du Sud est rudimentaire, et peu de professionnels locaux de la santé mentale peuvent répondre aux besoins des enfants et de leurs communautés. Pour contrer cela, des membres du personnel sud-soudanais du projet sont formés en tant que conseillers. Ces stagiaires participent à un programme de formation accéléré et, dans les mois à venir, ils seront en mesure de traiter des cas sous supervision.

Le programme de Yambio aide les enfants à changer de vie. Mais ce n’est qu’une petite partie d’un pays qui a grandement besoin de panser ses plaies. On estime que, dans l'ensemble du pays, 19 500 enfants ont combattu pendant le conflit et doivent être démobilisés. Si certains pourront trouver une façon bien à eux de gérer le passé, d'autres auront besoin d'aide dans ce nouveau chapitre de leur vie.